Charlie Hebdo : la couverture des prises d’otages par les chaînes d’info a-t-elle été une bonne chose ?

Capture d'écran BFM TV de la prise d'otage de Charlie Hebdo
Capture d'écran BFM TV de la prise d'otage de Charlie Hebdo

Numéro 1

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Charlie Hebdo : que s'est-il passé ?

Les dramatiques événements des derniers jours sont de notoriété publique, et ont mobilisé la totalité des médias français la semaine dernière. Une description plus exhaustive est disponible à cette adresse, mais donnons ici un bref résumé des événements ;

  • Le mercredi 7 janvier au matin, deux hommes armés pénètrent au siège de Charlie Hebdo : ils abattent 11 personnes et en blessent 11 autres, puis tuent un policier en sortant. Ils prennent la fuite. Ils prétendent avoir « vengé le prophète Mahomet », faisant référence aux caricatures de Mahomet que Charlie Hebdo a publiées, notamment en 2006.
  • Le lendemain 8 janvier, un autre homme abat une policière à Montrouge, dans le sud de Paris, et prend la fuite. On apprendra plus tard que ce meurtre est lié à l’attentat de Charlie Hebdo.
  • Vendredi 9 janvier, après 2 jours de traque, les deux tueurs de Charlie Hebdo (Chérif et Saïd Kouachi, deux frères) s’enferment dans une entreprise à Dammartin-en-Goële et prennent le gérant en otage, avant de le relâcher. Parallèlement, Amedy Coulibaly, le tueur de Montrouge entre dans un supermarché casher à Vincennes, et prend plusieurs clients en otage, après en avoir tué 4 autres.
  • Après plus de 7 heures de siège, les frères Kouachi sortent en tirant sur les forces de l’ordre et sont finalement abattus. L’assaut est donné simultanément à Vincennes, se soldant par la mort du preneur d’otage et la libération des otages encore vivants.
Quelle couverture médiatique en a-t-elle été faite ?

Les événements étant particulièrement marquants, ils ont occupé la quasi-totalité des médias français pendant les 3 jours qu’ont duré la traque et les prises d’otages.

Les chaînes d’information en direct, BFM TV et i-Télé, ont couvert l’événement 24 heures sur 24 pendant les 3 jours, occupant quasiment 100 % de leur temps d’antenne. TF1 et France 2 ont complètement chamboulé leur grille des programmes pour consacrer également de longues sessions d’information en direct.

Une couverture médiatique de cette ampleur et de cette durée n’était jamais arrivée auparavant en France.

Que reproche-t-on à cette couverture des événements en direct ?

Pour certains, les informations cruciales délivrées par certains médias en direct auraient pu entraver l’action des forces de l’ordre (ex : la divulgation de l’identité des suspects), ou pire, mettre en danger la vie de certains otages. Certaines télés sont accusées, notamment par la police, d’avoir divulgué des informations précises concernant la présence de personnes cachées sur les lieux de prise d’otage, ou la position des forces de l’ordre.

Dans ce cadre, le CSA a décidé de lancer une expertise pour déterminer si des manquements auraient pu être commis par certains médias. Le CSA a également décidé de convier l’ensemble des télés et radios d’information à participer à une réflexion commune sur les problèmes soulevés durant ce type d’événement.

Numéro 2

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LE « POUR »

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Billet rédigé par :

L'auteur s'est présenté sous le pseudonyme de "Charlie"



La France vient de traverser des heures sombres, traumatisantes à plus d’un titre. Et ces événements ont malheureusement duré plusieurs jours, tenant en haleine une France blessée qui attendait dans l’angoisse de voir se terminer cet épisode sanglant.

J’ai moi-même été envahi par un malaise profond et une envie irrépressible de voir les terroristes appréhendés rapidement afin que cet épisode dramatique prenne fin. J’avais également peur qu’un nouveau drame se produise. Enfin, je voulais comprendre ! Comprendre ce qui s’était réellement passé afin de pouvoir faire la part des choses et comprendre dans quelles situations se trouvaient certains de mes concitoyens pris en otages.

Cet angoisse et cette volonté de comprendre m’ont conduit, ainsi que beaucoup d’autres, à vouloir vivre l’événement en direct. Et pour cela j’ai exploité tous les médias : journaux, site web, radio et télé. Contre mes habitudes, j’ai même regardé en boucle les reportages des chaines d’information en continu dans l’attente d’avoir des nouvelles fraîches. Et ces médias ont joué leur rôle : ils ont mis à disposition du public toutes les informations dont ils disposaient afin d’informer, le tout globalement de manière professionnelle.

Bien évidement, je déplore les quelques dérapages qui ont pu avoir lieu durant ces quelques jours pendant lesquels le volume d’information fourni a été gigantesque. Il est évident qu’il faut sanctionner avec la plus grande fermeté tous les abus qui pourraient mettre en péril la sécurité des otages ou des forces de l’ordre. Et il faut tout mettre en œuvre pour que l’information, surtout dans ces situations, ne devienne pas un spectacle avec une mis en scène lugubre. Mais pour ma part, la mise en cause généralisée des médias me semble très imméritée. La majorité d’entre eux a fait preuve de responsabilité durant ces événements. Lors des phases cruciales, comme lors de l’entrée en action des forces d’intervention à proximité de la porte de Vincennes, toutes les télés ont suivi les consignes du Ministère de l’Intérieur et ont accepté de ne pas diffuser d’images précises de l’entrée du magasin Hyper Kasher.

Pour résumer, la couverture médiatique de ces derniers jours a été à la mesure de la réaction de la population française, c’est-à-dire intense. Cet événement hors norme a meurtri tout un peuple qui avait un besoin légitime d’être informé, de savoir.

Avec une ampleur exceptionnelle, les médias ont donc répondu à un besoin exceptionnel et pour moi c’est une bonne chose !

LE « CONTRE »

Ne pas confondre information et précipitation

Billet rédigé par :

Julien

travaille dans la presse écrite depuis 5 ans.

 

Ces derniers jours, les médias français ont atteint des sommets en termes de voyeurisme. Le terme « voyeurisme » n’est pas forcément le plus adapté ; il s’agirait d’avantage d’un mélange d’amateurisme et d’indécence, mêlé à une touche de show-business à l’américaine.

Ce pourrait être amusant si ce n’était pas dramatique. L’amusant, c’est ce journaliste de France 2 qui se fait houspiller en direct par la police parce qu’il s’approche trop près du preneur d’otage à Vincennes. L’amusant, c’est cette course effrénée des journalistes, qui passent de Charleville-Mézières à Reims, à l’Aisne, avant de finir à Dammartin-en-Goële, sans comprendre ce qu’il se passe. On peut comprendre, on peut tolérer.

Le dramatique, c’est BFM TV qui annonce en direct que des personnes sont cachées dans la chambre froide, alors que le preneur d’otages regarde la chaîne et ne le sait pas. Même scénario avec l’homme caché dans l’imprimerie à Dammartin. C’est cette même chaîne et la radio RTL qui contactent directement les preneurs d’otages, relayant non seulement leurs opinions, mais risquant d’interférer avec les négociations en cours. Ce sont les nombreuses notifications, breaking news, qui annoncent des morts quand il n’y en a pas, les images des positions de la police données aux terroristes, l’identité des tueurs révélées, etc. La liste est longue pour seulement 3 jours de direct !

Où est passée leur éthique de journaliste ? En ont-ils seulement une ? Que leur passe-t-il par la tête lorsqu’ils appellent le preneur d’otage ? « Je vais faire un scoop terrible », « Je serai le seul à avoir l’info », etc. Un scoop vaut-il la peine de risquer la vie d’un ou plusieurs êtres humains ? 5 minutes de primeur d’une information valent-elles la peine au regard de l’inquiétude des proches des policiers du RAID ? Comment réagirait votre famille si l’on annonçait la mort d’une personne à votre travail ?

Mais non. Qu’importe l’éthique, pourvu qu’on ait le scoop. Qu’importe la vérité, du moment qu’on fasse le buzz. Et qu’importent des sentiments et des vies humaines, du moment qu’on soit retweeté ?!

Les médias ont le droit et le devoir d’informer. D’informer. Relayer des annonces non vérifiées, diffuser des éléments cruciaux au détriment de tout bon sens, ce n’est pas de l’info ; c’est de la désinformation, et de l’amateurisme.

Heureusement que cette fois, il n’y a pas eu de conséquences…

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