Pour ou contre le projet de Loi Travail

Code du travail
Photo : Code du travail - Wikimedia Commons - Licence Creative Commons

Numéro 1

S’informer

Comment est né le projet de loi Travail ?

Le Premier ministre Manuel Valls a annoncé le 9 septembre dernier, lors de la remise du rapport Combrexelle intitulé La négociation collective, le travail et l’emploi, sa volonté de réformer le code du travail afin d’apporter « plus de souplesse, pas moins de protection« . Dans cette optique, le Gouvernement a par ailleurs demandé à l’ancien ministre de la Justice, Robert Badinter, de piloter un comité chargé de définir les principes essentiels du droit du travail.

Myriam El Khomri, nommée ministre du Travail en septembre dernier, s’est donc appuyée sur les conclusions du rapport Combrexelle et de cette commission pour mettre au point le projet de loi Travail. L’avant-projet de la loi Travail a été présenté à la mi-février, provoquant immédiatement de nombreuses réactions. Le texte a rencontré une forte opposition jusque dans les rangs de la majorité. La plupart des organisations syndicales et étudiantes se sont opposées au texte et ont appelé à la grève et à une journée de mobilisation le mercredi 9 mars.

La présentation du texte en Conseil des ministres initialement prévue le même jour a donc été repoussée au 24 mars afin de laisser le temps au Gouvernement de consulter les partenaires sociaux et d’apporter des modifications. La nouvelle version de l’avant-projet de loi a été présentée aux partenaires sociaux le 14 mars par le Premier ministre qui a assuré avoir « entendu [les] interrogations sur certaines dispositions« . La Ministre du Travail a présenté la version finale du projet de loi en Conseil des ministres le jeudi 24 mars.

Le texte a désormais entamé son parcours parlementaire. Le Gouvernement a opté pour la procédure d’urgence et souhaite faire adopter le texte avant la fin de la session parlementaire en juillet.

Quelles dispositions prévues dans le premier texte ont été modifiées par le Gouvernement ?
Plusieurs dispositions phares de l’avant-projet de loi initial ont été modifiées par l’exécutif. Quelques exemples :

  1. Le barème des indemnités prud’homales. Le premier texte prévoyait de fixer un barème définissant les indemnités maximales payées par un employeur à son employé en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elles étaient fixées à 3 mois de salaire pour un salarié ayant une ancienneté inférieure à 2 ans, 6 mois de salaire entre 2 et 5 ans, 9 mois de salaire entre 5 et 10 ans, 12 mois entre 10 et 20 ans et à un maximum de 15 mois au delà de 20 ans.

    Cette mesure a été retirée et c’est le barème indicatif qui était prévu dans la loi Macron qui va être appliqué par décret. Avec ce dispositif, le juge conserve le pouvoir de fixer librement le montant des indemnités : libre à lui d’appliquer ou non le barème.

  2. Le licenciement économique. Aujourd’hui, il appartient au juge de définir le licenciement économique. En se basant sur la jurisprudence, le projet de loi prévoit de clarifier les critères du licenciement économique. Il donne la possibilité pour une entreprise de procéder à des licenciements économiques par exemple en cas de baisse du chiffre d’affaires pendant plusieurs trimestres consécutifs (il n’y a pas de chiffre arrêté dans le projet de loi à ce jour). Ces difficultés économiques sont appréciées au niveau national et non au niveau mondial, ce qui peut laisser craindre de voir certains grands groupes globalement prospères organiser des licenciements boursiers en France. Le Gouvernement a donc décidé de modifier cette disposition et le juge devra donc s’assurer que les grands groupes ne puissent pas « provoquer artificiellement des difficultés économiques sur leur site français pour justifier un licenciement ». 

  3. La mise en oeuvre du forfait-jour dans les PME : Dans la première version du texte, les entreprises de moins de 50 salariés pouvaient imposer le forfait-jour ou moduler les astreintes sans accord collectif préalable. Ces entreprises devront finalement trouver un accord. S’il n’y a pas de représentation syndicale, la loi prévoit la possibilité de désigner un salarié qui pourra négocier avec l’entreprise.

  4. Le temps de travail des apprentis : Le premier texte permettait à un employeur de faire travailler un apprenti jusqu’à 10 heures par jour et 40 heures par semaine (contre 8h par jour et 35 heures par semaine aujourd’hui) sans autorisation préalable de l’inspection du travail. Cette disposition a été supprimée et c’est le droit actuel qui s’applique : l’autorisation préalable et l’avis d’un médecin du travail sera nécessaire.

  5. La garantie jeune. Il s’agit d’un dispositif expérimenté dans certains territoires depuis 2013, réservé aux jeunes âgés de 16 à 25 ans non diplômés et qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation et en situation de précarité (ressources inférieures au plafond du RSA). Ce dispositif dure 1 an et comporte plusieurs volets : accompagnement personnalisé, stages en entreprises, aides financières, etc. Dans la nouvelle version du texte, ce dispositif devient un droit dans tous les territoires pour tous les jeunes concernés à partir de 2017.

  6. Les congés pour événements familiaux. La première version du projet de Loi Travail permettait aux accords d’entreprise de fixer librement la durée des congés pour événements familiaux (mariage, naissance, décès d’un proche, etc.). La nouvelle version prévoit que ces accords ne pourront pas fixer de durée inférieure à celles du code du travail.

Quelles dispositions ont été conservées ?

n revanche, plusieurs dispositions qui font débat sont conservées.

    1. La « mieux-disance » de l’accord d’entreprise : à ce jour, la loi oblige les accords d’entreprise à être plus favorables que les accords de branche ou les dispositions du code du travail dans de nombreux domaines. Mais elle permet également dans certains cas aux accords d’entreprise de déroger à l’accord de branche y compris dans un sens « moins favorable ». Par exemple, loi du 20 août 2008 donne la primauté à l’accord d’entreprise dans plusieurs domaines relatifs au temps de travail (contingent d’heures supplémentaires, repos compensateur de remplacement des heures supplémentaires, aménagement du temps de travail sur plus d’une semaine, conventions de forfait, journée de solidarité, compte épargne temps). Le projet de loi étend les domaines où l’accord d’entreprise pourra s’affranchir des dispositions de l’accord de branche ou du code du travail (sauf si ce dernier prévoit explicitement un minimum).

      Un exemple : la majoration des heures supplémentaires. Pour le moment, une entreprise doit prendre en compte les accords de branche avant de négocier la majoration des heures supplémentaires : l’entreprise ne peut pas descendre en dessous de ce taux. La réforme prévoit qu’un accord d’entreprise pourra permettre d’abaisser la majoration des heures supplémentaires jusqu’au seuil minimum légal de 10 % même si l’accord de branche prévoit un seuil plus important. Pour rappel, actuellement, la loi prévoit une majoration par défaut de 25 % pour les 8 premières heures supplémentaires travaillées et de 50 % pour les suivantes.

    2. Le temps de travail : Plusieurs dispositions du projet de loi Travail concernent le temps de travail. Par exemple, l’employeur pourra fixer le temps de travail hebdomadaire à 46 heures sur 12 semaines simplement avec un accord d’entreprise.

    3. Le référendum d’entreprise : Actuellement, pour qu’un accord soit valide, il doit recueillir soit la signature de syndicats ayant obtenu au moins 50 % des voix aux élections professionnelles, soit la signature de syndicats représentant 30 % des salariés mais à condition que les syndicats majoritaires ne s’y opposent pas. Le projet prévoit la possibilité pour les syndicats représentant au moins 30 % des suffrages de lancer un référendum auprès de tous les salariés pour tenter de faire valider un accord, contre l’avis des syndicats majoritairesDans un premier temps, cette disposition ne concernera que les modifications de la durée du travail, avant d’être « étendu aux autres chapitres du code du travail ».

Attention, cette liste n’est pas exhaustive ! Nous vous invitons à consulter le texte complet et à suivre les débats parlementaires pour vous faire un avis complet sur la Loi Travail.

Numéro 2

Se positionner

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.

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LE « POUR »

Offrir aux jeunes un monde d’opportunités et non de précarité

Billet rédigé par :

Myriam El Khomri

Ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social

Petits boulots, stages, CDD à la chaîne et certitude que leurs parcours professionnels seront beaucoup plus complexes que ceux de leurs parents : voilà la réalité éprouvée par une grande partie des jeunes au moment de leur entrée dans le monde du travail. Ces difficultés, ces barrières, je les ai moi-même connues il n’y a pas si longtemps, en tant qu’étudiante salariée puis au début de ma carrière professionnelle. Je sais la frustration qu’elles peuvent engendrer. Une frustration d’autant plus forte que la jeunesse d’aujourd’hui est créative, entreprenante, engagée et qu’elle veut pouvoir saisir toutes les opportunités qu’offrent notre monde et notre époque.

Ma volonté, avec l’ensemble du Gouvernement, est de faire tomber ces barrières tout en agissant pour les jeunes les plus exposés à la précarité. C’est une question de justice, mais c’est aussi un enjeu d’avenir. Un pays qui n’offre plus d’opportunités aux jeunes est un pays qui ne progresse plus, un pays qui s’assèche, un pays qui entérine son déclin.

Dès le début du quinquennat, nous avons lancé les emplois d’avenir pour proposer des alternatives professionnelles à des jeunes sans emploi ni qualification. Un emploi d’avenir, c’est un métier à temps plein, une formation et un accompagnement personnalisé. Au 31 janvier 2016, plus de 130 000 jeunes bénéficient de ce dispositif.

En 2014, nous avons réformé le statut des stagiaires pour qu’ils soient mieux rémunérés, pour qu’ils aient droit à des congés, pour que leurs expériences aient une réelle valeur-ajoutée pour leurs carrières et pour que les entreprises qui ont recours aux stages de manière abusive soient sanctionnées. Ces avancées concernent chaque année 1,2 millions de jeunes.

Depuis le début de l’année 2016, la Prime d’activité est déployée pour aider les travailleurs aux revenus modestes. Nous l’avons rendue accessible dès 18 ans pour que les apprentis et les étudiants qui travaillent puissent aussi en bénéficier. D’ores et déjà, près de 350 000 jeunes actifs perçoivent cette prime.

Les résultats sont sans doute perfectibles mais ils sont là : en 2015, le chômage des jeunes a enfin diminué, de 5%.

Cette année, avec la loi travail, je veux offrir de nouvelles perspectives et protections à tous les actifs et en particuliers aux jeunes. Je regarde les choses telles qu’elles sont : les règles actuelles du monde du travail ne protègent pas ceux qui en ont le plus besoin.

Aujourd’hui en France, on ne bénéficie pas des mêmes droits sociaux selon qu’on soit salarié d’un grand groupe, commerçant-artisan, chômeur, collaborateur d’une plateforme numérique ou créateur d’entreprise. C’est un problème lorsqu’on sait que 59 % des jeunes de 18 à 35 ans pensent changer de métier plusieurs fois au cours de leur vie et se tournent de plus en plus vers l’entreprenariat. Cette loi va ainsi créer un Compte personnel d’activité  pour tous, sans distinction de statut, qui regroupera le « compte personnel de formation », le « compte pénibilité » et un nouveau « compte engagement citoyen » pour valoriser ses actions bénévoles. Le CPA posera les bases d’un droit universel à la formation, proposera un accompagnement individualisé pour créer son entreprise et a vocation à intégrer à terme l’ensemble des droits sociaux et de la protection sociale. Pour les jeunes décrocheurs, le CPA prévoit par ailleurs un « droit à la nouvelle chance », qui permettra à tout jeune sorti sans diplôme du système éducatif de se former gratuitement et d’apprendre un métier.

Aujourd’hui en France, les incertitudes liées aux conditions de rupture d’un CDI favorisent l’accumulation de CDD de plus en plus courts et créent de l’hyper précarité. Pour les jeunes, et notamment les moins qualifiés d’entre eux, l’emploi stable est un Graal de plus en plus difficile à atteindre. En 15 ans, l’âge moyen pour l’obtention du premier CDI est passé de 22 à 27 ans. C’est cette réalité qui empêche les jeunes de se projeter dans une carrière, d’avoir accès à un logement ou à un prêt, d’avoir tout simplement accès à l’autonomie. Je veux donc apporter de la lisibilité et de la visibilité aux employeurs sur les conditions de licenciement pour favoriser l’embauche en CDI.

Je veux aussi que la Garantie jeunes – qui donne droit à une allocation de 460€ par mois et implique surtout un accompagnement très intensif dans la formation ou dans l’emploi pris en charge par le réseau des missions locales – devienne dès 2017 un droit universel pour tous les jeunes sans emploi, sans formation et en situation de précarité.

Comme le Premier ministre l’a annoncé le 11 avril 2016, toutes ces avancées vont être par ailleurs complétées par une série de mesures supplémentaires pour lutter contre la précarité des jeunes lors de leur entrée sur le marché du travail : sur-cotisation des CDD, aide financière équivalente à un prolongement des bourses pendant 4 mois après l’obtention d’un diplôme, droit universel à la garantie locative, revalorisation de la rémunération des apprentis les plus jeunes, ou encore, accès facilité à la couverture maladie universelle complémentaire pour les jeunes en rupture avec leur famille.

Ce que nous voulons inventer, dans un dialogue constructif avec toutes les organisations de jeunesse et plus largement l’ensemble des Français, ce sont les règles d’un monde du travail plus fluide, plus émancipateur pour tous nos concitoyens, plus protecteur pour les plus fragiles, plus moderne et plus en phase avec les espoirs des nouvelles générations.

LE « CONTRE »

Loi Travail : le salarié devient une variable d’ajustement…

Billet rédigé par :

Corentin QUILLERÉ

FIDL, le syndicat lycéen
http://www.fidl.org/

La lutte que nous menons tous contre la loi travail peut parfois paraître abstraite, tant ce texte s’est construit sur une base volontairement complexe.

Cette réforme aura pourtant des conséquences dramatiques sur nos conditions de travail.

Le texte de loi auquel le Gouvernement veut nous contraindre permettra au patronat de nous imposer ses conditions de travail comme bon lui semble, tout en ayant la possibilité de licencier sans avoir à se justifier.

 

Dégradation des conditions de travail

Dès l’entretien d’embauche le salarié n’est plus respecté.

Il est prévu que la visite médicale d’embauche, qui permet au futur employé un examen individuel, au plus tard avant la fin de sa période d’essai, soit remplacée par une simple visite d’information dont le délai ne sera plus garanti par la loi.

Le texte ne s’arrête pas là, et prévoit de donner la possibilité aux employeurs de faire travailler ses employés jusqu’à 46 heures par semaine maximum, contre 44 heures actuellement.

Cette mesure est encore une fois un moyen de réduire le nombre d’heures supplémentaires dues par l’entreprise à un salarié qui dépasse le volume horaire prévu par son contrat de travail et qui empiète sur sa vie privée.

La rémunération des heures supplémentaires est également mise à mal. En effet, actuellement, les huit premières heures supplémentaires sont payées :

  • 25% de plus que ce que prévoit le contrat de travail,
  • puis 50% de plus lorsque le salarié dépasse les huit heures de travail supplémentaires.

Avec la Loi travail, le montant des heures supplémentaires pourra être minorées jusqu’à 10% du salaire prévu par le contrat de travail.

 

Remise en cause du rapport de force entre salarié et employeur…

Les licenciements, qui restent une menace pour tout salarié est encore contrôlé par les Prud’hommes et les modalités de licenciement. En effet, lorsqu’un employeur décide de renvoyer un employé sans motif réel, s’expose à de lourdes sanctions.

Malgré l’écran de fumée sur le plafonnement des indemnités qui n’est plus qu’indicatif, une mesure subsiste : les indemnités pour un licenciement économique déclaré nul par les juges seront plafonnées à 6 mois de salaires et plus de 12 mois comme actuellement.

Le fait que ces mesures soient décidées par simple accord d’entreprise, renverse la hiérarchie des normes (Lois et règlements > Accords de branche > accords d’entreprise – les lois priment sur les accords de branche, qui eux-mêmes priment sur les accords d’entreprises NDLR) d’une part, et creuse les inégalités d’une entreprise à l’autre d’autre part.

 

La négligence dont fait preuve le Gouvernement face aux conditions de travail au détriment de la santé des travailleurs est inadmissible.

 

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