Mata Hari est-elle coupable ?

Numéro 1

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                                                      Procès historique organisé par

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Qui était Mata Hari ?
Margaretha Geertruida « Grietje » Zelle, dite Mata Hari (1876 – 1917) était une danseuse et courtisane Néerlandaise.

Mariée à 18 ans à un officier de la marine néerlandaise, elle part avec lui aux Indes néerlandaises, sur l’île de Java. Elle a avec lui deux enfants, dont l’un mourra empoisonné dans des circonstances mystérieuses.

Elle divorce en 1902, et vient vivre à Paris. Elle s’y fait remarquer par ses numéros de danse érotique, qui connaissent un vif succès. Elle a de nombreux amants.

Pendant la première guerre mondiale, elle est recrutée par le contre-espionnage français pour des missions de renseignement. Soupçonnée d’être un agent double à la solde des Allemands, elle est condamnée à mort et fusillée en octobre 1917.

A-t-elle été jugée et quel a été le verdict ?
Mata Hari a été jugée en 1917, suite à un télégramme allemand intercepté, qui permet d’identifier Mata Hari sous le nom de code H-21.

Son domicile est perquisitionné en février. Son procès dure 3 jours, et le substitut du procureur, un ancien amant, demande la condamnation à mort pour intelligence avec l’ennemi en temps de guerre. Mata Hari sera fusillée le 15 octobre 1917 à Vincennes.

Sa culpabilité a été remise en cause par de nombreux historiens, et la véracité des preuves et des faits souvent discutée.

Qui est la Fédération française de débat et d'éloquence ?

La Fédération Française de Débat et d’Eloquence (FFDE) est une ONG apolitique, areligieuse et asyndicale, dont l’objet social est d’assurer la promotion de la langue et de la culture françaises à travers la pratique du débat et des arts oratoires.

Tous les ans, elle organise le procès historique d’un homme du passé, rejugé pour l’occasion.

Numéro 2

Se positionner

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.

Avant le procès, quelle est votre opinion ?
LE « POUR »

La Défense

Billet rédigé par :

Céline Dogan

Etudiante en droit à l’antenne melunaise de l'université Paris II Panthéon Assas, Présidente de l’association Lysias organisatrice du concours de plaidoirie et d’éloquence

Stoïciens, inhumains, vous, affamées, décidés, à faire rimer, avec tragique, le destin de cette femme honorifique. Vous, je vous mets au défi et vous invite à rechercher un autre pion à votre pilori.

Madame le président, mesdames et messieurs les membres du tribunal,

Oeuvre du corps ou de l’esprit ? Un poème doit-il être seulement écrit ? La danse est un poème, ou chaque mouvement du corps est un mot.

Mata Hari, oeuvre vivante, bayadère exaltante, pionnière de l’existence épanouissante était passé maître dans l’art de l’expression poétique du corps.

Longuement ses bras s’élançaient en hommage à la déesse Shiva, de telle sorte à devenir une véritable prière vivante, une longue prière d’amour où tous les membres de son corps frissonnaient, virevoltaient, montaient jusqu’au firmament, vous faisant vivre de divins enlacements.

Elle s’offrait, se donnait, on la voyait s’infléchir, se tendre, se lever, tourner, graviter, se montrant de profil, de face, d’arrière. Présentant la ligne cambrée du dos, prolongé par la raie mystérieuse de ses cuisses, empoignant la salle telle une ivresse de hachich.

Une star naquit dont le nom de scène fut Mata Hari. Se produisant du musée Guimet, à l’Olympia, dont le sourire servait d’enseigne à la nuit qui commença.

Femme parmi ces femmes qui vous enflamment et vous libèrent de vos états d’âme. Oeil du jour qui illumine vos nuits, prêtresse au royaume du plaisir et de vos envies.

Héritière de la philosophie dans le boudoir, savant mieux que quiconque être naturelle à l’état de nature, ce joyau exotique façonna la belle époque.

Mais les coups de feu de la guerre sonnèrent le glas de ce bonheur prospère, arrachant de sa terre cette fleur de serre, rare et si chère.

Vouée à faner, son monde n’était plus, ah jadis son âme dansait bien au-delà des nues. Sa carrière commençant à pâlir, son contrat au théâtre de Berlin rompu, son retour en France impossible, elle fut contrainte de retourner aux Pays-Bas.

Sa beauté vieillissante ne lui permettant plus d’être une cocotte florissante, le sentiment d’inutilité et le désarroi ne lui laissait guère le choix.

Elle qui n’avait connu que le faste, les hôtels de luxe, et le raffinement ultime par la mode, son coeur frémit uniquement pour Paris ! Notre Paris ! Hollandaise de naissance, mais parisienne d’adoption !

Qu’il fut aisé ensuite pour le perfide consul allemand d’approcher cette femme en manque de lucidité, pour la faire devenir espionne, 20 mille francs suffisaient de faire miroiter.

Techniquement si vous proposez à un alcoolique de venir faire les vendanges avec vous, et cela même au fin fond de la campagne, il vous dit oui ! Il dit oui parce que c’est un abus de faiblesse !

Mais elle qui méprisait les Allemands, ceux qui lui avaient tout pris, voila l’occasion rêvée de les escroquer divinement.

Digne de la Nana de Zola, avec ardeur elle les dépluma. Pardonnez-moi de l’expression peu mondaine, mais cela relève d’un beau « coup de péripatéticienne ».

Chacune de ses gracieuses fourrures, chaque inestimable joyau, chaque voyant chapeau n’est en réalité qu’un agent allemand en moins, un sous-marin en moins, une cargaison d’arme en moins !

Si l’argent est le nerf de la guerre, ma cliente a été le parasite qui atrophia le nerf allemand ! Quelle vulgaire espionne dépeignez-vous donc là ! Elle était espionne oui, mais d’Opéra !

Celle qui fut trop voyante pour passer inaperçue, ne répondant qu’à ses impulsions les plus incongrues. Ne sachant rien de la production des usines d’armement, ni des divisions et encore moins des syndicaux en mouvement.

Celle qui, sans même vous en rendre compte vous a rendu tous espions, en quête de son secret de fascination.

Mesdames et messieurs, tout cela n’est qu’une vengeance minable ! Cette femme est uniquement là aujourd’hui car on cherche à se venger des sommes soutirées par celle-ci.

Réveillez-vous, vous jugez l’ennemi allemand ! Une ennemie que l’on a placée entre vos mains, pour vous faire réaliser le sale travail !

Le premier amour de cette femme fut la patrie ! Le dernier Vadim Masloff, un capitaine russe servant la France, pour lequel amour elle déversait à outrance. Loin des profondeurs de son regard océan, son corps était épris d’un incendie ardent. Ce jeune homme à qui la vareuse tsariste allait si bien, savait boire, jouer, et surtout jouir. « Da ». Elle qui dansait comme une Orientale, vivait comme une Russe, aimait comme une Française.

Pour sauver son fol amour criblé de dettes, elle eut mille fois vendues tout son corps, et son âme en fête.

Elle accepta la mission du contre-espionnage français pour la somme d’un million, sans savoir qu’elle tomberait dans ce sordide tourbillon. Lancée ainsi sans instructions, sans argent, sans appui, telle une charogne laissée à la vue des vautours.

Mata Hari ne pouvait de toute manière tomber que d’elle-même, car elle n’est seulement qu’une femme qui aime.

Passionnée, persuadée de servir sa terre d’accueil, elle fournit de précieuses indications sur la subversion au Maroc, sur ce que les Allemands savaient du travail adverse et surtout sans elle, comment aurait-on su que le chiffre français avait été brisé ?

Rougissez, elle a sauvé vos pères, vos frères, vos fils et vous oseriez la pourrir de vos vices ?! Cette femme est en vérité tout ce que les hommes aiment et détestent, car face à elle ils perdirent tous sur l’oreiller.

Utilisée par les hommes pour atteindre les autres. N’étant simplement que le gracieux appât du machiavélisme masculin.

Pourquoi aujourd’hui messieurs, voudriez-vous lui faire payer votre talon d’Achille humain ? On n’est jamais responsable des fantasmes que l’on suscite, pas moins des dessins malsains qui peuvent naître chez l’autre.

Pensez-vous que la victime d’un viol est responsable ? Violée, parce que trop belle ? Violée parce qu’une jupe est trop courte ? Je vous demande ainsi, Mata Hari, mérite-t-elle d’être ici ? Sa beauté est elle coupable ? Son charme est-il préjudiciable ? Ne devrions nous pas plutôt blâmer ceux qui brisent les vies ? Maudire ceux qui ciblent, orientent et manipulent des êtres à leur perte pour répondre à leur désir inassouvi ?

Condamnez Mata Hari, et vous acquitterez là le violeur.

LE « CONTRE »

L'Accusation

Billet rédigé par :

Ismail Ben Amor

Etudiant en droit à l'université Paris 2 Panthéon Assas

« Elle ressemblait à toutes ses maîtresses ; et le charme de la nouveauté, peu à peu tombant comme un vêtement, laissait voir à nu l’éternelle monotonie de la passion, qui a toujours les mêmes formes et le même langage.

On en devait rabattre, pensait-il, les discours exagérés cachant les affections médiocres : comme si la plénitude de l’âme ne débordait pas quelquefois par les métaphores les plus vides, puisque personne, jamais, ne peut donner l’exacte mesure de ses besoins, ni de ses conceptions ni de ses douleurs, et que la parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles. »

Si nous avions laissé la perversion aux livres, si Bovary était restée lettres du lyrisme romanesque. Nous ne serions point réunis en ce jour, dans l’antre de sentences humaines, pour juger des âmes si peu mortelles, qu’on se croirait la plume d’un Flaubert sanguinaire.

Ils la connaissent, cette dame. Vous la connaissez cette dame. Nous la connaissons, cette dame. Et c’est peut être en cela que réside la teneur de ce drame : quand ceux que nous acclamions dans nos temps de joie, nous lâchent impunément à nos heures sombres.

Parce que la trahison la pire n’est pas celle d’avoir joué, mais celle d’avoir aimé pour ensuite désavouer l’amour.

Mata Hari, Lady Mc Leod, Margaretha Geertruida Zelle ; je ne retiendrai qu’un seul nom : H21 : Nom de code d’un espion à la solde de l’Allemagne et à l’encontre des Français.

Je ferais abstraction de la légèreté impie du personnage pour ne m’intéresser qu’à l’agent double déraciné et vous livrer fidèlement la culpabilité objective d’un traitre à la nation.

Eté 1915 : naissance d’H21. Dans la demeure d’un riche colonel Hollandais, l’élue attend la visite du consul d’Allemagne, le général Cramer. Pour quelques 20 000 francs, elle est engagée pour ce qu’elle sait faire de mieux : séduire. « utiliser ses charmes » je cite « pour obtenir des renseignements stratégiques ».

Après avoir côtoyé quelques dizaines d’officiers et de fonctionnaires dont les cartes visites ont été retrouvées dans les affaires de l’accusé, H21 décide de rentrer en Hollande. 3 fois elle annulera son billet, 3 fois ces bateaux seront torpillés par l’ennemi.

Les anges sont ils si clément avec les traîtres ? Que Dieu nous préserve des coïncidences sataniques.

Tout de même, elle y parvient. mais l’escapade nostalgique n’est que de courte durée. Il est temps pour l’apprenti de devenir espion confirmé. C’est ainsi qu’en Mars 1916, H21 est envoyé à francfort pour une formation d’espionnage chez Elizabeth Chrakmuller plus connu sous le nom de Frolein Doktor. L’hollandaise qui se dit amie de la France devient une allemande convaincue. L’infidèle se construit, le renégat se forge : faites place à Judas.

De retour en France, l’espionne entame le jeu de la doublure et c’est notre honorable capitaine Ladoux qui sera sa première cible. Comme Juliette qui affriande Pâris après nuitées avec Roméo, elle amadoue, charme, berne :

Voilà qu’elle propose d’aller à Vittel pour y soutirer des informations. L’offre est alléchante pour notre capitaine d’autant que l’état major français y installe une base secrète de bombardement. C’est alors que le nouvel espion aux apparences très dévoué est envoyé pour des missions à l’est du pays.

Fort heureusement, la vigilance de nos services aura au raison des fourberies du renard :

[Présentation du témoin]

Madame est agent cadre des services secrets, elle a organisé les départs et filatures de tous les espions sous l’autorité du capitaine, c’est grâce à sa rigueur que H21, faux agents des services français fut pour la première fois démasqué :

[ Témoignage ]

La fourberie disait encore Shakespeare, ne se voit jamais de face qu’à l’oeuvre.

Elle retourne et propose cette fois-ci, toujours à sa proie favorite, de se rendre en Belgique, siège du grand commandement Allemand. Pour cela, elle réclame 1 millions de francs : Ladoux … accepte !

Triste choix.

S’il fallait illustrer l’erreur humaine dans sa nature la plus candide. C’est bien en la personne du capitaine Ladoux qu’elle est la plus sincère.

Oui, les faits étaient probant, le risque était de taille, Oui H21 aurait du être arrêté et mis en examen à l’instant même de son retour. Mais regardez messieurs l’état de nos terres, nos chances de réussite ne cessent de se réduire et un espion de cette envergure peut être un atout majeur pour la France.

Le capitaine fut aveuglé, l’espace d’un instant, par l’éclat de notre éventuelle victoire. Ses espoirs, en des temps si livides, auront pris le pas sur sa raison.

Bref, voilà que de passage à Madrid, elle renoue avec ses pères et entre en contacte avec l’attaché Militaire Allemand : le Major Kalle.

C’est ainsi que de l’erreur humaine, nous sauvera la faiblesse des sots : Visiblement lassé de ses services, l’attaché veut révoquer l’espion. Pour cela il envoie un télégramme à Berlin. Télégramme intercepté par la meilleure station de déchiffrage au monde : la tour Eiffel :  « H21, Nom de la gouvernante, adresse » à Il n’y a plus d’équivoque, l’espion qui se prétendait des nôtre se révèle être un félon au service de l’ennemi. Vous dansiez madame, j’en suis fort aise. Eh bien ! pleurez maintenant.

Mesdames, Messieurs les juges. Face à vous ce soir, un modèle. Icône qui engorge en son sein seins plus de haines que de peines. Un ami devenu traitre, un aimé devenu l’amant d’un ennemi. Parce qu’il y a derrière cet espion bien plus qu’une femme à l’esprit frivole. Parce qu’il y a derrière cet espion l’honneur et la dignité enragé de toute une nation. Je demande ce soir la condamnation de l’agent H21 encore connu sous le nom de Mata Hari à la peine capitale pour intelligence avec l’ennemi.

Et si encore la compassion vous démange la cavatine. Souvenez vous qu’il avait choisi l’honneur face à l’amour même :

Oui, mon esprit s’était déçu:
Je dois tout à mon père avant qu’à ma maîtresse;
Que je meure au combat, ou meure de tristesse,
Je rendrai mon sang pur, comme je l’ai reçu.
Je m’accuse déjà de trop de négligence.
Courons à la vengeance,
Et, tout honteux d’avoir tant balancé,
Ne soyons plus en peine,
Puisqu’aujourd’hui mon père est offensé,
Si l’offenseur est père d’un infidèle !
(Le Cid, Stances de Rodrigue)

Après le procès, quelle est votre opinion ?


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