Nucléaire : faut-il construire de nouveaux EPR ?

Débat construire nouveaux EPR
Projet d'EPR à Olkiluoto en Finlande

Dans le cadre d’un échange de visibilité, ce débat, réalisé par Le Drenche, a été préalablement publié sur LCI.fr

Numéro 1

S’informer

Qu'est-ce qu'un EPR ?
Les initiales EPR désignent le réacteur nucléaire pressurisé européen, en anglais European Pressurized (water) Reactor, puis Evolutionary Power Reactor.

Il s’agit donc du nouveau réacteur nucléaire européen, destiné initialement à remplacer les réacteurs nucléaires existants. D’une puissance de 1600 MW (contre 900 à 1300 MW pour les réacteurs existants), il a pour objectif d’améliorer la sûreté et la rentabilité des réacteurs existants, même si l’atteinte de ces objectifs reste à démontrer.

Des EPR sont-ils déjà en fonctionnement ? En construction ?
Ces nouveaux réacteurs nucléaires ne sont pas encore en fonctionnement.

A ce jour, il y a des EPR en construction :

  • A Olkiluoto en Finlande. Historiquement, il s’agit du premier projet d’EPR, dont la construction a débuté en 2005. Prévu à la base pour 2009, sa mise en service est prévue pour fin 2019.
  • A Flamanville en France. Débutée en 2007, sa construction a également pris beaucoup de retard. A ce jour, la mise en service est prévue pour 2020.
  • A Taishan en Chine. Deux réacteurs sont prévus (Taishan 1 et 2), dont la construction a commencé en 2010 et 2011. Taishan 1 est le premier EPR à avoir produit de l’électricité, depuis son raccordement au réseau en juin 2018.
  • Enfin, au Royaume-Uni, à Hinkley Point, ce sont 2 EPR qui sont prévus. Les travaux ont débuté en 2016, pour une livraison au plus tôt en 2025.
Pourquoi on en parle en ce moment ?
Le parc nucléaire français est composé de 58 réacteurs, dont les plus vieux datent des années 70 et les plus récents des années 90. Ces réacteurs ont une durée de vie en exploitation de 40 ans, qui peut potentiellement être prolongée sous réserve de validation de l’Autorité de sûreté nucléaire, et de plans de maintenance destinés à prolonger la durée de vie.

Mais cette prolongation pose des questions de sûreté, de savoir-faire, et de durabilité.

Face à la fin de vie programmée de ces réacteurs, plusieurs options s’ouvrent : construire de nouveaux réacteurs EPR destinés à remplacer les anciens, ou les remplacer par d’autres modes de production d’électricité (renouvelables, gaz, ou charbon).

Le gouvernement, qui devait prendre une décision à l’automne, a finalement annoncé repousser la décision à 2021.

Numéro 2

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LE « POUR »

De nouveaux EPR pour préparer l’avenir de nos enfants

Billet rédigé par :

Yves Egal et Jean-Luc Salanave

Membre de l'Association des Ecologistes Pour le Nucléaire, ingénieur conseil en développement durable retraité / Professeur et spécialiste des énergies dé-carbonées et du nucléaire
http://ecolo.org/intro/introfr.htm

Si la France doit construire de nouveaux EPR ce n’est pas seulement parce qu’on s’apprête à fermer Fessenheim. Ce n’est pas non plus parce qu’un récent rapport commandé par Nicolas Hulot juste avant son départ préconise de mettre rapidement 6 EPR en chantier. Ni parce que nos concitoyens auraient des craintes sur la sureté de nos 58 réacteurs : cela fait 40 ans qu’ils sont irréprochables et font de notre pays un champion de la transition énergétique vers un monde sans CO2. Ce n’est pas non plus pour imiter le Royaume Uni ou la Chine, qui vient de démarrer avec succès en juin dernier le 1er EPR de conception française à Taishan, qui va en démarrer un second et qui démarre actuellement un nouveau réacteur nucléaire tous les 3 mois. Ni pour rester dans la course dans un monde où 58 réacteurs sont en construction et 140 en projet.

Aucune autre technologie n’a autant d’avantages

Si nous voulons construire des EPR, c’est parce que nous n’avons pas de meilleur choix. Aucune autre technologie n’a autant d’avantages : fiabilité, économie, la meilleure sûreté de toutes les sources d’énergie, maîtrise de toutes ses catégories de déchets, autofinancement sans subventions, y compris pour les démantèlements futurs, recyclabilité de ses combustibles usés, non-intermittence de son électricité, compacité exceptionnelle (occupant 100 fois moins de place que le solaire ou l’éolien), durée de vie des réacteurs inégalée (sauf par l’hydraulique), et garant éprouvé de la stabilité du réseau.

Une durée de vie record

Pour remplacer nos centrales nucléaires après 60 ans de bons et loyaux services, quoi de mieux que des EPR, dont la durée de vie sera encore plus élevée, tandis que dans le même temps les cimetières d’éoliennes et de capteurs solaires auront dû être remplacés trois fois. Pour un pays aussi endetté que le nôtre, l’EPR est imbattable, malgré les surcoûts que lui infligent nos envies de sûreté souvent irrationnelles. L’EPR de Flamanville, un prototype qui a vu son coût gonfler à près de 11 milliards d’euros va produire plus de 800 térawattheures, soit 1,2 centimes d’investissement par kWh ! Bien moins que le meilleur coût d’investissement du kWh photovoltaïque le plus moderne dans le pays le plus ensoleillé d’Amérique latine. Face au problème climatique et aux besoins croissants en électricité de la voiture électrique et des nouveaux usages, quoi de mieux que des EPR ou d’autres réacteurs de 3ème génération pour préparer l’avenir de nos enfants ?

LE « CONTRE »

Transition énergétique : éviter les erreurs du passé

Billet rédigé par :

Jean-David Abel

Vice président de France Nature Environnement
https://www.fne.asso.fr/

EPR1 est un réacteur initié dans les années 1990 par une coopération franco-allemande et poursuivi par Areva et EDF. Des défauts de fabrication sur celui en construction à Flamanville (trop forte teneur en carbone de l’acier) ont été constatés sur des équipements clé de la sûreté2: le couvercle et le fond de la cuve, finalement acceptés sous conditions par l’Autorité de sûreté nucléaire ; des soudures des tuyauteries entre le réacteur et la turbine, toujours pas réglés selon l’ASN, ajoutant de nouveaux délais aux 6 années de retard sur le calendrier.

Une baisse du coût au prix de la sécurité ?

Le coût initial de l’EPR de Flamanville était de 3 milliards d’€ à son lancement, il est aujourd’hui annoncé par EDF à 10,9 milliards. La seule donnée que l’on possède sur le coût du kWh est fournie par l’accord entre EDF et le gouvernement du Royaume-Uni pour la construction de deux EPR, basé sur un prix garanti de vente du kWh par EDF plus de deux fois supérieur à celui du parc existant en France3. EDF annonce travailler sur un nouvel EPR, plus rapide à construire et moins cher de l’ordre de 30% que celui de Flamanville. Une telle annonce a de quoi inquiéter : la preuve est d’abord à faire sur la durée du bon fonctionnement de l’EPR et le risque est grand que la réduction du coût annoncée ne se fasse au détriment de la sûreté nucléaire. Ce ‘nouveau nucléaire’ resterait en tout état de cause beaucoup plus cher que les futures productions d’origine éolienne ou photovoltaïque.

La France s’obstine seule dans cette voie d’une primauté au nucléaire

Aujourd’hui, le nucléaire représente 10% de la production mondiale d’électricité, à peine 2% de la consommation d’énergie finale, et ne permet d’éviter que 2,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. L’énergie nucléaire est souvent évoquée en France, malgré les risques qui s’y attachent et le problème non résolu de la gestion des déchets, comme une solution au niveau mondial dans la lutte contre le réchauffement climatique. Si la France s’obstine seule dans cette voie d’une primauté au nucléaire, elle s’isolera donc chaque jour davantage des pays qui se sont engagés résolument dans une transition énergétique rapide fondée sur les trois piliers que sont la sobriété, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. La construction de nouveaux EPR ne se justifie en aucune façon.

Références :
1 – EPR : ‘European Power Reactor’ puis ‘Evolutionary Power Reactor’ après le retrait de l’Allemagne.
2 – Une telle rupture entraînant de façon certaine un accident grave ou majeur.
3 – Cour des comptes : « Le coût de production de l’électricité nucléaire – Actualisation 2014 », mai 2014.
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