Inégalités : faut-il bancariser les plus pauvres ?

Débat microfinance pour lutter contre les inégalités
Grameen Banque, Crédits : Vinayaraj

Numéro 1

S’informer

3 définitions pour tout comprendre : microcrédit, microfinance et inclusion financière

Microcrédit :
Le microcrédit consiste en l’attribution de prêts de faible montant à des entrepreneurs ou à des artisans qui ne peuvent pas accéder aux prêts bancaires classiques. Le microcrédit se développe surtout dans les pays en développement, où il permet de concrétiser des microprojets, mais se pratique aussi bien dans les pays développés ou en transition.

Microfinance :
Les services de microfinance fournissent un ensemble de produits financiers (comptes bancaires mobiles, services de paiement, microcrédits, etc.) aux personnes exclues du système financier classique. Ils s’adressent en général aux habitants pauvres des pays en développement.

Inclusion financière :
L’inclusion financière (ou finance inclusive) est l’offre de services financiers et bancaires de base à faible coût pour des consommateurs en difficulté et exclus des services traditionnels. Elle s’oppose à l’exclusion financière, parfois aussi appelée exclusion bancaire.
Le terme «inclusion financière» englobe la microfinance et le microcrédit.

Quelles sont les différentes expériences notables de microfinance ?

En 1976, Muhammad Yunus, né dans une famille pauvre du Bangladesh, fonde la Grameen banque, première institution de microcrédit, permettant aux plus pauvres d’avoir accès au crédit. Il y en a aujourd’hui plus de 10 000 dans le monde. Il reçoit le prix Nobel de la Paix en 2006, donnant ainsi une visibilité forte et une consécration pour le microcrédit.

En 2003, Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU, fait des outils de l’inclusion financière une des priorités de l’ONU pour le développement. Il souhaite donner accès à tous les ménages et entreprises à une large gamme de services financiers : épargne, crédit, hypothèques, assurances, pensions, paiements, virements, etc.

Pourquoi ça fait débat ?

Parallèlement, si la pauvreté se réduit, les inégalités mondiales ont tendance à augmenter.
Certaines voix s’élèvent pour critiquer l’impact des outils de l’inclusion financière ; au fond, faut-il chercher à tout prix à faire entrer les plus pauvres dans le même moule bancaire ? Est-ce le meilleur moyen de réduire les inégalités ? Est-ce que ces outils réduisent tout simplement les inégalités, ou ne font-ils que les aggraver ?

C’est pour toutes ces raisons que nous organisons ce débat.

Sources : Rapport « Services publics ou fortunes privées ? » d’Oxfam (2019)

Numéro 2

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LE « POUR »

La microfinance : un outil efficace contre les inégalités

Billet rédigé par :

Emilie Poisson

Directrice Exécutive de Convergences, plateforme de réflexion, de mobilisation et de plaidoyer pour les Objectifs de développement durable de l'ONU
http://www.convergences.org/

Une croissance forte du secteur encore émaillée de crises graves et de faillites, des institutions de microfinance (IMF) efficaces économiquement et performantes socialement, mais ne survivant parfois que grâce aux fonds publics, des inquiétudes et des controverses sur le risque de dérives sous contrainte de pérennité financière vers des créneaux visibles et rentables comme les petits entrepreneurs urbains ou sur les risques intrinsèques au secteur de décapitalisation ou surendettement des plus pauvres…

Un outil pour sortir de la pauvreté

Une chose est certaine, la microfinance est au cœur de nombreux questionnements et débats. Pour autant, et sans en exagérer l’impact, la microfinance demeure, sous certaines conditions, un outil efficace de lutte contre la pauvreté et les inégalités.

En effet, permettre la sortie de la pauvreté de près de 2 milliards de personnes n’ayant aucun accès aux services bancaires est une priorité et la microfinance est un des outils pour y parvenir. M-PESA, institution de microfinance (IMF) kenyane, a permis à 2% de la population kenyane de sortir de la pauvreté (1) sur une période de 8 ans d’après une étude d’impact de Tavneet Suri, économiste au MIT. Corroborant ces résultats, une étude visant à évaluer l’impact du microcrédit personnel en France (2) révèle qu’un emprunteur sur deux affirme avoir amélioré ou protégé sa situation professionnelle grâce à ce type de microcrédit.

Un moyen de lutter contre l’exclusion bancaire féminine

La microfinance peut également contribuer à la réduction des inégalités et de l’exclusion, des femmes notamment. Comme le révèle le Baromètre de la Microfinance 2018, c’est particulièrement le cas pour les IMF d’Asie du Sud, qui continuent de servir presque exclusivement des femmes, qui constituent 92% de leurs emprunteurs. Dans cette région, et en partie grâce à l’action de ces IMF, l’écart dans l’accès aux services bancaires entre les femmes et les hommes est passé de 18% en 2014 à 11% en 2017.

Un impact social fort par l’éducation et la formation

Enfin, au-delà de la mission d’inclusion financière que s’est donnée la microfinance, c’est bien par l’éducation et la formation que cette finance tire son impact social. Bien plus que de simples organismes de crédits, les IMF proposent, bien souvent, des services non financiers parmi lesquels on retrouve des services d’orientation pour l’emploi, de formation, financière et entrepreneuriale, etc.

En permettant de donner les capacités aux emprunteurs de créer une activité, en les soutenant dans leurs démarches administratives, et en les accompagnants dans leur éducation financière, la microfinance, sans être une solution miracle, contribue à la réduction de la pauvreté et des inégalités.

Références

(1) Tavneet Suri, William Jack, 2016
(2) Étude d’impact du microcrédit personnel, Caisse d’Epargne, 2012

LE « CONTRE »

Ce sont surtout les exigences du capitalisme financier

Billet rédigé par :

Isabelle Guérin

Directrice de Recherche de l'Institut de Recherche pour le Développement

Concevoir des outils financiers accessibles à tous, adaptés à la diversité des besoins et à des coûts raisonnables est une nécessité. En revanche, imaginer que la finance puisse, à elle seule, lutter contre les inégalités est un leurre.

La microfinance : un leurre

C’est d’autant plus illusoire qu’un grand nombre de politiques dites d’ « inclusion financière », supposées lutter contre la pauvreté et les inégalités, répondent surtout aux exigences du capitalisme financier : les services servent en priorité à couvrir les coûts et assurer la pérennité voire la rentabilité de leurs promoteurs plutôt que le bien-être de leurs usagers.

Les personnes ont besoin de crédit, parfois pour consolider ou démarrer une entreprise, mais aussi se loger ou simplement boucler les fins de mois. Très rares sont celles qui parviennent à sortir de la pauvreté et se créer un emploi grâce au crédit, surtout lorsque les taux d’intérêt sont élevés et les modalités de remboursements rigides. Bien souvent, les personnes sont déjà endettées, mais en dehors des circuits financiers classiques. Leur proposer un crédit ne fait qu’aggraver leur endettement.

Un système qui fragilise les pratiques locales

Les personnes ont besoin d’épargne pour faire face aux aléas du quotidien ou prévoir l’avenir. Là encore, elles n’ont pas attendu les politiques d’inclusion financière pour se protéger : elles ont souvent de multiples pratiques d’épargne en nature (bijoux, céréales, métaux précieux) ou informelles (tontines, dons contre dons, garde-monnaies).
Les inciter à se tourner vers les circuits monétaires et bancaires peut fragiliser ces pratiques locales de stockage et de circulation de la richesse, or celles-ci sont souvent mieux adaptées aux réalités locales et participent au maintien des liens sociaux. Lorsqu’en plus l’épargne monétaire bancaire est réinjectée ailleurs, au profit de territoires plus attractifs, cela ne fait qu’appauvrir les économies locales.

Améliorons d’abord les systèmes de soin et renforçons les démocraties

Les personnes ont également besoin d’assurance santé, vieillesse, ou décès, mais elles ont surtout besoin de dispensaires, d’hôpitaux, de médecins et de médicaments. Faire payer des assurances sans améliorer les systèmes de soin est inutile.
Lorsqu’elles migrent, que leur famille est dispersée ou qu’elles vivent dans des zones reculées, les personnes ont également besoin d’outils rapides et bon marché pour envoyer ou recevoir de l’argent. Les paiements digitaux par téléphone portable peuvent ici être utiles, mais ils permettent d’exercer des contrôles inédits sur la vie privée et représentent une menace peu questionnée sur la démocratie, notamment dans les pays qui en sont dépourvus.

Loin de lutter contre les inégalités, l’ « inclusion financière » peut donc surendetter les populations, fragiliser les liens sociaux, appauvrir les économies locales ou menacer la démocratie.
Il faut imaginer des services financiers réellement adaptés aux besoins des populations et des territoires, mais surtout proposer des politiques d’emploi, de santé et de protection sociale et construire ou protéger la démocratie.

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