Faut-il privatiser certaines routes nationales ?

Route nationale

Numéro 1

S’informer

Qu'est-ce que sont les routes nationales, les fameuses RN ?

En France, les routes nationales sont des voies importantes ou qui traversent de larges portions du territoire, par opposition aux routes départementales ou communales. Leur usage est gratuit, sauf lors du franchissement de certains ouvrages d’art soumis à péage. Elles sont ouvertes à tous les véhicules (y compris les vélos), sauf sur certaines sections ayant le statut de voie express.

La construction, l’entretien et l’exploitation de ces voies sont à la charge de l’État ; jusqu’en 2006, les directions départementales de l’Équipement en étaient chargées.  En 2006, en application d’une loi de décentralisation, une grande partie des routes nationales a été transférée au profit des départements et ont été déclassées en routes départementales.  Les conseils départementaux en assurent désormais la gestion complète.

Le nouveau réseau routier national est donc beaucoup moins dense depuis ce transfert : il est passé de 30500km à 10500km. Et l’État a réorganisé ses services routiers et désormais :

Jusqu’à aujourd’hui, sauf cas particuliers et très encadrés, l’aménagement ou l’entretien des routes nationales ne pouvaient pas être délégués à des entreprises privées.

Quelles différences avec les autoroutes ?

L’article L. 122-1  du code de la voirie routière définit les autoroutes comme suit : « Les autoroutes sont des routes sans croisement, seulement accessibles en des points aménagés à cet effet et réservées aux véhicules à propulsion mécanique »

Les autoroutes, comme les routes nationales, font partie des voies du domaine public routier national. Mais ce qui les distingue, c’est que la gestion des autoroutes peut être concédée ! En effet, le code de la voirie routière précise que même si l‘usage des autoroutes est en principe gratuit, l’état peut prévoir l’institution de péages mais aussi la délégation de ses missions de service public autoroutier à des entreprises privées. C’est d’ailleurs ce qui est fait majoritairement : environs 75% du réseau autoroutier français sont exploités sous le régime de la concession.

Pourquoi on en parle en ce moment ?

Deux amendements à la loi LOM ont ouvert la possibilité de déléguer la construction ou l’exploitation de portions de routes nationales aux sociétés d’autoroute.

Le premier amendement vient ainsi compléter l’article L.122-1 du code de la voirie publique par l’alinéa suivant : « Les autoroutes peuvent comporter des sections à gabarit routier, dans des conditions définies par décret en Conseil d’État et tenant compte notamment de contraintes topographiques. »

Il ajoute également un texte après un paragraphe de l’article L122-4 consacré aux ouvrages ou aux aménagements non prévus au cahier des charges de la délégation mais qui peuvent être intégrés sous condition de leur nécessité ou de leur utilisé. Ce texte précise que : « Ces ouvrages ou ces aménagements peuvent porter sur des sections à gabarit routier ayant pour effet de fluidifier l’accès au réseau autoroutier. »

Le second amendement complète l’alinéa 77 du texte initial du projet de loi : « […] l’État ne renonce pas pour autant aux projets de grandes liaisons ferroviaires interurbaines (amélioration d’itinéraires existants, lignes ou sections nouvelles, matériel roulant, etc.) et aux projets de compléments ponctuels du maillage autoroutier (en particulier pour des enjeux de sécurité routière, de désenclavement et de congestion)» est complété par les mots : « , le cas échéant en faisant porter par une délégation de service public autoroutier existante la création ou l’aménagement d’infrastructures à gabarit routier ayant pour effet de faciliter, sécuriser ou fluidifier l’accès à une autoroute ou aux itinéraires qui la prolongent. ».

Pour résumer, ces amendements changent deux choses importantes. La première, c’est qu’ils modifient la notion d’autoroute. Selon des conditions qui seront définies par décret, certaines routes disposant d’un gabarit routier (2×1 voie et limitée à 80km/h d’après l’exposé sommaire) pourront être classées comme autoroutes et donc être concédées. Ensuite, ils élargissent les possibilités pour les concessionnaires d’autoroute d’adjoindre des portions de routes nationales à leurs concessions si ces dernières permettent de « faciliter ou fluidifier l’accès à une autoroute« .

Numéro 2

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LE « POUR »

Dessertes des territoires : autoroutes à gabarit routier

Billet rédigé par :

Joël GIRAUD

Député des Hautes-Alpes, rapporteur général de la commission des finances
http://joelgirauddepute.fr/

Une confusion a été largement entretenue sur la portée des amendements que j’ai fait adopter dans la loi d’orientation des mobilités. Il ne s’agit en effet pas de privatiser des routes nationales mais d’adapter notre droit des concessions sur deux plans :

1) Les autoroutes pourront avoir un gabarit routier … comme partout ailleurs en Europe : La France est un pays de normes, de préférence adaptées exclusivement aux zones urbaines et aux plaines. C’est ainsi qu’il y a trois ans, nous avons dû batailler pour supprimer une nouvelle norme réglementant les escabeaux de ramassage des fruits, … qui n’avait pas prévu qu’un verger puisse être dans un terrain en pente, en montagne… Ubu roi !

Une autoroute à péage pourra avoir un gabarit routier en France et ce sont les territoires les plus isoles qui y gagnent

Il en est de même pour les autoroutes. En France, la norme est d’avoir une 2×2 voies séparées avec bande d’arrêt d’urgence pour une autoroute. Dans toute l’Europe, on a su s’adapter à la géomorphologie des territoires, aux contraintes environnementales, au niveau d’acceptabilité des populations mais aussi aux contraintes financières quand la rentabilité n’est pas au rendez-vous. C’est ainsi qu’en Autriche, en Suisse, en Italie, en Allemagne … l’on a par exemple en montagne des autoroutes à 2×1 voie avec une 3ème voie dans les montées, donc des autoroutes à gabarit routier. Ces itinéraires ont permis de désenclaver des régions entières là où de petites routes sinueuses de fond de vallée n’assuraient plus le rôle de liaison sures et rapides pour les populations. Il fallait, en France, une loi pour déroger à cela. C’est désormais chose faite. Une autoroute à péage pourra avoir un gabarit routier en France et ce sont les territoires les plus isoles qui y gagnent.

Cela soulagera l’Etat ou les départements de financer ce type d’investissement

2) Les autoroutes pourront être prolongées par des axes à gabarit routier financés par la concession et ayant pour objet une desserte des territoires : Actuellement, il est possible d’adosser à une concession autoroutière, un prolongement par une autoroute dans des conditions très strictes (l’adossement est en général de 10 à 30 km) encadrées par les textes européens et la jurisprudence du Conseil d’Etat. Mais il était impossible d’adosser à une concession par exemple un pôle multimodal ou un raccordement routier vers une rocade de ville ou un axe structurant. Les amendements que j’ai fait adopter l’autorisent désormais et cela soulagera l’Etat ou les départements de financer ce type d’investissement dont ils pourront par ailleurs conserver la jouissance et l’entretien s’ils le souhaitent.

Et pour que la jurisprudence du Conseil d’Etat soit intégrée dans la loi, la notion de « desserte des territoires » (donc de désenclavement) sera un des critères pour juger de la pertinence d’un adossement. Cela permettra pour illustrer mon propos, de prolonger une autoroute comme l’A51 entre Marseille et les Alpes du Sud par une route d’accès à la rocade de Gap ou à la route départementale d’accès à la rocade de Gap ou à la route départementale d’accès à Briançon en faisant payer l’opération par la concession.

LE « CONTRE »

Privatisation des routes nationales : la poule aux œufs d’or des sociétés d’autoroute

Billet rédigé par :

Maxime Caillon

Secrétaire national du SNUITAM-FSU (Syndicat National Unitaire Interministériel des Territoires, de l’Agriculture et de la Mer – Fédération Syndicale Unitaire)
http://www.snuitam-fsu.org

Deux amendements de la loi mobilités adoptée le 18 juin dernier par l’Assemblée Nationale ouvre la possibilité d’un transfert des routes nationales aux sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA). Le premier complète le code de la voirie publique en précisant que les autoroutes pourront comporter des sections à gabarit routier (c’est-à-dire des routes comme les nationales).

Tout ceci ouvre la voie à une privatisation morceau par morceau du réseau routier national.

Le second porte sur la possibilité d’inclure dans les concessions des créations ou des aménagements d’infrastuctures de gabarit routier « ayant pour effet de faciliter, sécuriser
ou fluidifier l’accès à une autoroute ou aux itinéraires qui la prolongent ». Ainsi, en échange de travaux, les SCA se verraient offrir les routes d’accès à leur autoroute. Tout ceci ouvre la voie à une privatisation morceau par morceau du réseau routier national.

Ces amendements généralisent la pratique dite de l’adossemment qui jusque là devait être décidée par la loi au cas par cas. Elle avait déjà été mise en œuvre sous la présidence de François Hollande et nous en connaissons donc parfaitement les conséquences pour l’usager. Sous couvert d’accélérer la réalisation de travaux que l’Etat ne peut (ou ne veut) pas entreprendre, les SCA voient leur concession prolongée ou peuvent augmenter les tarifs des péages. Les deux possibilités ont été testées et elles conduisent au même résultat : l’aménagement coûte
plus cher à l’usager. Ainsi le plan de relance autoroutier de 2015 prévoyait d’allonger les concessions pour réaliser 3 milliards de travaux. Selon la cour des comptes, ces allongements rapporteront 15 milliards de recettes supplémentaires aux SCA.

Mais ceci est tout à fait logique : une entreprise privée est là pour gagner de l’argent

Autre exemple : le plan d’investissement autoroutier de 2016 a lui été financé par des hausses de tarifs. Les analyses de l’Autorité de Régulation des Activités Ferroviaires et Routières ont montré que dans 34% des projets, la hausse des tarifs n’était pas nécessaire et quand elle l’était, elle était excessive dans 40% des cas. Mais ceci est tout à fait logique : une entreprise privée est là pour gagner de l’argent, les SCA s’efforcent de rentabiliser les travaux qu’elles font pour l’Etat avant la fin de leurs concessions dans une dizaine d’années.

Pourtant les faits sont là : une politique publique volontariste de remise à niveau de notre réseau routier national, en très mauvais état selon l’audit de deux bureaux d’études suisses, coûterait moins chers aux usagers de la route que sa privatisation.

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