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La Catalogne doit-elle rester espagnole ?

Ce débat a initialement été publié sur The Rift, le site anglophone du Drenche, et il a été traduit en français par la Rédaction.

📋 Le contexte 📋

La Catalogne est une région qui se situe dans le Nord-Est de l’Espagne, proche des Pyrénées, à la frontière de la France et de l’Andorre. Sa plus grande ville est Barcelone, et la région est le 6e territoire le plus peuplé de l’Union européenne.

La Catalogne s’est vue attribuer le statut d’autonomie dans la Constitution espagnole de 1978 et les lois organiques datant de 1979 et 2006. Ces documents reconnaissent la Catalogne en tant que nationalité. La région dispose d’un mode de gouvernement propre, appelé la généralité de Catalogne, et composé d’un Parlement, un président (chef de gouvernement) et un Conseil exécutif.

Sources : Encyclopaedia Britannica, Catalan News

Le séparatisme catalan prend racine dans l’histoire de la région. Les premiers mouvements séparatistes remontent au XVIIe siècle, marqué par la révolte catalane contre l’Espagne en 1640. Ces mouvements ont resurgi au XIXe siècle, au moment de la forte industrialisation de la région et du retour de la langue catalane comme langue vivante.

Le mouvement indépendantiste s’est renforcé en 2010, lorsque parmi ses décisions, le Tribunal constitutionnel espagnol a annulé 14 articles du statut d’autonomie de la Catalogne de 2006. Il a considéré inconstitutionnelle notamment la référence à la nation catalane.

Les élections législatives en Catalogne en septembre 2015 font arriver une majorité indépendantiste au pouvoir. Carles Puigdemont est élu président de la généralité de Catalogne en janvier 2016, et il promet d’organiser un référendum sur l’indépendance de la région, qui finalement prend lieu en octobre 2017. Les tensions montent entre la Catalogne et l’Espagne, et les autorités espagnoles essaient d’empêcher le vote d’avoir lieu, y compris en utilisant le recours à la force.

Sources : Encyclopaedia Britannica, The Atlantic

Le référendum d’octobre 2017 a été violemment réprimé par les forces de l’ordre espagnoles, ce qui a renforcé le mouvement indépendantiste en Catalogne. Quand le Parlement catalan a voté la déclaration d’indépendance de l’Espagne, le Sénat espagnol a attribué des pouvoirs extraordinaires sur la Catalogne au président du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy. Les leaders du mouvement indépendantiste, dont Carles Puigdemont, ont fui en Belgique afin d’éviter les répressions pénales.

En mai 2019, Carles Puigdemont, poursuivi en Espagne et réfugié en Belgique, a été élu représentant au Parlement européen. Cependant, comme les autres représentants catalans, il s’est vu refuser l’accès au Parlement européen et l’attribution de son badge d’eurodéputé. L’accès a été refusé, car les noms des représentants catalans ne se trouvaient pas sur la liste transmise par les autorités espagnoles – car les représentants ne se sont pas déplacés en Espagne pour prêter serment (ils sont toujours poursuivis en Espagne), et les autorités espagnoles ont rejeté les déclarations papiers fournies par les nouveaux eurodéputés catalans. Cela a causé des controverses au niveau international, et 10 000 Catalans ont manifesté contre ces mesures devant le Parlement européen, lors de la séance plénière constitutive le 2 juillet.

Sources: EURACTIV, Ouest-France, Euronews

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Le « Pour »
Rafael Arenas
Professeur de droit privé international, Universitat Autònoma de Barcelona et ancien président de Societat Civil Catalana
C’est une question de droits

La phrase “la Catalogne doit-elle rester espagnole ?” sous-entend que la Catalogne et l’Espagne sont deux entités différentes, et cela n’est pas vrai : la Catalogne fait partie de l’Espagne, elle n’est pas une entité à part. Alors, la question à laquelle on se doit de répondre est : “l’Espagne devrait-elle être divisée en deux pays séparés, dont un serait la Catalogne ?” Ma réponse est non. 

La plupart de Catalans se considèrent comme Espagnols

Il n’y a pas de raison pour diviser le pays. La Catalogne peut être comprise uniquement comme une partie de l’Espagne. Ni l’histoire, ni la langue (l’espagnol est la langue maternelle pour plus de la moitié des Catalans), ni la culture ne justifieraient la sécession de la Catalogne. La plupart de Catalans se considèrent comme Espagnols, et moins de 50% d’entre eux ont déclaré la volonté de créer un Etat indépendant.  

Sûrement, une partie de Catalans souhaite l’indépendance, donc la question suivante a été soulevée : ces Catalans qui souhaitent l’indépendance, ne méritent-ils pas une réponse ? Cette question ne porte pas sur les droits des Catalans indépendantistes, mais sur les droits de tous les Catalans (y compris ceux qui voudrait que la Catalogne reste espagnole), ainsi que les droits de tous les Espagnols. 

Ce n’est pas une question de droit à l’indépendance, car il n’y a pas de droit à la sécession en Catalogne ; ni en prenant en compte le droit international, ni le droit national espagnol. 

Mais c’est en effet une question de droits de tous les Catalans qui veulent continuer à vivre dans leur propre pays. Nous, les Catalans, nous avons le droit de vivre en Catalogne en tant qu’Espagnols, en tant que citoyens et pas en tant qu’étrangers. 

La sécession d’une partie du territoire doit être approuvé par l’ensemble des Espagnols

De plus, la Constitution espagnole protège désormais tous les Catalans. Si une sécession avait lieu, la Constitution espagnole ne s’appliquerait plus en Catalogne. Si on prend en considération les lois promulguées par les nationalistes Catalans en septembre 2017, et qui présentent d’importantes lacunes du point de vue de la démocratie, les préoccupations portant sur la qualité démocratique d’une future République Catalane ne seraient pas sans fondement. 

Il est vrai que la Constitution espagnole peut être modifiée afin d’autoriser la sécession d’une partie de son territoire, mais cela doit être approuvé par l’ensemble des Espagnols. 

Alors, pour revenir à la question posée, la réponse est que les nationalistes Catalans ont le droit d’essayer de persuader les Espagnols qu’il serait mieux de diviser le pays, plutôt que de préserver son unité. Mais ce droit n’implique aucune obligation pour les Espagnols d’accepter cette division. 

Le « Contre »
Elisenda Paluzie
Présidente de l'Assemblée nationale catalane (ANC) et professeure d’économie, Université de Barcelone
La Catalogne : le droit d’être libre

En tant qu’organisation populaire du mouvement indépendantiste catalan, nous sommes favorables à ce que la Catalogne rejoigne la communauté internationale des nations libres. Les nations ont toujours demandé de s’auto-gouverner et de décider librement de leur destin. C’est notre souhait pour la Catalogne, et c’est à cette fin que nous travaillons, en utilisant des moyens pacifiques et démocratiques. 

Nous cherchons à exercer notre droit démocratique à l’autodétermination, un droit de tous les peuples

Après la transition sans conviction d’une dictature fasciste et des siècles de discrimination de notre peuple, notre culture et de notre langue, nous, les Catalans, nous avons pensé que cela changerait. Nous avons cherché un consensus avec l’Espagne pendant 40 ans, ce qui s’est finalement prouvé d’être impossible. Notre statut d’autonomie a été violé par le Tribunal constitutionnel politisé, après avoir été approuvé par les Parlements respectifs de l’Espagne et de la Catalogne, et par un référendum en Catalogne en 2006. Nous cherchons à exercer notre droit démocratique à l’autodétermination, qui est un droit de tous les peuples établi par la Charte des Nations Unies et d’autres traités internationaux que l’Espagne a signé et ratifié. 

Au lieu de choisir la voie démocratique, comme le Canada a fait avec le Québec ou le Royaume-Uni a fait dans le cas de l’Ecosse, l’Espagne a choisi la voie de la répression. Les votants pacifiques ont été brutalement réprimés par les forces policières espagnoles le 1er octobre 2017. Nos leaders sociaux et politiques ont été emprisonnés sous des fausses accusations de rébellion et de sédition, définies comme un “violent soulèvement” dans le droit pénal espagnol, selon lequel l’organisation d’un référendum non-autorisé ne peut pas faire objet de poursuites pénales. L’Espagne nous démontre ainsi que nous ne pouvons en aucun cas nous adapter à son Etat. Il n’y a pas de réforme à portée de vue, nos demandes légitimes tombent dans l’oreille d’un sourd et nous sommes soumis à la persécution politique. 

Nous refusons un traitement colonial au XXIe siècle

Dans notre capitale, Barcelone, le réseau des train de banlieue est contrôlé depuis Madrid, tout comme le port de mer et l’aéroport. 92% de décisions judiciaires en Catalogne sont rendues en espagnol. Les juges sont nommés par Madrid et ils n’ont pas l’obligation de comprendre notre langue. Nous vivons au XXIe siècle et nous refusons un traitement aussi colonial dans un Etat qui se présente comme “un des Etats les plus décentralisés dans le monde”. Tout comme nos confrères européens, nous voulons être traités comme les citoyens de 1e classe. Aucun être humain de ne devrait être traité comme un citoyen de 2e classe. 

Nous n’avons aucune querelle avec nos voisins espagnols. Nous voulons simplement décider de notre propre destin et vivre en paix. Nous souhaitons maintenir un lien d’amitié avec tous les Espagnols. Un lien basé sur la liberté et le respect mutuel. Un lien entre des nations libres.

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