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Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Nous avons besoin d’un nouveau principe démocratique
Jean-Luc Wingert
Co-fondateur du collectif Sénat Citoyen, auteur de « Le syndrome de Marie-Antoinette, que faire lorsque les élites ont perdu la tête ? »http://www.senatcitoyen.fr
Il faut régénérer le Sénat en le transformant en un Sénat Citoyen représentatif de la population française. L’objectif est de parvenir à une co-construction des politiques entre l’assemblée élue d’un côté et l’assemblée citoyenne tirée au sort de l’autre. Nous avons besoin d’élus légitimes, choisis en fonction de la stratégie de développement du territoire qu’ils défendent, mais aujourd’hui ils proposent surtout une stratégie de développement de leur propre carrière ! Ce problème est général dans les démocraties occidentales. Comment faire en sorte que les élus se soucient surtout de l’intérêt général plutôt que de garantir les intérêts des forces et lobbys qui contribuent à les faire élire ?
Il nous faut des citoyens tirés au sort qui questionnent et contrôlent les élus.
Une chambre composée par les gouvernés, ceux qui ressentent les effets des politiques mises en œuvre par les élus, doit pouvoir rendre des avis réfléchis sur les projets de loi et questionner le gouvernement sur les politiques menées. Pour cela elle doit pouvoir délibérer, bénéficier de moyens de s’informer et d’auditionner des experts. Ces citoyens œuvreraient à plein temps pour un mandat de 2 ans, indemnisés sur la même base que les députés, soit 5000€ par mois environ. Le Sénat dispose déjà de ces moyens : ne compliquons pas les choses et rénovons-le pour y mettre des citoyens désignés par tirage au sort, sans aucun surcout par rapport à son fonctionnement actuel.
Le fait de disposer de deux chambres ayant une légitimité et une composition sociologique distincte est précieux pour élaborer des politiques de qualité dans ce monde complexe. Le Sénat Citoyen continuera à améliorer les lois de l’Assemblée nationale, mais en se basant sur l’expertise citoyenne et en s’appuyant sur les travaux du CESE (Conseil Economique Social et Environnemental) qui restera consultatif. Nous aurons donc trois types d’acteurs intervenant dans le processus législatif : les élus, les citoyens tirés au sort représentatifs de la population française et les organisations de la société civile au CESE.
Comment être certain que le Sénat Citoyen sera entendu des élus ? Il ne disposera pas du dernier mot sur le vote des lois mais il pourra le cas échéant dissoudre l’Assemblée nationale à la majorité des 3/5ème, soit 60%. C’est une révolution conceptuelle indispensable pour sortir par le haut de cette crise de la démocratie représentative en Occident : si une large majorité des gouvernés après avoir délibéré et dialogué avec les gouvernants n’est pas satisfaite des politiques menées, cela ne montre-t-il pas qu’il y a un problème sérieux qui ne peut plus être ignoré ? Espérons que la France, jadis pays des droits de l’Homme et du Citoyen, saura de nouveau innover et montrer la voie.
Le tirage au sort ou la renaissance de l’imagination démocratique
Dimitri Courant
Doctorant en science politique, Université de Lausanne (IEPHI) et Université Paris 8 (CRESPPA)
La crise du gouvernement représentatif s’aggrave : record des taux d’abstention et des indices de défiance envers les politiciens, partis politiques désertés des militants… Ce système politique, à bout de souffle, hérité des révolutions du XVIIIe siècle, fût conçu contre la démocratie comme une aristocratie élective des riches bourgeois visant à remplacer l’aristocratie héréditaire des nobles. Mais une alternative se dessine : le retour du tirage au sort en politique. Depuis l’Athènes antique et jusqu’à Montesquieu ou Rousseau, ce mode de sélection était considéré comme étant de nature réellement démocratique, contrairement à l’élection définie comme oligarchique.
Utilisé pour les jurys et les sondages, le tirage au sort rouvre l’imagination démocratique, porté par des universitaires, des expérimentations et des militants. Après avoir fait ses preuves dans de nombreux pays à partir des années 1970 via des dispositifs délibératifs tels : les jurys citoyens (Allemagne, États-Unis, Japon…), conférences de citoyens sur les technosciences (Danemark, Royaume-Uni, Suisse, France…), sondages délibératifs ou encore les assemblées constitutionnelles (Canada, Islande, Irlande…) ; la sélection aléatoire est avancée comme pouvant être le mode de composition d’une des chambres du Parlement dans divers Etats [1].
En France, des chercheurs, comme Yves Sintomer, des politiciens, comme Montebourg, et des activistes, comme ATTAC ou Les Citoyens Constituants, proposent que l’on remplace les sénateurs par des citoyens tirés au sort. Aujourd’hui, les sénateurs ne sont pas élus au suffrage universel direct par l’ensemble du corps électoral mais par 160 000 grands électeurs. Le fait de tirer au sort cette chambre ne retirerait donc en rien une possibilité de vote aux citoyens. L’actuel Sénat est peu représentatif de la population en termes de sexe (21,9% de femmes), d’âge moyen (62 ans) ou de catégories socio-professionnelles. Sans compter les problèmes d’absentéisme, de lobbysmes, de détournement de fonds publics (six mises en examen), ou de non-respect du peuple (référendum de 2005).
Un Sénat composé de citoyens ordinaires tirés au sort donnerait une meilleure représentativité des français-e-s dans leur diversité. Cela introduirait véritablement la société civile en politique et permettrait à des populations ignorées d’avoir une voix : précaires, femmes, jeunes… Sans objectif de carrière politicienne ni de discipline de parti à suivre, ces sénateurs-citoyens sélectionnés impartialement n’auraient pas à tomber dans la politique-spectacle clivante, à sacrifier l’intérêt général à des fins électoralistes mais pourraient vraiment délibérer. La démocratie signifie le pouvoir au peuple, ce dernier devrait donc pouvoir prouver sa compétence et bénéficier de sa propre chambre.
[1] SINTOMER Yves (2011), Petite histoire de l’expérimentation démocratique. Tirage au sort et politique d’Athènes à nos jours, La Découverte, Paris.
Le tirage au sort citoyen : une fausse bonne idée
Je ne pense pas que le tirage au sort comme moyen de désignation de personnes exerçants le pouvoir législatif soit une bonne solution. Je considère même qu’il est dangereux.
Les Sénateurs tirent leur légitimité de l’élection même si elle n’est acquise que par environ 162.000 Grands Électeurs. Cette légitimité populaire est indispensable. Qu’il s’agisse des impôts, des questions pénales, de la filiation, du temps de travail, de l’âge de départ à la retraite, …, les lois qui sont votées ont une incidence directe sur notre quotidien. Il me semble alors impossible d’imaginer des Sénateurs tirés au sort légiférer sur des sujets aussi importants.
« La démocratie est le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres. » disait Winston Churchill, cette phrase s’applique complètement au système représentatif.
En France, depuis la Révolution Française, nous avons presque toujours pratiqué le bicamérisme qui est nécessaire au bon fonctionnement de notre démocratie. Les navettes entre les deux chambres permettent d’approfondir les débats et de trouver des équilibres.
Enfin, ne plus faire appel au suffrage risquerait de couper encore plus les Français de la politique. Nos concitoyens s’intéressent à la politique lors des élections et des campagnes électorales. Avec un tirage au sort et l’absence de débat, l’intérêt serait très faible pour nos concitoyens.
L’idée d’assemblée tirée au sort ne doit pourtant pas être totalement rejetée. Elle peut avoir son utilité, mais en tant qu’instance consultative. Un jury citoyen ou une assemblée consultative ayant pour but de faire des propositions au Parlement élu ou de donner son avis sur des projets de loi peut être utile.
Pour conclure, je considère que la solution à la crise de la démocratie ne se trouve pas dans le tirage au sort mais dans un fonctionnement différent des partis politiques, qui doivent se renouveler et être en phase avec la société. Toutefois, insuffler des mécanismes de démocratie participative dans notre système politique au niveau national ou local peut permettre d’associer plus nos concitoyens et d’éclairer les décisions. C’est dans ce cadre qu’il me semble utile de la développer.
La légende du « train de sénateur »
Jean-Pierre Bosino
Sénateur de l’Oise-Maire de Montataire
Trop vieux, trop masculin, trop conservateur, inutile… Ces qualificatifs ont souvent été associés au Sénat et son histoire, son élection au suffrage indirecte alimentent la légende du « train de sénateur ».
En effet, son mode de scrutin et la surreprésentation des zones rurales moins peuplées favorise plutôt la droite et abouti au fait que la chambre haute s’est souvent opposée à des textes emblématiques d’avancées de la société tels que le PACS ou encore le droit de vote des étrangers aux élections locales au début des années 2000.
La loi sur la parité, l’abaissement de l’âge des candidats de 35 ans en 1958 à 24 ans, et à partir de 2017, l’interdiction du cumul des mandats favorisent la féminisation et le rajeunissement du Sénat que nous appelons avec les élu-e-s communistes de nos vœux. Nous sommes d’ailleurs le seul groupe politique présidé par une Sénatrice.
Le bicamérisme est traditionnellement plus présent dans les états fédéraux où une chambre représente les états fédérés, à l’instar du modèle états-uniens. Et si je suis persuadé qu’il faut réformer le Sénat, je reste, avec ma formation politique, attaché au principe du bicamérisme.
Je m’associe aux écrits[1] de Nicole Borvo Cohen-Seat, Présidente du groupe Communiste Républicain et Citoyen au Sénat de 2001 à 2012, qui propose une seconde chambre composée de représentants des collectivités territoriales pour moitié et de représentants des « groupes sociaux » proposés par des organisations syndicales et associatives, élus au suffrage direct.
Ce nouveau Sénat examinerait des propositions législatives émanant directement des citoyens. Contrairement au Conseil Economique Social et Environnemental, il serait doté d’une plus grande légitimité dû à son élection au suffrage universel direct, et son pouvoir législatif.
Nous portons depuis plusieurs décennies l’exigence d’une VIème République, une république sociale, écologique, féministe, démocratique qui ne passe pas nécessairement par la suppression du Sénat mais par sa transformation vers un modèle où la participation citoyenne est centrale.
Mais notre réflexion sur la démocratie participative doit aller au-delà du Sénat et nous inciter à repenser l’intégralité de nos institutions.
[1] Réflexion sur le bicamérisme, Nicole Borvo Cohen-Seat, Juin-Juillet 2012