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Les conventions citoyennes sont-elles l’avenir de la démocratie ?

📋  Le contexte  📋

Une convention ou une assemblée citoyenne est un groupe de citoyens constitué temporairement en Assemblée, dans un but précis, et par opposition à une assemblée d’élus, qui siègent pour une période plus longue et dont c’est la principale occupation. 

Récemment, de telles assemblées ont été formées pour écrire une constitution, comme en Islande, ou donner un avis ou des recommandations sur un aspect particulier, comme en Irlande sur l’avortement et le mariage homosexuel, ou en France sur le climat.

Aujourd’hui en France, les conventions citoyennes sur le climat et la fin de vie sont organisées par le Conseil économique, social et environnemental (le CESE), une assemblée constituée de représentants sociaux, comme des associations, syndicats, patronat, etc.  qui siège au palais d’Iéna.

Institué par la constitution de la Ve République, le CESE, comme les conventions citoyennes, n’a qu’un rôle consultatif. Ce sont donc au Gouvernement, à l’Assemblée nationale ou au Sénat, de se saisir de ces travaux pour les transcrire ou non dans la loi.

Peu de temps après la Convention citoyenne pour le Climat, Emmanuel Macron a annoncé une nouvelle convention citoyenne dédiée à la question de la fin de vie. Malgré de nombreux débats sur la prise en compte des recommandations de la dernière convention citoyenne, ce choix du chef de l’État laisse présager que ce format pourrait devenir récurrent, voire habituel à l’avenir.

Alors les conventions citoyennes peuvent-elles devenir un pilier de l’avenir des démocraties ? On en débat…

🕵  Le débat des experts  🕵

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Le « Pour »
Claire Thoury
Présidente du Mouvement associatif et Présidente du Comité de Gouvernance de la Convention citoyenne sur la fin de vie
Le rôle des citoyens ne peut plus être réduit au seul geste électoral

On recense aujourd’hui plus de 250 expériences d’assemblées ou de jurys de citoyens tirés au sort à travers le monde. En France, alors que la convention citoyenne sur la fin de vie s’apprête à démarrer, ce dispositif a déjà fait ses preuves avec la convention citoyenne sur le climat.  Depuis qu’il a été réformé en 2021, le Conseil économique social et environnemental (CESE), s’appuyant sur les expériences passées est devenu le lieu de référence du déploiement de cet exercice démocratique.  

Cet outil émerge dans un contexte particulièrement sensible : les citoyens se désintéressent progressivement de la vie politique et démocratique, et le fossé entre les prises de décisions et la réalité de la vie quotidienne se creuse. En témoigne notamment le taux d’abstention record atteint lors du second tour des élections législatives de 2022 (46,23 %), qui démontre une perte de légitimité des institutions représentatives. 

La démocratie ne peut être qu’un simple mode de désignation des élus

Le rôle des citoyens ne peut plus être réduit au seul geste électoral. La démocratie ne peut  être qu’un simple mode de désignation des élus. Elle doit être continue, quotidienne, et offrir aux citoyens une pluralité de modes d’engagement. C’est dans cet esprit que l’objet « Convention citoyenne » révèle tous ses avantages. 

En réunissant au minimum 100 citoyennes et citoyens tirés au sort, venus de tous horizons, géographiques, sociaux, démographiques, professionnels, la Convention citoyenne assure la richesse des délibérations et la diversité des points de vue entendus. Elle transcende ainsi l’urgence de l’actualité et garantit le partage des opinions, permettant d’aller au bout de débats de société parfois clivants. 

L’objet de « Convention citoyenne » doit s’intégrer dans un ensemble institutionnel, en complément du Parlement qui légifère. Une des forces du dispositif est également sa capacité, grâce au tirage au sort, d’aller chercher la voix de celles et ceux qui ne s’expriment plus et leur (re)donner le goût de l’engagement. 

La convention citoyenne est ainsi parfaitement adaptée au sujet de la fin de vie, à la fois intime et collectif, qui suscite de nombreux débats dans notre société. Les citoyennes et citoyens tirés au sort vont pouvoir prendre le temps de la réflexion et de l’échange, notamment grâce aux auditions de personnalités et d’experts. C’est cette exigence et cette écoute attentive d’une pluralité d’opinions et de vécus, qui permettent aux conventions citoyennes de parvenir à une position commune, partagée, sur le temps long, qui doit ensuite irriguer l’action publique, et ainsi renforcer l’acceptabilité des décisions.

Le « Contre »
Geoffrey Grandjean
Professeur de science politique à l’Université de Liège et chercheur associé à l’École de droit de Sciences Po Paris
Contre le tirage au sort en politique

Loin d’être renvoyé aux calendes grecques, le tirage au sort est d’une étonnante actualité. On assiste à l’institutionnalisation progressive des assemblées citoyennes, comme en témoignent la Convention Citoyenne pour le Climat ou la Conférence sur l’Avenir de l’Europe. Le prisme de l’égalité nous permet de porter un regard critique sur ce mode de sélection aléatoire, en identifiant trois problèmes, parmi d’autres.

L’effet miroir entre les représentants et les représentés, recherché par le mode de sélection aléatoire des citoyens repose sur le présupposé selon lequel la sélection des personnes se fait sur la base de catégories socio-économiques, professionnelles ou géographiques, entre autres, censées refléter la diversité des idées présentes parmi les citoyens. Ce présupposé est fondé sur l’idée que les citoyens pensent d’une certaine manière en fonction de leurs catégories d’appartenance. Derrière ce présupposé, il y a un déterminisme majeur. L’échantillonnage statistique enferme les citoyens dans des cases : on présuppose par exemple que l’ouvrier représente certaines attitudes politiques et le patron d’autres attitudes politiques. Pourtant, le tirage au sort ne permet pas du tout de connaître les attitudes des citoyens. Dans cette perspective, le tirage au sort est un mode de sélection apolitique qui ne garantit aucunement une égale présence des attitudes politiques dans le débat public.

La participation volontaire des citoyens tirés au sort fragilise la représentativité recherchée

La participation volontaire des citoyens tirés au sort dans le cadre des assemblées citoyennes fragilise la représentativité recherchée. Il en découle une auto-sélection des citoyens aboutissant à la constitution d’une élite participative. Le tirage au sort favorise le remplacement d’une élite élue par une autre élite ayant l’intérêt, les moyens et le temps. Malgré leur dimension élitiste, l’élection et le tirage au sort incarnent cependant de manière différente, l’idéal d’égalité. D’un côté, l’élection favorise l’égalité des chances, les candidats se trouvant sur un pied d’égalité au départ de la compétition. D’un autre côté, le tirage au sort favorise l’égalité d’opportunité prospective puisque chaque participant à une égale probabilité d’occuper une charge politique. 

Le tirage au sort possèderait surtout des attributs neutralisants. Il créerait en effet une « fenêtre aveugle » dans le processus de sélection, moment pendant lequel aucun facteur humain n’interviendrait. Il impliquerait de ne pas devoir justifier la sélection des gouvernants, neutralisant le processus de sélection et ses résultats. Il aurait donc un effet de limitation de la concurrence entre élites. Pourtant, à y regarder de plus près, les vertus neutralisantes et égalitaires du tirage au sort sont liées. En effet, si le recours au tirage au sort permet à la notion d’égalité d’opportunité prospective de s’épanouir au sein d’un système politique, c’est en raison des attributs neutralisants de la sélection aléatoire. 

Au final, une mise en garde peut être formulée. Privilégier un système politique dont la finalité est de neutraliser les conflits politiques, dans le cadre des assemblées citoyennes, consiste à favoriser l’immutabilité de ce système. En effet, un système politique se caractérise par la remise en cause permanente des normes que se donne une société, favorisant par la même occasion le constant progrès de l’humanité. De ce point de vue, le tirage au sort n’est pas synonyme de progrès pour un système politique.

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