crédits photos : Warner Bros

La critique cinéma : Eyes Wide Shut

Ce débat a été réalisé en partenariat avec les rédacteurs de Ciné Maccro : un site qui propose une vision hétéroclite du cinéma.

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📋  Le contexte  📋

Bill Harford, mèdecin, mène une paisible vie de famille avec Alice, son épouse. Alors qu’ils rentrent d’une soirée mondaine organisée par une connaissance richissime, Alice lui révèle avoir eu le désir de le tromper quelques mois auparavant. Ébranlé par cette révélation, Bill quitte le domicile familial en pleine nuit et erre dans les rues de New York. Engagé dans une véritable odyssée nocturne, le médecin fréquente des personnages tous plus étranges les uns que les autres, jusqu’à découvrir quelque chose qu’il n’aurait jamais dû voir.

Genre : Drame

Réalisateur : Stanley Kubrick

Avec (entre autre) : Tom Cruise et Nicole Kidman

Durée : 2h39

Sortie : 15 septembre 1999 en France

Budget : 65 000 000$

Pour le tournage du film, Stanley Kubrick a fait recréer New York dans un studio près de Londres.

La scène de la morgue a été tournée dans une vieille usine de fabrication de bacon.

Le réalisateur a été contraint de recruter un coach matrimonial ayant la tâche de régler les problèmes de couple entre Tom Cruise et Nicole Kidman, et ainsi ne pas perturber le tournage.

🕵  Le débat des experts  🕵

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Le « Pour »
Thomas Garindorge
Critique pour Ciné Maccro
Dans un dernier soupir, l’apothéose

Une « oeuvre-testament » 

Eyes Wide Shut, c’est un miracle, la conclusion inattendue de la carrière d’un Kubrick fauché en plein vol, la première version du montage à peine achevée. Un miracle surtout par l’évidence même de son talent, un film où fond et forme se rejoignent pour créer la plus belle et la plus inespérée des oeuvres testamentaires.

Un long-métrage unique dans la filmographie kubrickienne

Souvent considéré comme un long-métrage ennuyeux, indigne de ses glorieux prédécesseurs, ​Eyes Wide Shut ​ souffre d’être, dans la filmographie de Kubrick, son oeuvre la plus singulière. Rarement en effet le réalisateur aura livré une oeuvre aussi lancinante, enivrante, hypnotique, à la lisière d’un rêve éveillé, ce qui, dans un cinéma empreint de pragmatisme, aura eu de quoi surprendre voire rebuter. Mais ici, aucune rupture dans la carrière du cinéaste : entre fascination pour la figure du double, interrogation sur la notion d’identité, travail sur l’utilisation de la musique, notamment classique, et cadres toujours savamment préparés et exécutés, ​Eyes Wide Shut ​ mérite amplement le sobriquet de kubrickien. ​ Pourquoi dès lors ce rejet d’une partie du public ?

Un mysticisme enivrant

Probablement parce que ​Eyes Wide Shut ​ porte intrinsèquement l’antithèse de ce qui a fait la renommée du cinéaste. Un film qui a déjoué les attentes des spectateurs et dont le mysticisme a tendu à rompre avec la froideur d’un Kubrick dont le succès s’est d’abord construit par sa manière d’aborder de front, sans détour mais non sans méandres, le spectre de ses obsessions et de sa vision du monde. Dans ​Eyes Wide Shut ​ , tout est caché, indicible, comme drapé d’un voile dont seuls s’échappent Tom Cruise et Nicole Kidman, formidable couple brouillant la frontière entre fiction et réalité et qui révèlent toute la nature du long-métrage. Nature ô combien fascinante autant que mystérieuse, qui ne demande qu’à voir son spectateur se laisser guider par un langoureux songe qui n’en finira pas de lui offrir tous ses secrets.

« fuck »

Loin de l’échec dont on lui a fait réputation, ​Eyes Wide Shut ​ peut au contraire se targuer d’être, dans le fond, l’un des films les plus riches de Kubrick, et dans sa forme, l’un de ses plus cryptiques. Un alliage délicat mais ici grandiose, qui offre à son cinéaste un ultime tour de piste, où il vient confirmer l’étendue de son génie et sa propension à toujours surprendre le spectateur. Et Kidman d’offrir à Kubrick son ultime pied-de-nez au l’Art qui l’a fait roi, et de conclure le film par ce simplissime : “​fuck »

Le « Contre »
Antoine Cassé
Critique pour Ciné Maccro
O Temps, suspends ton vol

Un film interminable

Douze ans après​ Full Metal Jacket, Kubrick revient pour un dernier baroud d’honneur avec​ Eyes Wide Shut au crépuscule du dernier siècle. Un film qu’il ne pourra jamais finir, lui qui décédera d’une crise cardiaque avant la fin du montage. Mais aurait-il dû le commencer, déjà ?

Adaptation d’un roman de Schnitzler,​ Eyes Wide Shut se veut comme une synthèse magnifique aussi bien thématique que stylistique de l’oeuvre du Kubrick. Pourtant, engluer dans un tournage de plus d’un an et demi, Stanley accouche en guise d’épitaphe d’une oeuvre lancinante (pour ne pas dire ennuyeuse) où lui semble aussi perdu que son personnage principal.

Une histoire floue

Le perfectionnisme de Kubrick le pousse régulièrement sur ce tournage a modifié le scénario au gré des prises d’un jour, ce qui explique sûrement ce flou artistique latent. On ne sait jamais vraiment où le film nous mène, et on ne sait jamais vraiment si lui-même le sait ; perdu dans l’immensité du postulat, on assiste avec les mêmes yeux incrédules l’errance d’un Tom Cruise bien loin de l’image que l’on se fait de lui.

Les acteurs justement tentent tant bien que mal de se dépatouiller dans un exercice aussi difficile que désarmant. Nicole Kidman, malgré le fait que la postérité aura surtout retenu le peu de lingerie qu’elle porte ici, propose sûrement la composition la plus intéressante du film, tandis que Sydney Pollack, qui remplace au pied levé Harvey Keitel, pour des raisons que l’éthique m’interdit de citer, démontre qu’il arrive tout de même à se dépatouiller.

Une fin indigne d’un génie du cinéma

Bien sûr, le portrait ici est fait au trait grossier. ​Eyes Wide Shut est loin d’être irregardable, et arrive même à être intéressant par moment. Mais force est de constater qu’il s’apparente à une déception tant on a la sensation d’assister à une sortie par la petite porte pour l’immense Kubrick, où le talent semble ici subir les affres du temps. Combien aimerait-on pouvoir dire “Ô Temps suspends ton vol”, tant on aurait aimé que sa carrière se termine sur les notes des Stones de ​Full Metal Jacket ; le baroud érotique (motivation première de bien trop de spectateurs ici) qu’est ​Eyes Wide Shut constituant malheureusement une fin indigne d’un des plus grands réalisateurs de l’histoire.

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