Pour ou contre le nouveau projet de loi sur le renseignement ?

Numéro 1

S’informer

Pourquoi une nouvelle loi ?

Le projet de loi sur le renseignement a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le mardi 5 mai, avec 438 voix pour et 86 voix contre.

Ce texte était défendu par le gouvernement au nom de la lutte antiterroriste, devenue une priorité après les attaques de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher en janvier dernier. Il est censé « donner aux services de renseignement les moyens à la hauteur des défis auxquels notre pays est confronté »,  notamment dans le domaine du numérique. La loi doit également permettre de donner un cadre légal aux moyens de renseignement modernes. En effet, la loi existante (relative aux interceptions de sécurité) date de 1991, époque à laquelle « il n’y avait ni portable, ni Internet ».

Toutefois, le texte définitif va au-delà de la lutte contre le terrorisme : il couvre également la lutte contre le crime organisé et l’espionnage industriel ou encore la prévention de la prolifération des armes de destruction massive.

Que contient cette nouvelle loi exactement?

Le texte de loi définit les techniques d’espionnage autorisées ainsi que les régimes d’autorisation et de contrôle associés.

Les techniques d’espionnage autorisées :

Les services de renseignement pourront recourir (entre autre) aux moyens suivants :

  • Les interceptions de sécurité : Les services pourront intercepter les conversations téléphoniques et les courriels de personnes préalablement identifiées ainsi que ceux de leur entourage. Pour cela, ils auront à leur disposition tout un arsenal : micros, logiciels-espions ou encore un accès direct sur les infrastructures des opérateurs.
  • Les « IMSI-catcher »  : Ces dispositifs, de la taille d’une mallette, permettent d’intercepter toutes les communications dans un périmètre relativement restreint (environ 500m).
  • Les algorithmes – ou boite noires : ces programmes informatiques pourront être installés sur les réseaux des opérateurs privés afin d’effectuer une surveillance de masse pouvant détecter d’éventuelles « menaces terroristes » par exemple, en fonction d’une suite de mots-clés tapés ou de sites consultés.

Les moyens de contrôle : 

La loi prévoit également des moyens permettant d’encadrer les interventions réalisées par les services. Elle prévoit notamment la création d’une « Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement ». Cette commission sera composée de 6 parlementaires, de 3 membres du Conseil d’État, 3 magistrats de la Cour de cassation et d’un spécialiste des questions électroniques.

La Commission sera consultée avant la mise en oeuvre des moyens disponibles, sauf en cas d’urgence. Elle disposera d’un délai de 24h pour émettre cet avis préalable. Toutefois, la Commission n’émet qu’un avis : les services du Premier ministre qui délivrent les autorisations pourront passer outre mais devront alors se justifier. En cas de désaccord, la Commission pourra saisir le Conseil d’État.

La mise en oeuvre d’une technique de renseignement à l’égard de certaines professions protégées (magistrats, avocats, journalistes) et des parlementaires est soumise à des conditions plus strictes (pas d’urgence, pas d’introduction au domicile, …)

A noter : la loi ne s’applique que pour les moyens mis en oeuvre en France. Elle ne donne pas de cadre légal aux interventions réalisées à l’étranger.

Quand entrera-t-elle en vigueur ?
La loi sur le renseignement n’entrera pas en vigueur immédiatement. Le texte voté en début de semaine prendra la navette parlementaire en direction du Sénat où il fera l’objet d’un examen au cours du mois de juin. Il sera ensuite négocié par les deux chambres (Assemblée et Sénat) en commission mixte paritaire puis présenté devant le Conseil constitutionnel. Celui-ci devrait rendre un avis d’ici la fin de l’été.

Numéro 2

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Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.

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LE « POUR »

Projet de loi sur le renseignement : peu de risque d'écoute de masse

Billet rédigé par :

Alain Charret

Chercheur associé au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), Rédacteur en chef de Renseignor.
http://www.renseignor.com

Rarement un tel projet de loi n’a fait couler autant d’encre. Il est vrai que le fait de parler d’écoutes et de surveillance électronique a de tout temps fait fantasmer.

 

Cela pourrait prêter à rire si le sujet n’était pas si grave. Mais ceux-là même qui ont dénoncé une pseudo faillite des services de renseignement après l’affaire Merah ou encore les derniers attentats de janvier 2015, sont les mêmes qui protestent contre ce nouveau projet de loi.

 

On oublie trop vite que la France est une démocratie et que ses services qu’ils soient policiers ou de renseignement ne peuvent pas pour le moment placer sous surveillance et/ou sur écoutes un citoyen français, ou étranger d’ailleurs, sans une raison clairement motivée. Le fait de revenir d’un séjour à l’étranger, quel que soit le pays, ne suffit pas. Il est donc important d’avoir enfin un texte qui prévoit, mais aussi qui encadre les pratiques des services de renseignement en matière d’écoutes et de surveillance High-Tech. Ainsi protégés, les spécialistes du renseignement pourront, sans craindre de déclencher un scandale en cas de fuites, utiliser une grande partie de l’arsenal technologique actuellement disponible pour surveiller tout terroriste potentiel. Car il s’agit bien là de lutter à armes égales contre des terroristes qui eux ne se privent pas d’utiliser la technologie du 21e siècle.

 

Ce projet de loi ne prévoit en aucun cas une écoute de masse comme certains pourraient le craindre. De toute façon, si les moyens technologiques pouvaient éventuellement le permettre les quelques centaines de spécialistes des services français seraient bien trop peu nombreux pour exploiter les données ainsi recueillies. Pour s’en convaincre il suffit d’observer ce qui se passe aux États-Unis où l’on peut considérer que la NSA procède bien, elle, à une écoute de masse. Malgré des effectifs estimés à plus de 20 000 personnes moins de 20 % des informations ainsi recueillies sont exploitées.

 

Gageons que ceux cités en début d’article sont parmi nos concitoyens qui sans vergogne nous font partager leurs communications téléphoniques passées depuis leur portable dans les transports en communs et autres lieux publics. Le danger y est bien plus grand. Car dans ce cas les informations parfois très sensibles ainsi recueillies par des oreilles malfaisantes auraient bien plus de conséquences que celles d’un agent de l’antiterrorisme qui a bien d’autres priorités que de s’immiscer dans la vie privée d’honnêtes citoyens.

 

LE « CONTRE »

Paradoxe de la loi renseignement : rendre légal ce qui est illégal

Billet rédigé par :

Cécile Coudriou

Militante à Amnesty International France
http://www.amnesty.fr/Unfollowme

L’Assemblée nationale vient d’adopter le projet de loi relatif au renseignement, présenté comme une réponse à la nécessité de protéger les citoyens et d’encadrer les pratiques des services de renseignement. Comment expliquer une opposition aussi unanime chez les ONGs de défense des droits humains comme Amnesty International, les acteurs du numérique, la CNIL, des professionnels du monde juridique et du journalisme ?

 

Si le Sénat vote le projet en l’état, cette loi reviendra à rendre légal ce qui est illégal au regard du droit international et européen, qui tous deux garantissent le droit à la vie privée. De plus, ce droit en conditionne d’autres, car lorsqu’on se sait surveillé, cela atteint aussi la liberté d’expression et d’association.

 

Amnesty International, en tant que vigie du respect de nos droits fondamentaux, enjoint donc les sénateurs et tous les citoyens à porter leur regard au-delà de cette promesse, illusoire, d’une plus grande sécurité pour prendre conscience des dangers qui pèsent sur nos droits.

 

Le gouvernement n’a cessé de nier qu’il s’agirait d’une surveillance de masse. Or, dès lors que l’on met en place des dispositifs comme des boîtes noires (qui aspirent toutes les métadonnées des internautes) ou des « IMSI catchers » (qui engrangent les appels téléphoniques), on sort de facto du champ de la surveillance ciblée pour entrer dans celui d’une surveillance généralisée. Ce sont des machines, avec un algorithme et des mots clés, qui passent au crible nos comportements sur Internet, cela implique une surveillance étendue, non-ciblée, et donc illégale.

 

D’autre part, le contrôle proposé reste insuffisant : la Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement donnera certes un avis mais uniquement consultatif et le recours au Conseil d’État en cas d’abus ne sera possible qu’a posteriori.

 

Enfin, les finalités de ce projet dépassent largement la lutte contre le terrorisme, avec la défense des « intérêts essentiels de la politique étrangère », « intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ». Des contours aussi flous permettent toutes les dérives : par exemple,  quelle interprétation pourrait être faite de l’action d’un lanceur d’alerte mettant en péril ces intérêts au nom de l’intérêt général ?

Face à de telles menaces sur nos libertés fondamentales, nous ne pouvons que nous opposer à cette loi et poursuivre la mobilisation.

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