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Projet de loi sur le renseignement : peu de risque d'écoute de masse
Alain Charret
Chercheur associé au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), Rédacteur en chef de Renseignor.http://www.renseignor.com
Rarement un tel projet de loi n’a fait couler autant d’encre. Il est vrai que le fait de parler d’écoutes et de surveillance électronique a de tout temps fait fantasmer.
Cela pourrait prêter à rire si le sujet n’était pas si grave. Mais ceux-là même qui ont dénoncé une pseudo faillite des services de renseignement après l’affaire Merah ou encore les derniers attentats de janvier 2015, sont les mêmes qui protestent contre ce nouveau projet de loi.
On oublie trop vite que la France est une démocratie et que ses services qu’ils soient policiers ou de renseignement ne peuvent pas pour le moment placer sous surveillance et/ou sur écoutes un citoyen français, ou étranger d’ailleurs, sans une raison clairement motivée. Le fait de revenir d’un séjour à l’étranger, quel que soit le pays, ne suffit pas. Il est donc important d’avoir enfin un texte qui prévoit, mais aussi qui encadre les pratiques des services de renseignement en matière d’écoutes et de surveillance High-Tech. Ainsi protégés, les spécialistes du renseignement pourront, sans craindre de déclencher un scandale en cas de fuites, utiliser une grande partie de l’arsenal technologique actuellement disponible pour surveiller tout terroriste potentiel. Car il s’agit bien là de lutter à armes égales contre des terroristes qui eux ne se privent pas d’utiliser la technologie du 21e siècle.
Ce projet de loi ne prévoit en aucun cas une écoute de masse comme certains pourraient le craindre. De toute façon, si les moyens technologiques pouvaient éventuellement le permettre les quelques centaines de spécialistes des services français seraient bien trop peu nombreux pour exploiter les données ainsi recueillies. Pour s’en convaincre il suffit d’observer ce qui se passe aux États-Unis où l’on peut considérer que la NSA procède bien, elle, à une écoute de masse. Malgré des effectifs estimés à plus de 20 000 personnes moins de 20 % des informations ainsi recueillies sont exploitées.
Gageons que ceux cités en début d’article sont parmi nos concitoyens qui sans vergogne nous font partager leurs communications téléphoniques passées depuis leur portable dans les transports en communs et autres lieux publics. Le danger y est bien plus grand. Car dans ce cas les informations parfois très sensibles ainsi recueillies par des oreilles malfaisantes auraient bien plus de conséquences que celles d’un agent de l’antiterrorisme qui a bien d’autres priorités que de s’immiscer dans la vie privée d’honnêtes citoyens.
Paradoxe de la loi renseignement : rendre légal ce qui est illégal
L’Assemblée nationale vient d’adopter le projet de loi relatif au renseignement, présenté comme une réponse à la nécessité de protéger les citoyens et d’encadrer les pratiques des services de renseignement. Comment expliquer une opposition aussi unanime chez les ONGs de défense des droits humains comme Amnesty International, les acteurs du numérique, la CNIL, des professionnels du monde juridique et du journalisme ?
Si le Sénat vote le projet en l’état, cette loi reviendra à rendre légal ce qui est illégal au regard du droit international et européen, qui tous deux garantissent le droit à la vie privée. De plus, ce droit en conditionne d’autres, car lorsqu’on se sait surveillé, cela atteint aussi la liberté d’expression et d’association.
Amnesty International, en tant que vigie du respect de nos droits fondamentaux, enjoint donc les sénateurs et tous les citoyens à porter leur regard au-delà de cette promesse, illusoire, d’une plus grande sécurité pour prendre conscience des dangers qui pèsent sur nos droits.
Le gouvernement n’a cessé de nier qu’il s’agirait d’une surveillance de masse. Or, dès lors que l’on met en place des dispositifs comme des boîtes noires (qui aspirent toutes les métadonnées des internautes) ou des « IMSI catchers » (qui engrangent les appels téléphoniques), on sort de facto du champ de la surveillance ciblée pour entrer dans celui d’une surveillance généralisée. Ce sont des machines, avec un algorithme et des mots clés, qui passent au crible nos comportements sur Internet, cela implique une surveillance étendue, non-ciblée, et donc illégale.
D’autre part, le contrôle proposé reste insuffisant : la Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement donnera certes un avis mais uniquement consultatif et le recours au Conseil d’État en cas d’abus ne sera possible qu’a posteriori.
Enfin, les finalités de ce projet dépassent largement la lutte contre le terrorisme, avec la défense des « intérêts essentiels de la politique étrangère », « intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ». Des contours aussi flous permettent toutes les dérives : par exemple, quelle interprétation pourrait être faite de l’action d’un lanceur d’alerte mettant en péril ces intérêts au nom de l’intérêt général ?
Face à de telles menaces sur nos libertés fondamentales, nous ne pouvons que nous opposer à cette loi et poursuivre la mobilisation.