📋 Le contexte 📋
Quand on pense à un parti politique, on pense spontanément aux Républicains, au Parti Socialiste, au Rassemblement National ou encore à La France Insoumise. Et lorsqu’on pense à un personnage politique, on pense spontanément aux figures nationales de ces partis. Cependant, ces partis politiques sont également présents à d’autres échelons. Au niveau supranational, puisqu’ils siègent au Parlement européen, mais également au niveau régional, départemental ainsi que communal. Ainsi, de nombreux maires appartiennent au RN, LR, PS, EELV…
Les partis politiques voient tous les municipales comme un enjeu important. Cet enjeu est d’abord financier. En effet, même si les partis ne reçoivent pas d’argent en fonction du nombre de candidats maires élus au sein de leur parti, chaque mairie dispose d’un budget qui pourra être utilisé pour promouvoir l’agenda du parti (de la mairie).
L’enjeu est ensuite de s’assurer un ancrage local avec une forte base militante, et des relais entre les habitants d’une ville et le siège du parti. C’est le rôle du maire, dont les actions et décisions ont souvent un impact fort et direct sur les habitants de la ville.
Quand on pense au clivage gauche-droite ou à la différence entre les programmes du RN et de LFI, on pense avant tout à des enjeux nationaux, des politiques étrangères ou des décisions économiques de niveau national. On peut donc se demander si les partis nationaux sont pertinents au niveau local. En effet, de plus en plus de maires « sans étiquette » sont élus, tandis que de nombreux maires sont « parachutés », n’ayant pas un ancrage local fort. Cependant, certains clivages nationaux comme la politique de mixité sociale ou vis-à-vis des transports en commun sont particulièrement pertinents au niveau local.
🕵 Le débat des experts 🕵
Depuis l’élection de 2017, le champ politique français s’est clairement fragmenté, et la bipolarisation de la vie politique, articulée autour du PS et de LR, n’est plus de mise. Les élections municipales, marquées par une abstention colossale et une disjonction hautement problématique entre le premier et le second tour, se prêtent mal à une analyse définitive quant à l’évolution de ce champ.
Toutefois, il est possible d’identifier quelques éléments : là où les maires sortants étaient à droite ou à LREM, des coalitions de gauche se sont souvent rassemblées – Marseille, Toulouse, Bordeaux, Bourges – qui pouvaient compter des membres d’EELV, de LFI, du PCF ou du PS.
Lorsque le maire sortant était au PS, deux types de clivage sont apparus, qui ont trait au rapport avec le PS.
En effet, même si le PS est considérablement affaibli au niveau national, il reste très implanté au niveau local, fort de ses décennies d’existence. EELV, souvent membre de ces majorités PS, a souvent choisi de les quitter au premier tour pour les rejoindre au second, si la liste EELV ne parvenait pas à vaincre le maire sortant : c’est le cas à Rennes, Brest ou encore Paris. À Lille, Martine Aubry a refusé le ralliement d’EELV. Dans ces cas de figure, la possibilité d’alliance avec le PS a souvent concouru à la formation de listes citoyennes ou de listes dirigées par des militants LFI. À Grenoble, où le PS a été battu en 2014, la coalition EELV-LFI l’emporte sans le PS, et fait figure d’exception au niveau national.
Le mouvement présidentiel, LREM, a soit tenté des alliances à géométrie variable, soit présenté des candidatures autonomes qui, à l’image de celle d’Agnès Buzyn à Paris, n’ont pas rencontré le succès espéré. Le « ni de droite ni de gauche » s’est en vérité transformé en « à droite » – dans 76 communes – et « à gauche » – dans 33 communes, à l’occasion du second tour. Une telle situation est liée à la convergence, au sein de ce mouvement, de cadres politiques venus de la droite traditionnelle ou du PS. Le FN, quant à lui, est resté isolé et n’a pas conclu d’alliances.
Les rapports entre forces politiques nationales sont donc lisibles et pertinents dans cette mesure : le FN continue à construire une ligne autonome du reste des droites, le PS tente de maintenir son ancrage local auquel il doit une partie de ses capacités de financement, et d’éventuels rebonds futurs, et LREM échoue à s’implanter comme force politique. LFI et EELV sont tantôt alliés, tantôt opposés, le rapport au PS et à ses politiques nationales et locales passées étant une ligne de clivage fondamentale.
Il est donc possible de défendre que les clivages entre partis politiques nationaux se retrouvent au niveau local, à tout le moins sur le plan stratégique : ces clivages sont multiples et s’éclairciront sans doute à l’approche de la présidentielle, élection décisive pour réarticuler le champ politique.
Actuellement, en France, seul 1 % des adultes sont membres d’un parti (Bulletin Insee n° 1580, 2016). Plutôt que de déplorer l’incivisme des citoyens, mes enquêtes dans plusieurs villes de banlieue et rurales m’incitent à inverser le problème : et si c’était aux partis de prouver leur pertinence localement, en renouant avec les milieux populaires ?
Des politiciens « coupés du terrain » ?
Sur les ronds-points des Gilets jaunes, en 2018-2019, les mobilisés exprimaient un rejet des « politiques », qui « ne sont pas du même monde ». La taxation des carburants illustrait ce décalage, des urbains aisés reportant sur les « petits » les coûts de la crise écologique, sans tenir compte des contraintes locales (emploi, accès aux services). Ce n’est donc pas un hasard si, à l’occasion des municipales, ces territoires au centre de la mobilisation ont vu fleurir les listes sans étiquette, au détriment des listes partisanes.
Des appareils qui démobilisent ?
Au-delà des mesures impopulaires, le fonctionnement des partis fragilise leur pertinence aux yeux des milieux modestes. Les militants « de terrain », membres ou proches de ces catégories, y distribuent ou collent les affiches, mais accèdent peu aux responsabilités. Des procédures comme les réunions ou les congrès favorisent les diplômés. Ceux-ci maîtrisent les savoirs abstraits, la parole publique, ont plus de capital social et accèdent donc facilement aux fonctions dirigeantes. Ainsi, sur les listes municipales, tous partis confondus, les candidats mieux positionnés sont rarement ouvriers ou employés. En banlieue parisienne, cette coupure sociale se double d’une dimension ethnique, et la composition très « blanche » des élus, dans des villes à la population métissée, suscite désormais de vives controverses.
Faire de la politique sans les partis ?
Dans les bourgs et villages du Grand Est, la rupture avec les partis semble consommée. Les militants y sont rares et la plupart des listes « sans étiquette ». Lors des élections ou des conseils municipaux, les débats sur la vie de la cité se font sans la médiation des partis. Les finances locales (faut-il « réduire les dépenses » ou « investir » ?), les politiques « sociales » (dans des territoires frappés par la crise) ou les normes environnementales (entre adhésions et résistances à l’écologie) nourrissent des positions contradictoires selon les âges et les milieux des élus. Le clivage droite-gauche s’y rejoue directement, à bas bruit, à travers les enjeux du quotidien. Autrement dit, des ronds-points aux exécutifs locaux, en banlieue comme dans la ruralité, ces appareils semblent de moins en moins à même de recouper les aspirations de milieux populaires qui sont pourtant loin d’être « dépolitisées ».