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Philosophie : La politique est-elle l’affaire de tous ?

📋  Le contexte  📋

Régulièrement, deux étudiants en philosophie décortiquent un sujet sous forme de débat. Le but est de vous donner des pistes de réflexion pour philosopher autrement. Ils écrivent, vous pensez !

Qu’est-ce que la politique ? La politique est un mot-valise provenant du grec « polis », signifiant la Cité, et « techné », désignant la Science. La politique se définit alors comme une science du gouvernement de la cité. Elle comprend l’ensemble des décisions prises collectivement ou individuellement concernant les affaires publiques et la façon de diriger un État.

Les questionnements relatifs à la politique ont considérablement évolué depuis l’Antiquité. Pour autant, l’objet d’étude reste le même. La philosophie politique ne cherche pas à définir des techniques pour mener l’action publique, elle propose plutôt de s’interroger sur la pluralité des gouvernements et le but de la politique.

Source : La-Philo

« L’affaire de tous » soulève ici de nombreuses questions. La politique est-elle à la charge de tous les citoyens ? Et si oui, jusqu’où les décisions étatiques concernent-elles tout en chacun ? Cette dernière notion interroge la légitimité des citoyens à participer aux affaires publiques et s’intéresse à définir leurs champs d’action.

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Le « Pour »
Félix Foulon
Étudiant préparant l'agrégation de philosophie à l'Université Paris-Nanterre
L'impératif du vivre-ensemble

Nul besoin d’être expert pour faire de la politique. C’est sûrement nécessaire lorsqu’il s’agit de prendre en charge les affaires courantes de l’État, les questions administratives, ou encore diplomatique ; bref, ce qu’on appelle l’art de la gouvernance. Mais pour s’engager dans une activité politique, il suffit d’être concerné par les affaires de cet État, d’être soumis à ses lois et ses décisions ; en somme, il suffit d’être un citoyen. Bien sûr, cela n’a pas toujours été le cas ; mais le réflexe démocratique est une évidence forgée par l’histoire. Aujourd’hui, les autres formes d’organisation politique ne sont presque plus une option.

Pourtant, malgré son apparente supériorité éthique, la démocratie souffre de problèmes non-négligeables. En particulier, l’absence d’autorité supérieure parmi les citoyens empêche de départager les arguments mobilisés dans le débat démocratique, et pose ainsi un problème d’efficacité : confrontée à un problème urgent, l’assemblée démocratique semble incapable d’élire une réponse rapide et unanime. Si l’on considère de surcroît un rapport à la vérité de plus en plus confus dans les sociétés contemporaines – citons le rejet croissant de la communauté scientifique – il peut sembler que la politique n’est pas l’affaire de tous, mais seulement des compétents.

Mais cette conclusion serait toutefois erronée. Car ce serait méconnaître le sens de la politique. Au sens le plus large, le plus général, la politique, c’est l’organisation du vivre-ensemble. Personne n’a de compétence supérieure dans ce domaine. Affirmer ou nier l’existence d’une crise climatique d’origine humaine, en revanche, requiert des compétences spécifiques. Ce type de sujet spécialisé peut être traité par des autorités particulières, contrairement aux questions politiques. Pour autant, les conséquences du réchauffement climatique, pour suivre notre exemple, et les manières d’y remédier, sont bel et bien des questions politiques, et sont donc l’affaire de tous. Il semble donc exister une confusion entre les problèmes strictement politiques, et d’autres questions qui ont des effets sur la politique. En distinguant ces deux types de débat[1], on peut ainsi faire apparaître l’égale compétence de chacun en politique.

Et cette idée vaut aussi pour le problème de l’efficacité. De ce point vue, on ne s’intéresse souvent qu’à la prise de décision, qui semble effectivement presque impossible dans un débat démocratique. Par contre, on s’intéresse bien moins à l’application de ces décisions, qui devrait être le sujet principal lorsque l’on parle d’efficacité. Dès lors que les lois et les décisions politiques s’appliquent à tous, la seule garantie de leur respect n’est-elle pas que les citoyens eux-mêmes choisissent ces lois ? Au contraire, les lois imposées, comme c’est souvent le cas aujourd’hui, ne suscitent-elles pas de la défiance[2] ? Qu’il s’agisse ou non d’une utopie, l’évidence est là : la politique est l’affaire de tous, elle doit être menée par et pour la communauté si l’on veut qu’elle soit effective.

[1] Cet argument est inspiré de John Rawls et de son Libéralisme politique (1993). Pour sa part, il souligne la distinction entre les débats politiques, qui concernent les institutions sociales, et les débats moraux, qui concernent les conceptions personnelles du Bien.

[2] Cet argument est proposé par Jürgen Habermas, en défense de son éthique de la discussion. Voir notamment Morale et Communication (1983) ou De l’éthique de la discussion (1991).

Le « Contre »
Paul Langeron
Étudiant préparant l'agrégation de philosophie à l'Université Paris-Nanterre
La démocratie en temps de crise

Comment ne pas répondre oui ? A-t-on seulement besoin de réfléchir à la question ? On aime avoir notre point de vue, pouvoir critiquer, pouvoir affirmer notre pensée en expliquant que tel projet proposé par un groupe politique ou un gouvernement est mauvais. Les valeurs démocratiques mises en avant aujourd’hui, par exemple l’égalité des citoyens ou encore la liberté d’expression, justifient l’idée que la politique est l’affaire de tous et que nos opinions personnelles peuvent effectivement être importantes pour faire avancer la société.

Oui mais voilà, nous avons tendance à oublier que la politique, ce n’est pas seulement demander de nouveaux droits ou la possibilité de débattre. La politique, c’est également un savoir-faire qui dépasse la plupart d’entre nous. Un dirigeant peut par exemple être amené à prendre des décisions qui contredisent nos intérêts individuels, au nom de l’intérêt général[1]. Pour le dire autrement, dans certains cas, il semblerait que la prise en compte des avis individuels ne permet pas de résoudre les problèmes politiques.

Pour illustrer notre propos, il suffit de s’appuyer sur les exemples du COVID et du réchauffement climatique. Tandis que des experts scientifiques soulignaient la gravité de la situation dans les deux cas, d’autres personnes, souvent incompétentes dans ces domaines criaient aux complots sur les réseaux sociaux. Fallait-il attendre que tous les citoyens incompétents dans le domaine soient d’accord ou fallait-il prendre des décisions qui sont fondées scientifiquement et qui assurent la sécurité de la population ? Sachant que le COVID et les problèmes climatiques tuent des milliers des gens, faut-il que tout le monde donne son avis sur une politique contraignante ou faut-il agir et sauver des vies ?

Ce que nous apprennent les deux exemples cités, c’est l’insuffisance du débat lorsqu’il est question de l’intérêt général. Le problème est que même si nous avons un avis celui-ci est généralement trop influencé par notre situation privée pour se révèler tout à fait pertinent pour prendre une décision à une échelle politique. Peut-être faut-il admettre notre incompétence en matière de jugement politique ou en matière de gouvernance. Ou au moins, il nous faut peut-être concéder que d’autres sont plus aptes à conseiller un dirigeant ou à le contredire et que, dans certains cas ces derniers devraient pouvoir peser d’avantage dans les décisions politiques que la plupart des citoyens[2]. Il ne s’agit pas de mettre fin à la démocratie représentative qui est sûrement le seul moyen d’assurer la reconnaissance de l’ensemble de la population à l’échelle de l’Etat. Il s’agit de valoriser une forme de gouvernance qui, dans les cas d’urgence, choisirait de valoriser l’expertise qui assurera la plus grande efficacité politique. Face aux crises sanitaires, écologiques et terroristes contemporaines peut-être faut-il accepter que le fait d’être performant prime. Se demander si la connaissance doit supplanter l’opinion des citoyens est une question délicate mais peut-être nécéssaire[3].

[1] Ici l’emploi des termes « volonté particulière » et « volonté générale » renvoie aux analyses proposées par Jean-Jacques Rousseau dans Du contrat social. La volonté particulière renvoie aux souhaits d’un invidu ou d’un groupe d’individu. La volonté générale, elle, repose sur la neutralisation des différences entre les volontés particulières. Elle ne cherche pas à rendre compte de ce qui est bon pour l’individu mais de ce qui est bon pour l’intégralité de la communauté.

[2] Ici on pourrait se référer aux travaux du sociologue et philosophe français Bruno Latour. Dans des ouvrages comme Nous n’avons jamais été modernes et Politiques de la nature, celui-ci réfléchit ainsi à l’idée d’une intégration de la communauté scientifique au sein du processus démocratique pour face aux nouveaux enjeux écologiques. Néanmoins celui-ci ne considère absolument pas que l’avis scientifique doit supplanter celui des représentants du peuple.

[3] En réalité cette opposition entre opinion et connaissance dans le domaine politique est un grand classique. L’idée que celui qui doit gouverner est celui qui à un accès privilégié à la connaissance est très présente dans la philosophie platonicienne par exemple. On peut ici penser au dialogue du Politique et à la figure du Roi-Tisserand. Le souverain est comparé à un tisserand parce que, grâce à sa maîtrise de la science politique et sa capacité à connaitre ce qui est juste, il parvient à parfaitement agencer les individus au sein de la société si bien qu’aucun conflit ne vient menacer la cité.

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