📋 Le contexte 📋
La dissuasion nucléaire est une stratégie militaire de défense qui émerge dans le contexte de la Guerre Froide entre les Etats-Unis et l’URSS. Pour un pays, il s’agit de montrer à son ennemi que toute attaque militaire aurait une réponse nucléaire, le dissuadant ainsi de passer à l’acte. Ce principe est fondé sur la supposition que l’Etat fonctionne comme un agent rationnel évaluant les coûts et les bénéfices de chaque action.
Les armes nucléaires sont apparues à la fin de la Seconde Guerre mondiale et sont utilisées pour la première fois lors de l’attaque américaine sur Hiroshima et Nagasaki en août 1945. Une course à l’armement se met en place entre les Etats-Unis et l’Union Soviétique dans le cadre de la Guerre Froide. Le niveau de destruction humaine et matérielle sans commune mesure engagé par des frappes nucléaires a pu être illustré par les évènements d’août 1945, et est une pierre angulaire de la dissuasion nucléaire.
Sources: OTAN, Arms Control Association
Aujourd’hui, seuls 9 États possèdent des armes nucléaires.
La possession d’armes nucléaires est partiellement régulée par des traités et des conventions, dont le plus important est le Traité de Non-Prolifération (TNP). Entré en vigueur en 1970, son application est garantie par l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA).
Ce traité détermine deux catégories de pays :
- ceux qui ont le droit d’avoir un arsenal nucléaire militaire : la Russie (6357 ogives), les Etats-Unis (5800 ogives), la Chine (320 ogives), la France (290 ogives) et le Royaume-Uni (source : SIPRI, 2020)
- et ceux qui n’y ont pas droit : le reste. Malgré cela, l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et Israël détiennent tout de même une force nucléaire. Ces pays, avec le Sud-Soudan, sont les seuls non-signataires du TNP.
Le traité START I de 1991, renouvelé en New START en 2010, a été signé par les Etats-Unis et l’URSS (puis par la Russie et les pays qui font partie de l’ex-URSS en 2010), vise à accompagner un désarmement progressif des deux puissances. Bien que la production d’armes nucléaires ne soit pas limitée, le désarmement est mesuré en termes de têtes nucléaires déployées (et donc prêtes à l’usage). Aujourd’hui, les Etats-Unis ont environ 1373 têtes déployées et la Russie 1362 têtes. La limite imposée par New START est à 1550 ogives nucléaires stratégiques.
Source : Arms Control Association
Suite à la ratification du Honduras, le Traité sur l’Interdiction des Armes Nucléaires (TIAN) devrait entrer en vigueur en 2021. Ce traité, porté par des ONGs du monde entier et ratifié au sein de l’ONU par 122 pays sur 192, n’a qu’une valeur symbolique, puisqu’aucune des puissances nucléaires ne l’a signé. Le traité vise à l’élaboration d’un mécanisme juridique contraignant à l’élimination totale de l’arme nucléaire.
Emmanuel Macron, lors de son discours sur la dissuasion nucléaire du 7 février 2020 a clarifié ses intentions de ne pas signer le TIAN. Les dirigeants de l’OTAN justifient notamment cette décision par la supposition que d’autres Etats non-alliés militairement ne le feraient pas de leur côté.
🕵 Le débat des experts 🕵
La dissuasion nucléaire, choisie par la France pendant la Guerre froide, repose sur une croyance : que l’ennemi potentiel sera découragé d’attaquer notre pays par la crainte d’une destruction massive en riposte. Il n’existe aucun moyen de prouver que c’est cette peur et non toute autre raison qui a préservé une paix relative entre les puissances nucléaires.
Imaginons le scénario aujourd’hui : la Russie lance une agression contre la France au moyen d’armes classiques ; la France riposte par du nucléaire et détruit des villes russes ; inévitablement, la Russie répond par une frappe nucléaire massive qui détruit totalement notre pays. Conclusion : afin d’éviter ce suicide, la France est elle-même dissuadée de recourir à l’escalade nucléaire et sa dissuasion contre l’ennemi a échoué.
Inefficace, la dissuasion nucléaire est aussi dangereuse car, même si elle repose théoriquement sur le « non-emploi » des armes nucléaires, toute l’évolution récente conduit à en abaisser le seuil d’emploi. Les puissances nucléaires, y compris la France, se sont lancées dans une course effrénée entre armes offensives et armes défensives. Les lourds missiles balistiques sont remplacés par des missiles de croisière voire des missiles hypersoniques capables d’échapper à toute défense antimissiles. Les ogives nucléaires sont miniaturisées pour être plus facilement utilisables contre des cibles dans des scénarios de combat. Cette course technologique s’étend à l’espace, en vue de détruire les satellites d’alerte avancée des adversaires, mais elle entraîne une vulnérabilité accrue du fait des risques de cyber-attaques ou de piratage.
Au total, conjugué avec les menaces de recours aux armes nucléaires dans des conflits régionaux tels qu’en Asie du Sud, sur la péninsule coréenne ou au Moyen-Orient, le risque de catastrophe nucléaire résultant d’un emploi délibéré, accidentel ou terroriste n’a jamais été aussi élevé. C’est pourquoi la majorité des pays du monde dénoncent le danger que la dissuasion nucléaire fait peser sur leur sécurité du fait des armes possédées par neuf pays. Prétendre que la sécurité d’un pays dépend de l’insécurité des autres et que l’arme nucléaire est la meilleure garantie de sécurité ne peut qu’inciter à la prolifération. La seule solution réaliste pour empêcher la destruction de la planète consiste à interdire et éliminer progressivement toutes les armes nucléaires, comme les autres armes susceptibles d’exterminer des millions de civils innocents.
Il y a deux raisons qui doivent nous conduire aujourd’hui à ne pas renoncer à l’arme nucléaire.
La première raison est que le fait que nous possédions cette arme renforce notre indépendance sur la scène internationale. Grâce à cette arme nous sommes capables de nous protéger face à un ennemi qui serait bien plus fort que nous. C’est le pouvoir égalisateur de l’atome, le risque pour l’agresseur étant de subir des dommages bien supérieurs aux gains espérés en cas d’agression militaire. De ce fait nous ne sommes pas dépendants d’autrui pour notre défense, cela nous permet notamment une grande liberté de paroles et d’action face à notre allié américain, faculté que n’ont pas nos partenaires européens. L’arme nucléaire renforce donc notre souveraineté nationale et c’est aussi une contribution à la souveraineté européenne.
La seconde raison qui doit nous conduire à ne pas renoncer à l’arme nucléaire est que nous ne sommes pas dans une période de désarmement nucléaire mais bien au contraire dans une période de reprise de course à l’armement nucléaire, ce que l’on peut regretter. En Europe, les Etats-Unis se sont retirés en 2019 du traité sur les forces nucléaires intermédiaires de 1987 qui interdisait les missiles à tête nucléaire d’une portée de 500 à 5000 km et la Russie a développé un missile de croisière le SSC-8/9M729 qui contrevient à ce traité. Hors de l’Europe rien n’indique que les 3 pays qui n’ont pas signé le traité de non-prolifération, le Pakistan, l’Inde et Israël, renoncent à une arme qu’il considère comme une garantie ultime de leur sécurité. La Chine modernise et développe son arsenal. La question des régimes susceptibles de proliférer, l’Iran et la Corée du Nord, n’est toujours pas réglée.
Dans ce contexte renoncer à l’arme nucléaire de manière unilatérale affaiblirait notre sécurité. Mais maintenir notre force de dissuasion nucléaire ne veut pas dire nous surarmer. Nous sommes au niveau de stricte suffisance avec moins de 300 têtes nucléaires contre plus de 6000 pour les Etats-Unis et la Russie. Il nous faut d’ailleurs agir pour que les négociations pour un désarmement multilatéral négocié reprennent au niveau international, et notamment en Europe entre les Etats-Unis et la Russie, car le désarmement nucléaire négocié sera un gage de sécurité renforcé pour la France et l’Europe.
Sources: Etat des forces nucléaires dans le monde, federation of american scientists, Septembre 2020 https://fas.org/issues/nuclear-weapons/status-world-nuclear-forces/