📋 Le contexte 📋
Évoquée pour la première fois au Etats-Unis en 1956 par Marvin Minsky et trois autres chercheurs, l’Intelligence Artificielle (IA) désigne l’ensemble des techniques informatiques qui ont pour but d’imiter l’intelligence humaine. Alan Turing, mathématicien britannique, la matérialise dans une expérience qui lui permettra d’être reconnu comme l’un des pères fondateurs de l’IA. Le test de Turing consistait à comprendre si une machine pouvait penser : le but était de lui laisser l’occasion de nous tromper, par le « jeu de l’imitation » et de faire croire aux humains qu’elle l’était aussi.
Nous sommes loin des premières ébauches de l’IA, et elle est aujourd’hui très présente dans notre société. La recherche s’est développée dans de nombreux domaines: médical, financier, industriel, sécurité, jusqu’à la culture. Les ordinateurs super-puissants et autres outils nous assistent dans notre quotidien, et nous dépassent parfois, comme lorsque Deep Blue, machine joueuse d’échec, bat à ce jeu complexe le champion Garry Kasparov grâce à un ensemble d’algorithmes lui permettant d’identifier à chaque mouvement le meilleur qui doit suivre.
L’apparition de technologies de plus en plus poussées donnent parfois l’impression de l’arrivée de la science-fiction dans le monde réel. De nombreuses personnes craignent ces changements, tant du point de vue éthique que du point de vue de notre autonomie. L’utilisation de l’IA inquiète dans la sécurité militaire (surtout quand il s’agit d’une puissance mondiale), autant que dans le domaine civil: sa capacité à rendre la vie plus facile pourrait nous éloigner de ce qu’est réellement la vie. D’autres y voient plutôt une occasion de se réinventer et de vivre mieux, et de s’en saisir comme tremplin pour le futur.
🕵 Le débat des experts 🕵
Depuis Alan Turing jusqu’à nos jours, les quinze dernières années ont permis de développer considérablement les capacités de l’intelligence artificielle (IA). Aujourd’hui pas un seul secteur d’activité économique ne connaît sa « révolution 4.0 » grâce à l’IA. Les recherches révèlent que l’IA pourrait multiplier par deux les taux de croissance de douze pays dont la France d’ici 2035 en modifiant la nature du travail tout en explorant une nouvelle relation entre l’homme et la machine (Source Accenture).
Mis à part l’effet buzz-word, l’IA ouvre des possibilités d’un nouveau monde et cela entraîne autant d’inquiétude que de fascination. Elle fût un temps un sujet de discussion réservé aux spécialistes, grâce à la démocratisation de son utilisation, elle devient un sujet de débat accessible et même nécessaire pour chacun d’entre nous. Elle interroge nos principes (Liberté VS Sécurité) nous demande de nous réinventer (Automatisation et Apparition de nouveaux emplois), elle nous demande également d’apprendre à lui faire confiance (Bluedot, l’IA qui a détecté la pandémie COVID-19 avant tout le monde).
Au-delà du fait qu’elle va transformer nos vies et nous amener à repenser la place de l’Homme, de par son mimétisme, en reproduisant les fonctionnements ou les raisonnements humains, elle met en lumière les biais présents dans nos sociétés depuis longtemps. Nous jugeons souvent trop rapidement les machines en oubliant qu’elles ne sont inspirées que par nous. Il ne peut plus y avoir de déni sur le racisme systémique d’une société par exemple, justement parce qu’une IA ne fait que reproduire à partir de ce qu’elle a pu apprendre : les injustices naissent des humains.
En conclusion, l’intelligence artificielle agit avant tout comme un miroir pour l’humanité. Sa présence dans nos vies, nous amène à devoir faire des choix, à regarder au plus profond de nous, nous qui pensions être des êtres doués de toutes formes d’intelligences, notamment intellectuelles et émotionnelles. Ce sont des machines qui nous offrent l’opportunité de changer, de nous améliorer. L’Intelligence Artificielle nous invite à devenir plus Humains, serons-nous au rendez-vous ?
Avant d’argumenter il faut définir ses mots. Je considère que notre humanité vient de notre capacité à interagir, parler, écouter, sentir, toucher … L’humanité réside donc notamment dans l’usage des sens. Elle est intrinsèquement charnelle, voire incarnée. Arendt dit pareil quand elle rappelle que les Grecs définissaient l’homme comme un animal doué de logos. Or elle rappelle que les Grecs savaient que les barbares (qu’ils estimaient non humains) parlaient. C’est donc que le logos ne se restreignait pas à la parole. Qu’était-ce ? C’était le fait d’aller à l’agora non seulement pour parler, mais aussi pour écouter, pour peser les arguments, discuter, négocier. Que la dimension proprement politique : organiser la vie en commun – soit le signe de l’humanité me plaît. Le logos n’est donc pas seulement la parole, mais aussi l’écoute.
Qu’est-ce que l’IA ? Hélas, on met souvent dans cet acronyme tant les réalisations, les promesses que les délires. J’appellerai IA toute automatisation ou intermédiation des actions humaines visant à minimiser voire éliminer ces dernières. Par exemple des ordinateurs, programmes. Évidemment ces IA nous permettent de faire des choses. Mais nous pouvions parfois les faire sans elles, et parfois nous ne pouvons plus nous en passer. Si j’utilise un ordinateur pour taper ce texte, m’est-il interdit d’en dire les inconvénients et dangers ? Je braverai cet interdit car je crois qu’on peut et doit être « impur ». D’ailleurs je me méfie de la pureté !
Bref, les IA étant des mécanismes au travers desquels nous interagissons avec le monde, elles font écran. Force est de constater que si je peux passer un coup de fil à ma mère, je passerai moins souvent la voir. Plus généralement, plus les IA simplifieront notre rapport au monde et à autrui, plus nous en abuserons. Moins nous verrons l’autre dans son corps.
Par ailleurs, plus nous serons hyper-individualistes et narcissiques, plus le rapport à l’Autre sera un poids. Cela devient un cercle vicieux. C’est précisément cette difficulté des relations humaines que l’IA nous masque en prétendant la résoudre et qu’elle nous fait fuir. Il est prouvé que les réseaux (a)sociaux augmentent le communautarisme et l’intolérance. Ce que je demande à une machine (et pas à moi ou mon corps), je ne le ferai plus moi-même. J’en perdrai l’habitude et donc à terme la fonction. Donc je perdrai de mon humanité.