Entretien avec Cécile Duflot : « Si vous ne vous intéressez pas à la politique, la politique va s’intéresser à vous. »

À l’occasion de la sortie du rapport annuel d’Oxfam sur les inégalités, Le Drenche a pu rencontrer Cécile Duflot. Après une longue carrière politique et un passage au ministère du logement au gouvernement Hollande, elle dirige depuis plus de 3 ans l’entité française d’Oxfam. Nous sommes revenus sur son parcours politique, son engagement associatif et avons longuement abordé la question des inégalités.

Entretien avec

Cécile DUFLOT

Directrice générale d’Oxfam France

Aujourd’hui, la confédération internationale Oxfam est composée de 21 organisations qui travaillent dans plus de 90 pays environ, dont la France. Avec des milliers de partenaires et de communautés, Oxfam travaille dans toutes les régions du monde afin de donner aux communautés les moyens de se construire une vie meilleure, de renforcer leur résilience et de protéger leurs moyens de subsistance, même en temps de crise.

La caractéristique d’OXFAM est de lutter contre les inégalités, pas uniquement contre la pauvreté. Pourquoi ?

Créée en 1942 pour lutter contre la pauvreté, OXFAM est une vieille organisation. Notre combat s’est élargi à la lutte contre les inégalités, car nous avons constaté qu’à l’instar du climat, c’est le paramètre qui permet une lutte plus efficace contre la pauvreté. Lorsqu’une grande partie de la richesse est accaparée par une minorité et qu’elle n’est pas redistribuée – car le ruissellement ça n’existe pas – cela maintient la pauvreté. La période que nous venons de traverser n’a rien arrangé, l’intensité de la pauvreté a augmenté. Nous avons atteint des proportions difficiles à se représenter. En 2020, nous indiquions un chiffre incroyable : en économisant l’équivalent de 8 000 euros par jour depuis la prise de la Bastille [14 juillet 1789], vous n’atteindriez qu’1 % de la fortune de Bernard Arnault. À ce jour, c’est encore moins que cela…

Nous apprenons dans le rapport que la fortune des milliardaires dans le monde a augmenté plus en 19 mois de pandémie qu’au cours de la dernière décennie. Comment est-ce possible en pleine crise sanitaire et économique ?

Ce n’est pas lié à une envolée de l’économie, cela est, au contraire, favorisé par des politiques publiques de soutien notamment des marchés financiers, qui ont bénéficié essentiellement aux milliardaires. C’est le résultat d’une injection massive d’argent public – qui aussi permis le chômage
partiel -. Il faut désormais relever les compteurs et faire contribuer les plus riches.

On découvre également que la France n’a pas échappé à ce phénomène. Les 5 plus grandes fortunes françaises ont doublé leur richesse, tandis que 4 millions de personnes supplémentaires sont tombées en situation de vulnérabilité alimentaire. Les mesures prises par le gouvernement n’ont-elles pas suffit à protéger les plus précaires ?

Elles n’ont pas suffi car ceux qui ont bénéficié des mesures sont avant tout les entreprises et les grandes fortunes qui les possèdent. Ceux qui étaient en CDD, en intérim, en emploi précaire, en stage – donc majoritairement les jeunes – n’ont pas été assez aidés. Ces personnes n’arrivent plus à se nourrir et il y a désormais 7 millions de personnes qui se rendent dans les banques alimentaires.
L’argent public ne doit pas servir à enrichir des milliardaires en laissant de côté une partie de la population. Ce n’est pas acceptable. Nous devons désormais agir, car ce n’est pas une fatalité.

Nous retrouvons également des chiffres alarmants sur les conséquences des inégalités. Par exemple, toutes les 4 secondes, une personne en meurt dans le monde. Nous comprenons aussi que les 20 plus grandes fortunes du monde polluent plus que le milliards d’humains les plus pauvres sur terre.

C’est pour cela que je suis optimiste et résolue. La clé pour lutter contre le réchauffement se trouve entre les mains de quelques-uns : les plus riches parmi les plus riches. Si on lutte contre ces inégalités, on lutte efficacement et durablement contre le réchauffement climatique et ses conséquences.

Alors, quelles mesures doit-on prendre maintenant pour réduire ces inégalités ?

Il y a deux solutions. La première, c’est la redistribution fiscale. Il faut faire une réforme qui permette plus de progressivité dans l’impôt, avec une taxation particulière et exceptionnelle sur les profits de la pandémie, car il n’est pas acceptable que certains aient gagné beaucoup d’argent grâce à cette crise. Ensuite, il faut l’investir dans les services publics. Prendre efficacement en charge la santé, l’éducation ou les transports permet de réduire efficacement les inégalités. Nous pouvons avancer l’exemple nord-américain. Le rapport nous apprend que 3,4 millions d’Afro-Américains seraient toujours en vie s’ils avaient la même espérance de vie que celle de la population blanche. 1,3 millions d’Américains sont morts car le système – notamment d’accès aux soins – n’était pas assez égalitaire. Nous pouvons faire autrement.

Enfin, quel conseil pouvez-vous donner aux plus jeunes ?

S’intéresser à la politique. Si vous ne vous y intéressez pas, elle va s’intéresser à vous. Ne pas trouver une place à la fac, ne pas trouver un logement: tout ça est très politique. Et s’y intéresser rend libre ! Être conscient de son destin, savoir ce qu’on veut, ça évite de se dire qu’on ne fait que subir. Quand on devient acteur, on se sent plus heureux et plus vivant. Alors je leur conseille d’agir, de discuter, de s’intéresser.