📋 Le contexte 📋
L’impôt sur l’héritage, aussi appelé droits de succession, est un impôt indirect prélevé sur la transmission d’un patrimoine d’une personne décédée vers une personne vivante. Si la nature de l’héritage peut varier (biens matériels, liquidités, titres de propriété) la taxe appliquée au patrimoine transmis varie aussi.
L’impôt sur l’héritage est un impôt progressif, il repose sur une logique d’abattements prenant en compte la filiation entre la personne décédée et le récipiendaire ainsi que la valeur de l’héritage. La base d’imposition est beaucoup moins élevée pour une transmission entre un parent et son enfant que pour une personne vers un ami par exemple.
Une fois l’inventaire des biens réalisé (actif et passif), le notaire détermine la part de chaque héritier en tenant compte des donations éventuelles antérieures au décès. Sur la part est ensuite appliqué un abattement qui dépend du lien de parenté avec le défunt (en gros, une somme qu’on va déduire de chaque part avant de calculer l’impôt). L’abattement est de 100 000 euros pour les enfants, 15 932 euros pour les frères et sœurs ou encore 1 594€ pour les petits enfants.
Le solde (part nette – c’est à dire votre part d’héritage moins l’abattement) est alors taxé avec des taux variables en fonction du montant et du degré de parenté. Pour les enfants, le taux va de 5% jusqu’à 8072€ jusqu’à 45% au-delà de 1 805 577€. Autre exemple, pour les neveux et nièces, il n’y a qu’un seul taux : 55%.
Les mécanismes permettant de limiter ou d’échapper aux droits de succession sont nombreux. Par exemple, en cas de succession entre époux, vous êtes exonéré de droits. Autre abattement très courant : 20% de la valeur de la résidence principale du défunt est exonérée de droits de succession. Dernier exemple, l’assurance vie : au décès du titulaire de l’assurance vie, chaque bénéficiaire profite d’un abattement de 152 500 euros.
Enfin, la transmission d’une entreprise individuelle ou de parts d’une société peut être exonérée de droits de succession à concurrence de 75% sous certaines conditions.
L’Hexagone se classe parmi les pays qui taxent le plus les héritages et les donations (15 milliards par an environ). Le Conseil d’Analyse Économique (CAE) souligne que ces recettes sont tirées vers le haut par la vision très traditionnelle de la famille sur laquelle le système est bâti : ainsi les taux de taxation en ligne directe (pour un enfant ou un conjoint marié) sont bien moins importants que ceux qui s’appliquent pour des frères et soeurs, des beaux-enfants ou bien des concubins. Si bien que ces successions et donations en ligne indirecte rapportent 50 % des recettes totales, quand bien même elles ne représentent que 10 % du capital transmis. Une majorité (85 à 90%) des successions en ligne directe – donc avec au moins un enfant héritier – ne sont pas imposées.
Toujours d’après le CAE, la moitié des Français hériteront moins de 70 000 € tout au long de leur vie. Et parmi ceux-là, une large fraction n’aura hérité d’aucun patrimoine. Tandis que les 10 % les plus aisés héritent en moyenne 500 000 €, 4,2 millions d’euros pour chacun des 1 % les plus riches, et même 13 millions d’euros par tête pour le « top » 0,1 %. Pour ces derniers, l’héritage médian est donc 180 plus élevé que l’héritage médian de l’ensemble des Français.
🕵 Le débat des experts 🕵
Si les inégalités de revenus comme de patrimoines n’ont que légèrement augmenté en France, il n’en est pas de même pour l’héritage qui a vu son poids croître fortement depuis les années 1970. Surtout, il est très inégalitaire puisque la moitié des Français n’hérite de rien ou presque quand 10% de la population concentre la majorité des transmissions. Plus généralement, la France fait partie des pays où les inégalités se reproduisent le plus fortement d’une génération à l’autre.
La fiscalité est un des outils permettant de limiter cette reproduction. Avant d’être une question technique, elle est un choix de société. Ne pas taxer les héritages revient à placer au sommet des valeurs le droit de propriété. Interdire les héritages revient à considérer que l’égalisation des patrimoines à chaque génération doit passer avant tout. Taxer les héritages de manière progressive, en imposant en fonction du patrimoine transmis, consiste à choisir où mettre le curseur entre ces deux valeurs.
La fiscalité successorale française est souvent présentée comme déjà lourde. Sa progressivité est en réalité beaucoup moins forte qu’annoncée. En effet, près de 90% des transmissions entre parents et enfants ne sont pas imposées. A l’inverse, les nombreuses niches fiscales comme l’assurance-vie ou le démembrement de propriété permettent aux plus grosses successions de réduire significativement leur facture fiscale. Ainsi, un individu recevant 13 millions d’euros d’héritage sur toute sa vie paiera en moyenne 10% d’impôt soit à peine plus que la CSG prélevée dès le premier euro de salaire.
La principale conséquence de ce décalage entre l’impôt théorique et l’impôt effectif est qu’il ne réduit que faiblement les inégalités d’héritage. Si les hauts patrimoines parviennent à réduire leur imposition, ce n’est pas le cas de ceux qui décèdent sans enfants ni conjoint (imposés en moyenne à 25%) ou ceux, moins informés, qui ont mal préparé leur succession. Le fait qu’à héritage égal, l’impôt puisse être inégal nourrit aussi la défiance et le sentiment que les autres s’en sortent mieux.
L’autre problème, de taille, est que ces niches fiscales ne sont souvent pas justifiées économiquement. Rarement évaluées, leur coût budgétaire ne couvre pas toujours les gains espérés. A l’inverse, les effets potentiellement négatifs souvent évoqués de l’impôt sur l’héritage sur l’épargne ou l’exil fiscal ont été invalidés par de nombreuses études économiques.
Si la question de l’héritage et de son imposition est débattue actuellement, c’est que la crise sanitaire a reposé la question du financement des dépenses publiques. Comme dans la plupart des pays, la progressivité du système fiscal français est en déclin. Pour les particuliers comme pour les entreprises, les petits sont de plus en plus taxés comme les gros à cause d’un système mité par les moyens d’optimisation fiscale. Certains justifient cette non-progressivité en invoquant un ruissellement jamais démontré dans les faits. On peut aussi contester ce modèle et penser que ceux qui peuvent le plus doivent contribuer davantage. Ce constat est d’autant plus valable pour l’héritage où, par définition, les patrimoines reçus ne sont pas le fruit d’un mérite individuel.
Il est crucial que les citoyens s’emparent de ce sujet et qu’ils regardent les faits en face car pour la fiscalité, comme pour d’autres sujets, on a finalement ce qu’on mérite. S’en désintéresser, c’est laisser un système fiscal se fonder seulement sur des principes moraux déconnectés de la réalité.
La loi de finances pour 2022 évalue les recettes fiscales de l’État à 418,15 Mds €, dont 3,13 Mds € de droits de donation et 14,45 Mds € de droits de succession (4,20 % des recettes fiscales 2022). Plusieurs rapports rendus en 2021 préconisent d’augmenter les droits de succession, particulièrement sur les plus gros patrimoines (rapport Tirole-Blanchard de juin 2021, rapport de l’OCDE d’octobre 2021, études du Conseil d’orientation des retraites et du Conseil d’analyse économique de décembre 2021).
Ces rapports partent du constat que la masse du patrimoine accumulé n’est pas entièrement consommée au cours de la vie et se trouve ainsi transmise aux générations futures (en 2019 le patrimoine brut des Français était de 14 190 Mds €). Ce phénomène serait à l’origine d’inégalités car il favoriserait une « société de rentiers » au détriment d’une « société méritocratique ».
La question mérite de faire l’objet d’une approche pragmatique. Pour cela, il faut avoir à l’esprit que seules 3 successions sur 10 ont effectivement donné lieu au paiement de droits en 2020. Parmi ces successions 3 % ont généré plus de 100 000 € de droits. Le taux moyen d’imposition – 9,8 % en 2019 – n’est guère révélateur. En effet, plus le lien de parenté est lointain plus le taux est élevé (35 à 45 % entre frères et sœurs, 55 % entre collatéraux jusqu’au 4e degré et 60 % entre parents au-delà du 4e degré et entre non-parents). Cela explique que les transmissions en ligne indirecte (entre frères et sœurs par exemple) rapportent plus de 50 % des droits de mutation à titre gratuit.
D’une part, il ne faut pas confondre égalité et égalitarisme. L’impôt-redistributif ne corrige qu’à la marge les inégalités de revenus sans s’attaquer aux inégalités extra-économiques qui sont celles qui pèsent le plus dans la réussite (niveau de formation, âge, état de santé, milieu social, localisation, …). La réalité contredit les mérites supposés de l’impôt redistributif érigé en dogme depuis de nombreuses années. Le taux de pauvreté de la population française ne cesse de croître. Il est de 18,46 %, 12 millions de personnes sont concernées.
D’autre part, les contribuables fortunés vivent dans un monde ouvert dans lequel la concurrence fiscale entre les États fait rage. 10 des 38 États membres de l’OCDE ont purement et simplement supprimé les droits de succession. Dans les autres États, les droits sur les donations et les successions ne représentent qu’une très faible part des recettes fiscales (0,5 % en moyenne en 2019). Il n’y a qu’en Belgique en Corée, en France et au Japon que ces droits dépassent 1 % des recettes fiscales.
Augmenter davantage les droits de succession risque d’inciter les contribuables fortunés à se délocaliser et d’être contreproductif dans la mesure où ces contribuables ne paieraient plus en France d’impôt sur le revenu, de prélèvements sociaux (CSG, CRDS), de TVA, d’impôts locaux, … Trop d’impôt tue l’impôt.
Le prochain Président de la République doit donc rendre les droits de mutation à titre gratuit (droits de donation et de succession) compétitifs par rapport aux autres États de façon à faire en sorte qu’ils favorisent une gestion dynamique des patrimoines et l’entraide entre les générations. L’exemple de la Suède fait réfléchir. Après avoir supprimé les droits de succession en 2004, elle a vu ses recettes fiscales progresser de 50 % entre 2004 et 2016 et, durant la même période, sa pression fiscale diminuer de 51 à 44 % du PIB. La question est donc peut-être plus celle de la suppression des droits de succession que de leur réduction.