📋 Le contexte 📋
Pour se présenter à une élection, les candidats passent nécessairement par une campagne électorale. Avant 1988, aucune loi n’encadre leurs financements. Les prétendants comptaient sur la générosité de leurs militants et principalement sur le secteur privé pour pouvoir financer leur course à l’Élysée.
Les nombreuses affaires (Urba, SORMAE-SAE, …) qui éclatent dans les années 1980 poussent l’État à légiférer sur les comptes de campagne. Les candidats doivent désormais désigner un mandataire financier pour gérer le solde, justifier les dépenses et les recettes, présenter les comptes à un expert-comptable et les envoyer à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).
Les conditions pour recevoir un financement privé sont devenues plus strictes. Les candidats ne peuvent plus s’adresser à des personnes morales (entreprises, associations, …) depuis 1995. Ils peuvent recevoir des dons de personnes physiques pouvant aller jusqu’à 4 600 euros ou des dons adressés aux partis politiques qui peuvent atteindre 7 500 euros par personne et par an. Depuis la loi pour la confiance dans la vie politique en 2017, les candidats peuvent toujours souscrire à des prêts auprès de leur parti politique ou dans une banque mais son siège doit dorénavant se trouver au sein de l’Union Européenne.
Une campagne ça coûte cher et pour réduire une partie des inégalités, l’État prend en charge une partie des frais. Dès l’annonce officielle de sa candidature, le candidat reçoit une avance forfaitaire de 200 000 euros. L’État prend également en charge les frais de la campagne officielle à la télévision et à la radio, ainsi que l’impression et l’apposition des affiches sur les emplacements officiels.
Malgré tout, les candidats sont limités par un plafond de dépense de 16,851 millions d’euros pour ceux qui sont présents au premier tour. Ce dernier monte jusqu’à 22,509 millions d’euros pour les deux finalistes. Dans le cas où ils rempliraient toutes les conditions, ce sont les résultats qui conditionnent le remboursement.
Pour ce scrutin, quatre candidats (Emmanuel Macron, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour) ont recueilli plus de 5 % des suffrages au premier tour. Ils seront remboursés à hauteur de 47,5 % du montant du plafond (soit environ 8 millions d’euros et 10,7 millions d’euros pour les deux finalistes). Ceux qui n’ont pas réussi à atteindre les 5 % ne seront remboursés qu’à 4,75 % du plafond (800 423 euros). Une autre condition peut réduire le montant du remboursement. Selon une décision de 2016, « le montant du remboursement forfaitaire versé par l’Etat ne peut excéder (…) le montant de l’apport personnel du candidat, ajusté au regard des réformations éventuellement opérées en dépenses ».
Les comptes de campagne devront être déposés deux mois après l’élection à la CNCCFP pour vérifier leur conformité. Cependant, cette règle sur le remboursement a mis en difficulté des candidats comme Yannick Jadot (Europe Écologie-Les Verts) et Valérie Pécresse (Les Républicains).
Proche de la barre symbolique des 5 %, les deux candidats ont lancé des appels aux dons pour pouvoir rembourser leurs campagnes. Dès l’annonce des résultats, Yannick Jadot avait lancé une collecte. Fin avril, les écologistes avaient reçu plus de 2 millions d’euros. Valérie Pécresse a également appelé ses électeurs aux dons après avoir confié être endettée à titre personnel de 5 millions d’euros. Une situation inattendue chez Les Républicains qui pensaient franchir les 5 %. La présidente de la région Île-de-France a déjà obtenu 2,5 millions d’euros.
Un appel aux dons qui rappelle celui de Nicolas Sarkozy en 2012. L’ancien président de la République avait réuni bien plus de 5 % des suffrages mais il avait vu ses comptes invalidés pour dépassement de plafond par la CNCCFP. Il avait alors lancé le « Sarkothon » qui avait récolté 11 millions d’euros. Avant Nicolas Sarkozy, ils ne sont que deux à avoir vu leur compte de campagne annulé : Jacques Cheminade en 1995 et Bruno Mégret en 2002.
Les règles pour le remboursement des campagnes électorales sont-elles devenues inadéquates ? Faut-il les changer ? On en débat aujourd’hui avec deux experts !
🕵 Le débat des experts 🕵
Oui et non. Le financement de la vie politique, au-delà du seul remboursement des campagnes électorales, demeure une question d’actualité depuis au moins la première loi fondamentale du 11 mars 1988, qui faisait suite à des affaires retentissantes de financement des campagnes électorales.
Depuis, parce que l’argent et la politique ne font pas naturellement bon ménage et parce que les affaires n’ont pas cessé, une dizaine de lois votées par toutes les sensibilités politiques depuis plus de 30 ans ont peaufiné un dispositif complexe de financement fondé sur la liberté mais aussi le contrôle, la confiance mais aussi la transparence.
Ce dispositif fonctionne globalement bien comme les rapports de la médiation du crédit aux candidats et aux partis politiques l’attestent depuis 2019[1] pour les élections européennes, municipales, régionales et départementales. Le rapport concernant l’élection présidentielle le confirmera également.
La démocratie, c’est le droit de la majorité de s’imposer, mais également le droit des minorités d’être entendues
Le système fonctionne : aucun problème systémique, c’est-à-dire général ou structurel, n’est à déplorer, aucun blocage inexplicable n’a empêché un candidat de se présenter, et aucun candidat ayant respecté les règles n’a eu de difficulté à être remboursé de ses frais.
Si le problème est bien posé, si les règles législatives et réglementaires, nationales, européennes et même internationales sont respectées, nul besoin de chercher une solution magique, telle qu’une « banque de la démocratie », magnifique oxymore, marronnier médiatico-politique approximatif.
Cela ne veut pas dire que le niveau de l’excellence, le seul envisageable concernant la démocratie, est atteint : loin s’en faut. La démocratie, c’est le droit de la majorité de s’imposer, mais également le droit des minorités d’être entendues.
Le seuil de 5 % des suffrages pourrait être dégressif
Les nouveaux candidats, inexpérimentés, les mouvements, sans tradition, ni fondement, ont du mal à percer, les autres connaissent bien la dizaine de critères à respecter (notamment la capacité à bien gérer son argent et l’impérieuse nécessité de recourir à des flux d’argent propre, les risques de blanchiment, donc d’influence, étant considérables) pour bénéficier des deniers publics, ceux des contribuables, qui sont rares, et des prêts des banques, qui doivent être remboursés depuis la nuit des temps.
Il y a donc des cas particuliers que le « système » entrave. Des améliorations sont donc nécessaires pour que la respiration soit possible sans d’infinies tractations.
- Le seuil de 5 % des suffrages (à obtenir pour bénéficier des remboursements de l’Etat) pourrait être dégressif.
- Celui concernant les dépenses de propagande pourrait également être abaissé.
Au-delà, l’écosystème financier pourrait être assoupli, de telle sorte que le problème de remboursement soit moins présent :
- L’offre bancaire pourrait être améliorée grâce à l’abaissement du seuil des 5 %, mais aussi grâce à une garantie des situations injustes.
- La répartition de la dotation de l’Etat entre les partis pourrait être plus égalitaire, stable et lissée dans le temps.
- Le financement participatif et citoyen pourrait fonctionner plus facilement pour les candidats.
- Le travail de concertation des groupes bancaires avec la médiation doit être rigoureux, sous contrainte de la loi si nécessaire : respect des délais, service aux « clients-candidats », nature et importances des frais bancaires, taux d’intérêt pratiqués, etc.
Au total, l’organisation française peut encore progresser à un niveau parmi les meilleurs au sein des démocraties, en évitant les errements des organisations autoritaires et/ou des systèmes mercantiles.
[1] Rapports du Médiateur (site du ministère de l’intérieur – Elections)
À l’heure où huit candidats sur douze n’ont pas dépassé les 5% de suffrages obtenus au premier tour des élections présidentielles, il serait question de modifier les règles de remboursement des campagnes électorales. Or, les règles de remboursements des campagnes électorales n’ont pas besoin aujourd’hui d’être changées car elles obéissent à une logique de mérite et de transparence.
Premièrement, les règles sont claires. En effet, selon l’article L. 52-11-12 du code électoral, chaque candidat ayant obtenu au moins 5% des suffrages exprimés au premier tour d’un scrutin et dont le compte de campagne a été approuvé par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques CNCCFP) peut bénéficier d’un remboursement forfaitaire de ses dépenses de campagne. La Commission doit d’abord approuver le compte.
Or, les règles de remboursements des campagnes électorales n’ont pas besoin aujourd’hui d’être changées car elles obéissent à une logique de mérite et de transparence
Ainsi, l’État peut accorder aux candidats ayant recueilli au moins 5 % des suffrages exprimés au premier tour, un remboursement forfaitaire pouvant atteindre 47,5 % du montant du plafond des dépenses. En revanche, en cas d’irrégularités commises au regard des règles de financement de la campagne électorale ne conduisant pas au rejet du compte, la décision concernant ce dernier peut moduler à la baisse le montant du remboursement forfaitaire en fonction du nombre et de la gravité de ces irrégularités.
En sus de ce remboursement forfaitaire des candidats, l’Etat peut également prendre directement en charge des dépenses au titre de l’article R. 39 du code électoral comme l’impression des bulletins de vote, des circulaires, des frais d’affichage réglementaire exposés par les candidats.
En revanche, en cas d’irrégularités commises au regard des règles de financement de la campagne électorale ne conduisant pas au rejet du compte, la décision concernant ce dernier peut moduler à la baisse le montant du remboursement forfaitaire en fonction du nombre et de la gravité de ces irrégularités. Cette dernière modalité concerne tous les candidats quel que soit leur score obtenu aux élections.
En revanche, le fait que des partis n’obtiennent pas 5% de suffrage pose aussi la question de stratégie
Deuxièmement, la prise en charge financière par l’Etat du remboursement des campagnes électorales est encadrée seulement depuis 1988. Jusqu’alors il n’y avait pas de régime juridique précis et cela pouvait favoriser certaines dérives. Ces règles ont été forgé dans le temps avec la reconnaissance constitutionnelle du statut des partis politiques (article 4), l’interdiction aux entreprises de prendre part au financement de la vie politique, le plafonnement des dépenses électorales, le renforcement des sanctions en cas de manquements (loi n° 95-65 du 19 janvier 1995 relative au financement de la vie politique), la mise en œuvre des règles de financement des partis et des campagnes électorales confiée à une commission indépendante et le contrôle du patrimoine des élus.
Ces règles ont enfin été largement renforcées pour permettre aujourd’hui l’expression de la démocratie. Elles n’ont pas à être modifiées. En revanche, le fait que des partis n’obtiennent pas 5% de suffrage pose aussi la question de stratégie. Présentent-ils des candidats uniquement pour porter la voix de la minorité qu’ils souhaitent défendre ou portent-ils un projet d’intérêt général ? Plus que la réforme des règles de remboursement, les partis ont tout intérêt à redéfinir leur stratégie autour de projets de sociétés cohérents et rassembleurs.