📋 Le contexte 📋
Il s’agit en fait d’un mode de scrutin. Dans le cas d’un scrutin fonctionnant à la proportionnelle, chaque parti politique présente une liste de candidats. A l’issue du vote, des sièges sont attribués à chaque liste proportionnellement au nombre de voix que chacune des listes a recueillies. Si un parti obtient par exemple 10% des voix, 10% des membres de sa liste siègent à l’Assemblée nationale. Pour pouvoir participer à la répartition des sièges, un seuil de représentativité peut être défini. En dessous de ce seuil, les listes n’obtiennent pas de siège.
L’objectif principal de la représentation proportionnelle est de permettre une représentation de toutes les tendances du corps électoral, et tout particulièrement des minorités. Elle s’oppose en cela de manière fondamentale aux modes de scrutin majoritaire.
En France, la proportionnelle est utilisée pour les élections européennes avec un seuil de représentativité de 5%. Une dose de proportionnelle est également appliquée pour les élections municipales dans les communes de plus de 1.000 habitants ainsi que pour les élections sénatoriales dans les départements où sont élus plus de trois sénateurs.
Et bien non ! Pour les élections législatives, le code électoral prescrit un scrutin uninominal majoritaire à deux tours (désolé pour ce nom barbare). Dans les 577 circonscriptions que compte le pays, les électeurs votent pour un candidat et non pour une liste. Pour être élu dès le premier tour, le candidat doit réunir plus de 50 % des voix et un nombre de suffrages égal à au moins 25 % du nombre d’électeurs inscrits.
Si ces conditions ne sont pas réunies, un second tour est organisé une semaine plus tard. Les deux candidats arrivés en tête du premier tour et ceux ayant récolté un nombre de voix au moins égal à 12,5 % du nombre d’électeurs inscrits peuvent alors s’y présenter.. Le candidat récoltant le plus de voix est élu et les voix obtenues par les concurrents sont en quelque sorte « perdues ».
Sous la cinquième République, la proportionnelle n’a été utilisée en France qu’à une seule reprise pour les élections législatives, en 1986. Mitterrand l’aurait mis en place pour affaiblir la droite menée par Jacques Chirac. Dans chaque département, les partis ont présenté des listes et reçu un nombre de sièges proportionnel au nombre de voix récoltées dans le département. Le scrutin était à un seul tour. Les listes ayant obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés ne pouvaient cependant pas prétendre à l’attribution des sièges.
Résultat : Mitterrand a raté son pari puisque la coalition de droite l’a emporté, et 35 députés Front National ont fait leur entrée à l’Assemblée.
Les élections législatives qui ont eut lieu les 12 et 19 juin ont reposé la question du mode de scrutin. Les partisans de la proportionnelle reprochent au scrutin majoritaire utilisé de ne pas refléter toutes les tendances politiques du pays.
Lors des élections législatives de 2017, En Marche a par exemple récolté 28,21% des voix au premier tour, et obtenu 308 sièges soit 53,4 % de l’hémicycle. En revanche, le Rassemblement National avait réuni 13,2% des voix au premier tour, mais seulement 8 sièges à l’Assemblée, soit 1,4% des sièges. A peine élue députée, Marine Le Pen avait réclamé une « proportionnelle intégrale » à Emmanuel Macron.
Mais le parti d’extrême droite n’est pas le seul à proposer un passage à la proportionnelle. En mars 2021, La France insoumise avait fait une proposition de loi visant à instaurer la proportionnelle intégrale au scrutin législatif au nom d’une « représentation parlementaire conforme à la diversité de leurs opinions politiques ».
Et avec le scrutin qui vient d’avoir lieu, le débat n’est pas prêt de se clore : avec 245 députés , la majorité présidentielle obtient 42,5 % des sièges, alors qu’elle a atteint 25,75 % des voix au premier tour. Avec une proportionnelle intégrale , la majorité présidentielle aurait obtenu seulement 183 députés. De son côté, la NUPES, qui a obtenu 133 sièges (plus 20 députés divers gauche), aurait obtenu 182 députés. Le Rassemblement national aurait eut 132 sièges, contre 89.
De son côté, Emmanuel Macron s’est dit le 13 avril « ouvert » à un système de proportionnelle intégrale, précisant qu’il s’agissait là d’une « réflexion » et non d’une promesse. Le chef de l’Etat y voit un moyen pour « recréer de la concorde dans la vie du pays » et pour « permettre plus d’adhésion démocratique ». La prudence est de mise : Emmanuel Macron s’était déjà engagé en 2017 à intégrer une dose de proportionnelle dès la première année de son mandat.
Mais certains sont farouchement opposés à ce mode de scrutin. Selon eux, il empêche l’apparition d’une majorité forte capable de gouverner efficacement. De plus, la proportionnelle imposerait la formation de coalitions et d’accords post-électoraux. Et vous, qu’en pensez-vous ?
🕵 Le débat des experts 🕵
La proportionnelle exprime plus fidèlement le choix de l’électorat et elle oblige un gouvernement à s’appuyer sur une partie plus substantielle de l’opinion. Le système actuel est injuste et crée de l’instabilité politique en donnant le sentiment à beaucoup de Français qu’ils ne sont pas représentés. Avec 15,4 % des inscrits au premier tour des législatives (32,33 % des votants) l’actuelle majorité a obtenu six députés sur dix à l’Assemblée.
Le politologue néerlandais Arend Lijphart note que la proportionnelle favorise l’adhésion aux institutions et la participation. Elle entraîne une baisse moyenne de l’abstention de 7,5 points (une fois les autres facteurs isolés). La participation est notamment plus élevée de 12 points chez les jeunes selon un rapport de Rapport de l’Union interparlementaire de 2016. Sur un autre plan, Arend Lijphart montre que la proportionnelle rapproche les grands choix politiques de la position de l’électeur médian. Les citoyens semblent plus satisfaits de la qualité démocratique du régime et les élus sont plus réceptifs aux demandes de l’électorat.
La proportionnelle tend enfin à favoriser la stabilité des positions programmatiques partisanes
De son côté, le scrutin majoritaire tend à fragiliser l’intérêt général en favorisant la défense de positions localistes par les parlementaires. Certes, les partis disposent d’une marge de manœuvre pour négocier entre eux après le vote. Toutefois, les études montrent que les alliances qu’ils tissent sont généralement stables, ce qui limite les surprises. Par ailleurs, la proportionnelle tend enfin à favoriser la stabilité des positions programmatiques partisanes, ce qui permet à l’électeur de leur accorder plus de crédit et de mieux comprendre les clivages.
C’est un débat très francocentré. Seules la France et la Grande-Bretagne n’appliquent pas la proportionnelle en Europe. Malgré un lieu commun ancré, elle n’est pas source d’instabilité. La France a connu seize gouvernements différents depuis 2000 contre sept pour l’Allemagne, neuf pour l’Espagne et douze pour l’Italie. Angela Merkel a donné le change à quatre présidents de la République.
Il y a plein d’instruments permettant de favoriser la constitution de majorités. Tout ça se pratique ailleurs et est parfaitement maitrisé.
On prend souvent comme référence le passé pour dire qu’elle fut source d’instabilité. Mais la IIIème République fonctionnait sur la base du scrutin majoritaire. La IVème, sur le fondement d’une proportionnelle par apparentements rendant le scrutin en réalité majoré dans beaucoup de départements. Par ailleurs, on excluait de toute coalition à l’époque communistes et gaullistes, soit 30 à 45% des électeurs. Cela contraignait à des attelages gouvernementaux ubuesques. Bien sûr, une proportionnelle intégrale sans seuil de représentation peut s’avérer ingérable (on pense à l’exemple israélien). Mais il y a plein d’instruments permettant de favoriser la constitution de majorités (seuil de représentation, prime majoritaire, appartements). Tout ça se pratique ailleurs et est parfaitement maîtrisé.
Sur le contre-argument souvent avancé de la rupture avec le terrain, le scrutin proportionnel allemand (qui n’est pas un système mixte) montre que là encore il existe des solutions. Ces réticences sont par ailleurs surtout le fait des élites qui ont acquis ces lieux communs durant leurs études. Un sondage BVA mené à la veille des élections législatives de 2017, montrait que 71 % des Français s’y déclaraient favorables.
L’introduction du scrutin proportionnel aux élections législatives est un débat récurrent. Souvent présentée comme un progrès démocratique, la proportionnelle est pourtant moins démocratique que le scrutin majoritaire.
En voilà un argument paradoxal, dira-t-on, alors que l’intérêt du scrutin proportionnel est justement de refléter fidèlement le spectre politique de la société. Qu’y aurait-il d’antidémocratique ici ou de plus démocratique à cela ?
Le scrutin proportionnel engendre des négociations de coalition postérieures au scrutin, qui échappent donc aux électeurs
D’abord, le scrutin proportionnel engendre des négociations de coalition postérieures au scrutin, qui échappent donc aux électeurs et qui peuvent même aller à l’encontre de ce qui leur a été exposé pendant la campagne électorale, comme ce fut le cas en Allemagne en 2017 et en Italie en 2018. Est-ce alors démocratique que les socio-démocrates allemands mènent campagne en soutenant que « jamais plus jamais » ils ne gouverneront avec les chrétiens-démocrates d’Angela Merkel pour, au lendemain de l’élection, trouver un accord de coalition avec eux ?
À l’inverse, le scrutin majoritaire impose une négociation antérieure au scrutin, pour que des candidatures communes et d’union soient présentées dans les circonscriptions, afin d’obtenir le score le plus élevé. Les accords sont soumis aux électeurs, qui peuvent alors opérer un choix démocratique et éclairé. Le scrutin de 2022 l’illustre, avec les accords qui ont pu être conclus, à gauche (la « Nupes ») ou au sein de la majorité (« Ensemble ! »).
Ensuite, la démocratie, comme gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, est certes tournée vers le peuple, mais aussi vers le gouvernement. Or gouverner, c’est décider et, pour décider, il ne faut point être entravé. Il ne s’agit pas de dire qu’il faut décider de façon unilatérale, sans discussion aucune, mais il ne faut pas non plus verser dans l’excès inverse, consistant à associer une multitude de partenaires à la prise de décision, conduisant à des négociations perpétuelles, empêchant toute décision efficace. Surtout dans un pays où la recherche du compromis est davantage associée à la compromission qu’à la sagesse.
Le scrutin majoritaire favorise l’émergence d’une majorité, donc la prise de décision sans, pour autant, nier l’existence de minorités. Elles sont associées à la prise de décision, comme ce fut d’ailleurs le cas dans les Gouvernements de la Ve République, pourvu que ces minorités s’inscrivent dans la politique majoritaire.
Ces partis marginaux peuvent avoir un poids excessif lorsque, dans le cadre d’un scrutin proportionnel, des négociations cruciales les mettent en position de force
En revanche, ce scrutin opère au détriment de certains partis qui, bien que disposant d’un écho dans l’opinion publique, ne parviennent pas à s’unir. Ce sont généralement eux qui appellent à la proportionnelle, ce qui ne manque pas d’ironie : ils réclament un scrutin qui impose des coalitions, alors qu’ils sont eux-mêmes dans l’incapacité de s’inscrire dans la moindre union, ne parvenant pas à faire des accords politiques avant les élections pour les soumettre aux électeurs.
Il n’y a donc rien d’antidémocratique dans le scrutin majoritaire, au contraire : il favorise les partis démocratiquement forts et réduit l’impact des partis démocratiquement marginaux, non quant à leur présence dans l’opinion, mais quant à leur capacité à s’inscrire dans un processus de gouvernement. À l’inverse, ces partis marginaux peuvent avoir un poids excessif lorsque, dans le cadre d’un scrutin proportionnel, des négociations cruciales les mettent en position de force, afin de construire une majorité dans l’urgence. Cette coalition est alors hétéroclite, impuissante et fragile : elle ne vit qu’au gré des calculs, parfois médiocres, de ses composantes.
Réduire le poids institutionnel de partis incapables de s’inscrire dans un gouvernement pluraliste n’est pas antidémocratique : c’est rationnel. Or rien n’indique que la démocratie doive se priver de cette vertu.