Ce débat a été publié initialement sur le site de débat italien Pro Versi : pour retrouver l’article dans sa version originale, cliquez ici.
📋 Le contexte 📋
La Turquie est candidate depuis 1987 pour adhérer à l’Union européenne. Un statut officiellement reconnu par les Européens en 1999.
Depuis, la perspective de son entrée dans l’Union européenne a suscité de vifs débats liés à la taille et à la position géographique du pays, au poids de la religion musulmane dans sa société ou encore à sa position sur la question chypriote.
Avec le durcissement du régime de Recep Tayyip Erdoğan ces dernières années, la perspective d’une adhésion turque à l’UE s’est éloignée. Premières étapes vers ce refroidissement des relations entre les deux puissances : le blocage des négociations par la France et l’Allemagne en 2007, l’aggravation du conflit avec les Kurdes depuis le début des années 2010 et la répression des manifestations de la place Taksim en 2013.
La dynamique s’est encore accélérée ces cinq dernières années. Purges et emprisonnements arbitraires après la tentative manquée de coup d’Etat en juillet 2016, extension des pouvoirs de Recep Tayyip Erdoğan, insultes vis-à-vis des autorités allemandes, néerlandaises ou encore françaises, interventions militaires en Syrie et instrumentalisation politique des flux migratoires…, le pays s’est considérablement éloigné de ses partenaires européens, au point que le Conseil de l’UE estimait que les négociations étaient “au point mort” avec Ankara en octobre 2020.
Source : Toute l’Europe (cliquez ici pour tout savoir sur le processus d’adhésion de la Turquie)
L’admission de la Turquie dans l’Union européenne est devenue une question controversée. Par « adhésion », nous entendons un niveau d’intégration supérieur à des accords bilatéraux spécifiques, qui offre des espaces de codécision, de politique commune et de représentation de l’État turc dans les institutions clés de l’Union (Conseil européen, Conseil des ministres de l’Union européenne, Commission, Parlement européen). Cette définition n’implique pas nécessairement une participation à la zone monétaire de l’euro ou à l’espace Schengen de libre circulation, ce qui peut être discuté à un stade ultérieur de l’intégration.
La Turquie joue un rôle particulier dans l’actualité récente, principalement en raison de l’ambiguïté de Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre du pays depuis 2003 et président depuis 2014.
Erdogan s’est montré capable, d’une part, de mener des actions de médiation diplomatique profondes ( entre la Russie et l’Ukraine récemment, auparavant pour apaiser le conflit syrien) et d’être un collaborateur crucial pour l’Union, dans le commerce et la gestion des flux migratoires, par exemple.
Cependant, il est impossible de fermer les yeux sur les accusations de suppression des droits humains et civils dont le régime du président est devenu le protagoniste. Certains épisodes qui soulignent les tendances extrémistes d’Erdogan ont suscité un vif intérêt médiatique en Italie : ce fut le cas de la conversion de la basilique Sainte-Sophie en mosquée, la libération de migrants syriens à la frontière avec la Grèce en février 2020, le retrait du Traité d’Istanbul contre les violences de genre et domestiques, ou encore de l’épisode qui a vu Ursula Von Der Leyen, présidente de la Commission européenne, se retrouver sans siège lors d’une visite diplomatique à Ankara. Suite à ce dernier événement, le Premier ministre italien Mario Draghi n’avait pas hésité à qualifier Erdogan de dictateur.
Alors, faut-il faire adhérer la Turquie à l’Union Européenne ? On en débat
🕵 Le débat des experts 🕵
La Turquie est une économie à fort potentiel : selon des sources gouvernementales, elle deviendra la douzième économie mondiale d’ici 2030, dépassant l’Italie et la Corée du Sud. Ces dernières années, elle a souvent été proche du respect des critères de Maastricht, les contraintes économiques que les États candidats doivent respecter pour rejoindre l’Union. Favoriser l’intégration turque signifierait renforcer la circulation commerciale, dynamiser le système européen dans un scénario de compétitivité croissante des marchés mondiaux.
Un autre aspect pour lequel l’Union a intérêt à maintenait et à approfondir la relation réside dans la stratégie de gestion des flux migratoires
Mais l’importance de la relation entre l’Europe et la Turquie ne se mesure pas seulement en termes d’ouverture commerciale. Un autre aspect pour lequel l’Union a intérêt à maintenir et à approfondir la relation réside dans la stratégie de gestion des flux migratoires vers l’UE. En effet, en vertu d’un pacte signé en 2016, la Turquie accueille environ 3,7 millions de réfugiés syriens, les maintenant hors des frontières européennes. Cet accord a provoqué des frustrations de part et d’autre, l’Union se plaignant de violations du traité par la Turquie et cette dernière attendant toujours la pleine réalisation des promesses faites par l’UE. Pour sortir de l’impasse, le processus d’admission devrait reprendre, afin de pousser à plus de collaboration, même à long terme.
Le président Erdogan ne se pas éternellement au pouvoir. À l’approche des élections politiques de 2023, les États européens ne peuvent pas manquer l’occasion de soutenir les forces progressistes déjà présentes dans le pays, pour qu’une transition démocratique pacifique ait lieu. Renouveler l’engagement de chercher une voie pour l’admission de la Turquie, si les conditions nécessaires en termes de droits humains et civils sont remplies, peut renforcer les mouvements de la société civile déjà existants.
L’occasion de stimuler les réformes démocratiques en Turquie
Les pourparlers sur la mise à jour de l’union douanière UE-Turquie pourraient être l’occasion de stimuler les réformes démocratiques en Turquie surtout si l’Europe conditionnait la conclusion des négociations à un renforcement de la démocratie en Turquie […] La Turquie est un acteur important dans le voisinage de l’Europe et il est dans l’intérêt de l’UE d’explorer les opportunités de coopération avec elle en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie et en Ukraine.
Auteur cités :
- Kaymakci Faruk – Kaymakci Faruk – Ministre turc des Affaires étrangères
- Hadzhieva Eli – Experte sur le rôle de l’UE, la politique et les élections européennes et l’économie numérique
- Piri Kati – membre de la deuxième chambre des Pays-Bas
- Scazzieri Luigi – Chercheur senior au Centre pour la réforme européenne
L’Europe à laquelle s’adresse le projet de l’Union européenne est un territoire géographiquement bien défini, caractérisé par des racines chrétiennes communes. La possibilité d’admission a jusqu’à présent été accordée aux États du continent européen; La Turquie ne relève de ce critère que pour les territoires au-delà du Bosphore, qui ne constituent qu’une portion minimale de la surface de l’État.
Les propres choix politiques d’Erdogan se sont progressivement éloignés de l’objectif d’adhésion
La question religieuse soulève également la perplexité : un Etat qui professe la foi musulmane et même l’administre, à travers l’une de ses institutions (la Présidence des affaires religieuses), s’avère trop éloigné du principe « Eglise libre dans un Etat libre », à la base de tous les États européens modernes. S’il est vrai qu’il n’y a pas de philosophie politique précise qui donne à l’Union la direction à suivre dans ses relations avec la Turquie et, plus généralement, avec les États de la périphérie, il est également vrai que les divergences sont souvent si radicales qu’elles découragent les deux parties dans l’approfondissement de leur relation : les propres choix de politique étrangère d’Erdogan se sont progressivement éloignés de l’objectif d’adhésion.
Erosion de l’Etat de droit, l’absence de mécanismes institutionnels de contrôle et de contrepouvoir, les violations des droits de l’Homme au détriment des minorités…
Le 13 mars 2019, le Parlement européen a approuvé, sous la pression du groupe souverainiste et nationaliste Identité et Démocratie, une résolution appelant la Commission européenne à suspendre immédiatement le processus d’admission de la Turquie dans l’Union européenne. Les préoccupations qui ont conduit à cette résolution concernent l’érosion progressive de l’État de droit, l’absence de mécanismes institutionnels de contrôle et de contrepouvoir, les violations des droits de l’Homme au détriment des minorités et la perpétuation de mesures disproportionnées et arbitraires à l’encontre de la liberté d’expression et de la liberté de la presse. Tout cela a été mis en lumière dans le rapport élaboré par une commission parlementaire créée ad hoc en 2018. Une résolution similaire avait également été déposée, en 2016, par le Parti populaire européen et les sociaux-démocrates, démontrant à quel point la responsabilité de la politique turque dépasse les affiliations partisanes.
L’eurodéputée du Mouvement 5 étoiles Laura Ferrara, dans un discours au Parlement européen, avait alors affirmé : « Le gouvernement italien a immédiatement annoncé l’arrêt des ventes d’armes à la Turquie, laissez les autres pays européens faire de même. Arrêtez tout financement et abolissez le processus d’adhésion à l’UE de ceux qui s’avèrent être la négation d’une perspective de paix et des valeurs sur lesquelles l’Union européenne est fondée ».
Auteurs cités :
- Altomonte Carlo – Professeur associé de politique économique européenne
- Villafranca Antonio – Directeur d’études et co-responsable de l’Observatoire ISPI Europe et Gouvernance mondiale
- Ferrara Laura – Députée européenne du Mouvement 5 Etoiles