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« Comment meurt-on dans nos sociétés ?»
Presque imperceptible, la question glisse tout au long du roman graphique Ne m’oublie pas. Scénarisé et dessiné par Alix Garin, l’album raconte l’histoire de la jeune Clémence et de sa grand-mère atteinte d’Alzheimer. Tout en sincérité et légèreté, l’autrice s’interroge sur la place de la vieillesse et de la mort dans nos sociétés, dans un récit chargé d’émotion.
LE CONSEIL DE DÉGUSTATION
Alix Garin vous conseille de siroter un thé vert au yuzu. En provenance du café bruxellois Eden Café, c’est une boisson rafraîchissante pleine d’agrumes, qui fait frétiller les papilles dès le matin !
Lorsqu’à 6 ans Alix a compris que faire de la BD pouvait être un métier, elle n’a cessé de s’accrocher à cette vocation. Après avoir étudié la bande-dessinée pendant trois ans à l’École supérieure des arts de Saint-Luc à Liège, elle décroche un CDI chez Cartoonbase, une agence d’illustration vidéo bruxelloise où elle travaille encore aujourd’hui. Ensuite, tout s’enchaîne. Alix rencontre Mathias Vincent, son futur éditeur. Ce dernier lui annonce être tombé sous le charme de ses planches réalisées pour le concours du quai des bulles (St Malo) de jeunes talents, qu’elle a par ailleurs gagné en 2017.
Elle lui présente son projet de BD, et l’aventure de Ne m’oublie pas débute. “Tout s’est précipité avec le CDI, la bd. Un moment fantastique mais aussi très intense”, précise Alix. C’est ainsi qu’en 2021, son tout premier album paraît aux éditions Le Lombard. Avec un style cartoon décomplexé influencé notamment par l’auteur Riad Sattouf (L’arabe du futur, Les cahiers d’Esther), un trait léger et une histoire touchante, Ne m’oublie pas est victime de son succès. Cette même année, Alix remporte le Prix BD des étudiants France Culture – Les Inrockuptibles, grâce à ce récit émouvant.
« L’impuissance face à la maladie »
Si cet album est empreint de réflexions et d’émotions inspirées du vécu d’Alix, il ne s’agit toutefois pas d’une autobiographie, ni même d’une auto-fiction. Proche de sa grand-mère atteinte d’une maladie apparentée à Alzheimer, elle évoque son impuissance face aux symptômes de la maladie. “Ça m’a vraiment ébranlée d’assister à son déclin progressif”, confie-t-elle. Se sentant dans un même temps poussée dans le dos vers la “vie d’adulte”, la jeune autrice glisse dans son récit des réflexions autour du passage à cette nouvelle période, à travers le personnage de Clémence.
Cette dernière et sa grand-mère entretiennent une forte relation, où se confrontent jeunesse et vieillesse. À l’image du vécu d’Alix, dont les émotions paraissent en filigrane. Lorsque l’on pose ces sentiments sur le papier, il est parfois plus simple de s’en détacher. Alors la réalisation de cette œuvre a-t-elle été thérapeutique ? “Oui, créer cet album, ça m’a guéri”, dévoile l’artiste.
« J’espère que je ne mourrai pas dans une maison de retraite »
“En maison de retraite, le personnel et les moyens sont beaucoup trop insuffisants », affirme Alix. “Les personnes qui y travaillent sont confrontées à des obligations d’horaires et de rentabilité totalement incompatibles avec l’humanité dont aurait besoin ce genre d’endroit”.
Lorsque ses deux grands-parents se sont retrouvés en maison de retraite, elle et sa famille en ont fait les frais. Après le covid et les questionnements qu’il a engendré sur le traitement des personnes âgées, et le scandale Orpea, l’autrice avait espéré qu’un changement pointerait le bout de son nez. Pourtant, elle estime que ça n’a pas été le cas. “Dans ma famille on s’est retrouvés dos au mur”, témoigne l’autrice, qui considère qu’il n’y a à ce jour que très peu de solutions pour vieillir et mourir dans la dignité. Inquiète de la façon dont on traite nos aînés dans nos sociétés, Alix pose le doigt sur ce sujet sociétal complexe : “J’espère que je ne mourrai pas dans une maison de retraite”.
« Un contraste entre jeunesse et vieillesse »
Considérant porter une responsabilité sociétale de part son statut d’artiste, Alix explique faire attention aux conséquences de ses écrits. Taraudée par les questions relatives à la fin de vie, elle cherche à dédramatiser grâce à une histoire fictionnelle qui parle de sujets parfois difficiles à évoquer. “Quand on lit de la fiction ou des témoignages, et qu’on est ému, c’est quand il y a quelque chose qu’on ressentait, mais on n’avait pas mis le doigt dessus ”, explique-t-elle. En ce sens, elle dessine des scènes qui sortent les lecteurs et les lectrices hors de leurs zones de confort.
Dans une séquence où Clémence prend son bain avec sa grand-mère, il est possible de voir des parties assez détaillées du corps nu de celle-ci, alors même que les corps vieillissants sont souvent considérés comme tabous. Pour Alix, il s’agit de moments quotidiens face auxquels on peut vite se sentir démuni. “On ne parle jamais du fait que ton voisin donne le bain à son parent“, témoigne l’illustratrice, qui a souhaité créer une scène poétique qui montre tous les détails d’un corps nu, avec ses plis, ses tâches et ses imperfections. Un contraste entre le corps de Clémence et celui de sa grand-mère, “un contraste entre jeunesse et vieillesse”.
« Mourir, ce n’est pas un gros mot »
À l’image de la scène du bain, d’autres parties du corps sont représentées. Les mains anxieuses de Clémence et celles abîmées de sa grand-mère racontent l’histoire du temps qui passe. “À travers les détails, l’évocation peut être plus forte que le premier degré”, affirme Alix. Au fil du récit, Clémence emporte sa grand-mère dans une quête interdite vers sa maison d’enfance.
Avec peu de texte, les émotions passent à travers le silence. Alix laisse la place à la quiétude, elle laisse le temps aux lecteurs et aux lectrices. “Dans des récits si chargés en émotions, parfois le silence vaut mille mots. Il y a beaucoup de choses qui se passent dans le calme, dans les émotions”, reconnaît-elle. Alors comme une métaphore de la vie rêvée, le voyage de Clémence et sa grand-mère prend des allures d’aller simple. “Ce n’est pas une histoire triste pour autant”, glisse l’autrice, “c’est une histoire de mort apaisée et douce, car oui, mourir, ce n’est pas un gros mot ”.
Alors, t’as capthé ?
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