Les filles doivent-elles pouvoir être « Enfants de chœur » ?

📋  Le contexte  📋

En effet, depuis les années 1980 on ne parle plus d’enfants de chœur mais de servant d’autel ou de servant de messe.

Un servant d’autel ou servant de messe est, dans l’Église catholique, un laïc qui intervient lors des actions liturgiques : participer aux processions, servir la messe… Reconnaissables à leur aube blanche, il s’agit souvent d’enfants entre 7 et 14 ans. Leur rôle est d’aider le prêtre lors des célébrations : en leur apportant les objets religieux (calices, hosties, ciboires…), en s’occupant des cierges qui servent lors des processions d’entrée et de sortie, ou encore en portant l’encensoir pour les encensements. 

 

Pendant longtemps, seuls les garçons ont été autorisées à être enfants de chœur. Mais depuis Vatican II, considérant que le service de l’autel s’inscrit dans la participation des fidèles laïcs à la liturgie, au titre de leur baptême et de leur confirmation, celui-ci est devenu accessible aussi aux filles.

L’instruction de Jean-Paul II Redemptionis Sacramentum (2004) énonce d’ailleurs que « les filles ou les femmes peuvent être admises à ce service de l’autel, au jugement de l’évêque diocésain ». Cela signifie les filles étaient admises à servir l’autel pendant la messe sous réserve d’obtenir l’autorisation de l’évêque. En septembre 2011, lors d’une messe présidée par le pape Benoît XVI à Fribourg-en-Breisgau (Allemagne), le Saint-Siège avait ainsi autorisé que des filles servent la messe du pape.

Mais cette possibilité n’était pas légalisée dans l’Église catholique. Par un décret spécial, un motu proprio intitulé « Spiritus Domini » publié le 11 janvier 2021, le pape François a inscrit définitivement et pour toute l’Église catholique latine cette mesure dans le droit canonique (le droit interne de l’Église catholique) : les « enfants de chœurs » comme on les appelle communément, pourront être indistinctement des garçons ou des filles.

En France, la situation est un peu particulière pour les enfants de chœur. Dans certaines paroisses , les filles continuent d’être exclues du service de l’autel. Ces paroisses ont mis en place des « servantes d’assemblée » , un rôle qui n’existe qu’en France : les filles ne servent pas à l’autel mais avec d’activités comme les cierges, l’accueil des fidèles ou la quête.

Cela divise les catholiques français. Alors, les filles doivent-elles pouvoir être enfants de chœur ? Nous vous proposons d’en débattre avec deux experts ! 

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
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Le « Pour »
Hélène Bricout
Professeure de théologie sacramentaire et de liturgie (ICP)
Le service de l’autel, un ministère pour tous les baptisés

Le grave malaise largement exprimé par nombre de chrétiens, hommes et femmes, devant l’exclusion des filles du ministère de l’autel, conduit à préciser les raisons de l’inconvenance de cette pratique : 

  • Tout ministère laïc trouve son fondement dans le baptême, dont Paul montre comment il abolit les différences sociales, ethniques et sexuelles : « Vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ ; il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus » (Gal 3,28) ; la distinction entre des ministères reposant sur le même baptême ne prend pas au sérieux la nouveauté que le Christ a apportée dans les relations interhumaines, et que le baptême manifeste. 
  • La liturgie de Vatican II est pluriministérielle, mais seuls les ministères ordonnés sont, jusqu’à présent, exclusivement masculins ; non les ministères baptismaux.
  • Tous les fidèles célèbrent ensemble l’eucharistie. Le ministère de l’autel est donc inséparablement un service de l’eucharistie et de l’assemblée. La distinction entre les deux induit une séparation artificielle (et obsolète) entre le chœur et l’assemblée. 
  • Le ministère institué de l’acolytat (version « adulte » du service de l’autel) est explicitement ouvert aux femmes depuis le Motu proprio Spiritus Domini (10 janvier 2021), comme il l’était déjà dans les faits avant. Il est dès lors particulièrement incohérent d’en empêcher l’accès aux filles.

Les arguments qui soutiennent l’exclusion des filles relèvent de plusieurs ordres, dont aucun ne se révèle décisif :

  • On dit que les garçons, moins « dégourdis » que les filles, finissent par déserter ce service. Dans une équipe correctement encadrée, ce genre de problème ne se pose pas ; c’est au contraire le lieu d’apprentissage d’une heureuse coopération entre garçons et filles dans l’Eglise. 
  • Ce ministère favoriserait la vocation des garçons ; toutefois il n’est pas fait pour cela, mais pour le service de toute l’assemblée. Il participe ainsi à la maturation de toute vocation chrétienne, et non de la seule vocation presbytérale. Il faut aussi souligner le risque de « produire » des prêtres qui mettront les femmes à l’écart, comme ils l’auront vu faire… L’argument vocationnel repose en outre sur une théologie des ministères dépassée, pensée à partir du ministère ordonné et non du baptême, contrairement à la théologie exprimée par le concile Vatican II, la prière d’ordination des prêtres et la lettre du pape François accompagnant Spiritus Domini
  • Un mauvais usage du symbolisme entre le Christ et l’Eglise est également souvent invoqué. Mais tous les baptisés, hommes et femmes, constituent et représentent l’Eglise, et pas seulement les femmes. Seul le prêtre agit au nom du Christ dans la présidence liturgique ; les autres ministères sont tous du côté de l’Eglise.
  • L’argument « Dieu s’est fait homme » révèle un contresens sur le latin : le terme homo désigne le genre humain, non le masculin. 

Le fait que ce phénomène soit français nous alerte sur une possible dimension politique de la question : pour s’opposer aux théories du genre, des catholiques veulent inscrire la différence sexuelle dans la structure liturgique ; mais en aucun cas il n’est légitime d’instrumentaliser la liturgie à d’autres fins qu’elle-même.

L’unité des communautés plaide pour une pratique conforme aux principes théologiques de la liturgie de Vatican II – donc pour la suppression de la récente pratique mise en cause.

Le « Contre »
Matthieu Berger
Curé de la paroisse de Poissy
Un choix tout à fait pragmatique

La première raison est anthropologique : une fille et un garçon, ce n’est pas pareil. C’est différent à tous les niveaux de l’être humain, auquel la foi n’échappe pas. Quand ils sont jeunes et adolescents, ils ne vivent, ni n’expriment leur foi de la même manière.

Une deuxième raison est que dans un groupe de servants, on parle de foi et donc de quelque chose de très intime et de personnel. A ces âges-là, le regard de l’un(e) sur l’autre les bloque. Il n’est pas bon, pour que chacun se sente libre de s’exprimer, que les filles et les garçons soient mélangés.

Autre raison, que vous aurez tous constatée au sein de vos familles : la maturité n’est pas la même au même âge. Celle des filles est beaucoup plus précoce y compris en ce qui touche au spirituel. L’expérience montre que dans un groupe de servants, lorsqu’il y a des filles et des garçons, les filles font mieux et donc petit à petit les garçons partent…

De même, d’un point de vue tout à fait concret, les filles font des choses que les garçons ne font pas. Par exemple, faire lire un ado de 14 ans au micro c’est très compliqué et ils ne veulent pas… alors que les filles se proposent volontiers. Pareil pour chanter un psaume ou faire chanter : les filles le feront avec joie. Demander à des garçons d’accueillir à l’entrée de l’église, ils le feront de manière un peu pataude contrairement aux filles qui le feront avec le sourire naturellement.

« Les filles font mieux » et du coup on semble leur proposer un service qui semble moins « valorisant »… n’est-ce pas contradictoire ? Non. Le service de l’assemblée n’est pas moins valorisant que le service de l’autel. Dans la liturgie, non seulement l’autel et le prêtre représentent le Christ mais tout autant l’assemblée, corps du Christ. Avez-vous remarqué que pendant la messe l’on encense et l’autel et le prêtre et l’assemblée ? La valeur sacrée est la même… Pourquoi serait-il plus digne de servir l’un que l’autre ?

Je désire, dans notre monde où l’on essaie de nier la différence sexuée, la différence entre garçon et fille, offrir au moins encore un lieu où les garçons et les filles peuvent vivre quelque chose de leur côté, de manière séparée. Il n’y a plus beaucoup de lieu où les garçons puissent se retrouver entre eux et les filles entre elles. C’est fondamental notamment en ce qui concerne la foi et la spiritualité.

N’oublions pas non plus que les groupes de servants d’autel et de servantes de l’assemblée sont des lieux qui peuvent aider ces jeunes à discerner, à entendre leur vocation, ce à quoi Dieu les appelle, quelle qu’elle soit… dans les progressions spirituelles qu’on leur fera vivre dans les moments de groupe et de prière et de réflexion qu’ils pourront avoir…

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