Les obligations vertes européennes favorisent-elles vraiment la transition écologique ?

Cette publication a été produite avec le soutien financier de l’Union européenne. Son contenu relève de la seule responsabilité du journal Le Drenche et ne reflète pas nécessairement les opinions de l’Union européenne.

📋  Le contexte  📋

En juillet 2020, le plan de relance européen NextGenEU a été adopté par les 27 États membres pour financer une reprise économique durable. Cet outil temporaire de relance de 750 milliards d’euros a pour objectif de financer la transition numérique, la résilience économique et l’action pour le climat. Or, dans le cadre du plan de relance, la Commission européenne émet des obligations vertes dont le produit finance des investissements liés à la lutte contre le réchauffement climatique. Une obligation est un actif financier. Plus précisément, c’est un morceau de dette qui peut être émis sur les marchés financiers par un État ou une entreprise.

Contrairement à une obligation classique, l’obligation verte implique un objectif lié à la protection de l’environnement. Ainsi, la Commission prévoit que 30 % des fonds du plan de relance soient financés par l’émission de ces obligations. Ces fonds serviront aux États membres pour financer la transition écologique. Ce programme fait de l’Union européenne le plus grand émetteur d’obligations vertes au monde.

L’UE ne sera pas la seule entité à pouvoir émettre des obligations vertes : les entreprises le peuvent aussi. Cependant, dans le cadre du Pacte Vert européen, seules les entreprises respectant des exigences strictes pourront utiliser l’appellation « obligations vertes européennes » ou EuGB (European Green Bonds Standards).

En effet, la Commission a proposé un standard sur les obligations vertes qui s’appuie sur la taxonomie européenne. Seuls les émetteurs répondant à ces standards pourront émettre des obligations labellisées EuGB afin de financer des projets dans la transition écologique. Ces standards comprennent des critères en matière de transparence concernant l’affectation du produit des obligations, avec notamment des exigences détaillées en matière de reporting. Une entité de contrôle indépendante est chargée d’assurer la conformité avec le règlement européen et l’alignement des projets financés à la taxonomie. Tous les émetteurs qui répondent à ces exigences, qu’ils soient situés à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Union européenne, pourront utiliser l’appellation EuGB.

 

La finance verte est l’objet de nombreuses critiques et les obligations vertes ne font pas exception puisqu’elles sont souvent accusées de greenwashing. C’est malgré tout pour éviter ce phénomène que l’UE a souhaité mettre en place une taxonomie pour faire en sorte que ces entreprises qui émettent des obligations vertes respectent leurs engagements. Sans contrôle et encadrement, il est en effet difficile d’assurer l’efficacité des obligations vertes pour sauvegarder l’environnement, puisque n’importe quelle entreprise pourrait alors émettre des obligations « vertes » sans contrepartie.

Par ailleurs, certains considèrent que les exigences de l’UE ne sont pas assez élevées. Par exemple, l’UE considère que le gaz et le nucléaire sont des énergies de transition et peuvent, à ce titre, être financés par des EuGB. Or, tous les États membres ne s’accordent pas sur l’impact environnemental de ces énergies. Des partis de gauche et écologiques s’opposent également à leur utilisation. Alors, les obligations vertes européennes permettent-elles réellement de financer la transition écologique ? On en débat !

 

🕵  Le débat des experts  🕵

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Les obligations vertes européennes favorisent-elles vraiment la transition écologique ?
Le « Pour »
Noam Leandri
Secrétaire général de l’Agence de la transition écologique (ADEME), auteur de La finance verte (La Découverte)
Les obligations vertes, un outil essentiel pour réorienter la finance

La COP 21 a donné un coup d’accélérateur aux obligations vertes comme outil de verdissement de la finance, un des grands objectifs de l’Accord de Paris de 2015. 

En France, la neutralité carbone en 2050 implique de doubler, voire tripler, les financements climats pour atteindre 50 à 70 milliards d’euros par an à horizon 2030 selon I4CE. Au niveau mondial, l’OCDE estime les besoins d’investissements pour une transition bas carbone à 6 900 milliards de dollars par an jusqu’en 2030. En comparaison, les financements favorables au climat atteignent seulement 600 milliards de dollars soit 2% des flux totaux. 

Qu’est-ce qu’une obligation verte ? 

Comme une obligation ordinaire, une obligation verte est un emprunt levé auprès d’investisseurs sur le marché des capitaux. La label « vert » signifie un engagement à utiliser exclusivement les fonds levés pour financer ou refinancer des projets, actifs ou activités « verts » comme, par exemple, les énergies renouvelables, les transports propres ou la préservation de la biodiversité. 

Le marché s’est rapidement organisé autour des Green Bonds Principles (GBP), un standard établi en 2014 par des banques et des investisseurs. Jusqu’à présent, ces principes n’ont pas eu de caractère contraignant. Toutefois, en France, l’Autorité des marchés financiers a recommandé dès 2016 aux émetteurs d’obligations vertes de suivre ces recommandations. Et en Europe, la Commission européenne prévoit d’en faire des critères obligatoires. 

L’impulsion des émetteurs publics. 

La première émission d’obligation verte a été réalisée par la ville de San Francisco en 2001 pour le financement de l’électricité solaire. Le marché des obligations vertes s’est réellement structuré en 2007 avec l’émission de la Banque européenne d’investissement (BEI) et de la Banque mondiale. Après l’Accord de Paris, plusieurs États se sont lancés dans une course à la première émission d’obligation verte souveraine. 

J’ai pu ainsi assister au lancement de la plus importante obligation verte jamais réalisée : l’Etat français a emprunté 7 milliards € début 2017 pour financer ses dépenses vertes. Cet exercice inédit impulsé par la ministre de l’écologie Ségolène Royal, a permis de faire la transparence sur la part du budget favorable à l’environnement. 

Les bénéfices des obligations vertes 

Le marché des obligations vertes présente un certain nombre d’avantages en augmentant la transparence de l’information à la disposition des investisseurs. Ceux-ci peuvent ainsi mettre en œuvre des stratégies climatiques tandis que les entreprises établissent un dialogue entre leur direction financière, leur direction du développement durable, et leurs directions métier qui pilotent les projets à financer. Enfin, les obligations vertes peuvent soutenir la mise en œuvre des politiques climatiques nationales – grâce à une meilleure prise de conscience et une allocation du capital plus efficace. 

Pour l’emprunteur, cette transparence est récompensée par un plus faible coût de financement des projets verts. Les explications à cette « prime verte » sont de deux ordres : une obligation verte attire de nouveaux investisseurs et la demande pour les investissements verts est aujourd’hui plus importante que l’offre. 

Une autre raison moins mesurable est l’effet signal : la stratégie verte de l’émetteur envoie un signal positif sur sa résilience et sa rentabilité à long terme.

Le « Contre »
Julien Lefournier
Consultant indépendant, co-auteur de L’illusion de la finance verte, expert associé à l’Institut Veblen
Ceci n’est pas une obligation verte

Tout d’abord, utilisons l’analogie entre prêt, qui est mieux connu, et obligation pour caractériser le sujet. Si un particulier achète un véhicule électrique, il reçoit un un bonus de l’État et doit consentir un effort personnel pour couvrir le reste à (sa) charge car le véhicule électrique est plus cher que l’équivalent à moteur thermique. L’État fait sa part, l’acheteur fait sa part, mais pas le financier. Car, quand cet acheteur se tourne vers son banquier pour financer son acquisition, la banque ne lui propose qu’un prêt, qu’un taux d’emprunt, quel que soit le véhicule retenu. Pourtant, si l’acheteur choisit le véhicule électrique, la banque pourra appeler “vert” le prêt consenti sans que ce prêt n’ait joué le moindre rôle différenciant dans le processus de décision de l’acheteur.

Tout ce qui est financé avec une obligation verte pourrait l’être par une obligation classique

Malheureusement une obligation verte fonctionne exactement comme cela car la responsabilité fiduciaire ne permet pas aux investisseurs de lui donner un autre prix que celui dicté par la qualité du crédit de l’emprunteur. Que ce dernier émette une obligation verte pour financer une projet vert ou bien une obligation classique pour financer un projet quelconque (voire brun), sa capacité de remboursement est la même et les porteurs obligataires tous solidaires entre eux en demanderont le même rendement (qui est le coût du capital payé par l’émetteur).

Les acteurs de Finance for Tomorrow se sont mis d’accord pour définir la finance à impact comme une stratégie de financement qui vise à accélérer la transition en apportant une preuve de ses effets bénéfiques et en s’appuyant sur trois piliers: l’intentionnalité, l’additionnalité et la mesure de l’impact. A cette aune, il est évident de conclure que l’obligation n’a aucun impact. En particulier, tout ce qui est financé avec une obligation verte pourrait l’être par une obligation classique, au même coût pour l’emprunteur.

L’obligation verte n’incorpore aucune incitation ni contribution particulière à l’accélération de la transition. Cette inutilité systémique est la négation même du concept de finance verte qui vise à modifier le coût du capital (en fonction des trajectoires climatiques) des acteurs économiques pour provoquer une réallocation des ressources nécessaires à la transition.

L’obligation verte illustre parfaitement l’impuissance à agir concrètement

Au-delà de ce défaut définitif, qui perpétue le paradigme du business as usual financier, on pourrait ajouter comme autres raisons “contre” que:

– Cette appellation n’est pas contrôlée (les audits sont de pure forme), et autorise des abus quand le projet financé n’est pas vert (extension d’aéroport).

– La communication associée est souvent disproportionnée ou trompeuse – quand vous lisez “plus de X tonnes de CO2 évitées grâce à l’obligation verte de ABC”, vous pourriez lire la même phrase en enlevant l’adjectif vert – et évacue les sujets clés que sont le budget carbone, l’objectif global net zéro, l’intégration de l’ensemble de la chaîne de valeur, etc.

– L’émission d’obligations vertes par les banques commerciales est absurde: ces dernières créent directement la monnaie en prêtant et ne transfèrent pas l’argent de la poche des épargnants vers leurs clients.

– Cette étiquette crée la confusion chez certains petits investisseurs et émetteurs. Ce n’est pas l’obligation verte qui fait le projet vert mais l’inverse. Le lien de causalité est inversé.

Finalement, l’obligation verte illustre parfaitement l’impuissance à agir concrètement et de manière systémique en faveur du climat, participant plutôt d’une stratégie assez générale (cf. ESG investing) de prolifération de non-solutions préconisées par les décideurs politiques et les intérêts financiers avec plus ou moins de sérieux et de bienveillance.

Toute l’Europe, le site de référence sur les questions européennes, complète le contexte de ce débat avec un décryptage. Rendez-vous sur touteleurope.eu pour plus d’infos
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