anarchiste

Être ou ne pas être anarchiste ?

📋  Le contexte  📋

En 1840, Pierre Joseph Proudhon va écrire deux phrases fondatrices du mouvement anarchiste : “La propriété c’est le vol” et “Je suis anarchiste”. C’est la première fois que la propriété est jugée comme étant la première responsable des inégalités et le fondement d’un ordre social. Son anarchisme va séduire plusieurs personnalités socialistes comme Karl Marx et Mikhaïl Bakounine. C’est d’ailleurs ce dernier qui va prôner pour la première fois l’idée de révolution. Mais suite à la mort de Proudhon, les querelles entre Marx et Bakounine s’intensifient et vont diviser le mouvement socialiste. Trois mouvements vont alors émerger : Une branche minoritaire réformiste qui prône la démocratie sociale et ne croit pas à la révolution. Un courant marxiste qui prêche une dictature du prolétariat et enfin le courant anarchiste qui vante la destruction de tout pouvoir. La différence entre marxistes et anarchistes se cristallise alors sur l’après insurrection. Bakounine disait “prenez le plus grand des révolutionnaires, mettez le sur le trône de toutes les Russies et vous en ferez un tyran” montrant ainsi la méfiance anarchiste contre tout pouvoir étatique.

L’anarchisme a deux objectifs, celui de l’égalité et de la liberté. Pour ses  partisans, ces deux droits sont indissociables: “ Si un de nous est esclave nous le sommes tous […] pour être libre il faut d’abord que les autres soient libres ou ma liberté est une illusion”. Mais ce mouvement est complexe et se divise au fil du temps en trois tendances : l’anarchosyndicalisme où le syndicat et la grève deviennent la force principale – l’individualisme qui lui rejette tous les fondements de la morale bourgeoise (famille, travail, patrie) et développe des modes de vie alternatifs comme des lieux autonomes et autogérés – le communisme libertaire qui relit l’aspect anti-autoritaire et le désir de liberté de l’anarchisme avec le système économique du communisme.

En 1871 survint la Commune de Paris. Pendant 73 jours, on assiste à la première tentative de destruction immédiate de l’Etat. Les anarchistes sont alors en première ligne des révolutionnaires. Ce mouvement va s’étendre, comme à Lyon où pendant quelques jours la ville fonctionne de manière autonome, avant que le pouvoir ne contre-attaque. On assiste alors à une “semaine sanglante” où près de 20 000 communards et partisans sont tués, condamnés ou envoyés en exil. Suite à cela, les anarchistes vont créer “l’Internationale anti-autoritaire” et pour la première fois des objectifs anarchistes comme la destruction du pouvoir et la grève générale sont mises en avant. 

En 1892, lors du premier congrès anarchiste à Londres, où des révolutionnaires comme Louise Michel et Kropotkine se sont rendus, “la propagande par le fait” est développée. Des anarchistes français se tournent alors vers l’action violente comme Ravachol. Le 1er mai 1895, des anarchistes sont violemment réprimés après une manifestation. Ravachol, dans l’idée de la propagande par le fait, pose plusieurs bombes devant les maisons de ceux qui ont condamné des manifestants. Aucun mort n’est à déplorer mais le mythe de l’anarchiste poseur de bombe est créé. Quand Ravachol est condamné à mort, le mouvement anarchiste s’enflamme et les actions vont se multiplier jusqu’à l’assassinat du Président Carnot. 

Mais à la fin du 19eme et à l’aube du 20e, cette propagande par le fait commence à être rejetée au profit du syndicalisme révolutionnaire avec la création des bourses du travail. Dans cette période l’abstentionnisme et la grève générale sont prônés, des lieux autogérés sont créés par les individualistes. Dans les années 1910, des libertaires décident de s’attaquer à la société bourgeoise en menant des actions de “banditisme révolutionnaire” (vols, braquages…) pour engendrer une révolution. C’est le cas de la  Bande à Bonnot autrement appelé la Bande des bandits tragiques qui sont les premiers à utiliser la voiture pour faire leur braquage. Sur leur passage des gens sont tués et leurs têtes sont mises à prix. En 1912, un siège qui les oppose aux forces de l’ordre se termine avec leurs décès. Mais quand 1914 arrive , avec les débuts de la guerre, les actions anarchistes se silencient et la révolution n’est plus une priorité. 

 

Encore aujourd’hui, l’anarchisme garde une image négative, de désordre et d’actes violents. Certains voient dans les blacks blocs qui parcourent les manifestations le nouveau visage de l’anarchisme. Pour ses militants, l’anarchisme est dans l’action non dans un parti politique et la question de la violence légitime est soulevée. Outre le débat sur la place des actions violentes dans ce mouvement, c’est la faisabilité de la pensée anarchiste qui est au centre des discussions.

La démocratie s’organise autour d’un État central, qui régit par la suite plusieurs institutions qui agissent au niveau local, régional, international. En France, depuis l’instauration de la première République en 1792, notre histoire démocratique a connu de multiples changements et innovations. Les différentes Républiques qui se sont succédées ont notamment permis l’instauration du suffrage universel, de la sécurité sociale ou ont légiféré sur la liberté d’expression et adopté de nouvelles constitutions. Ceux qui croient en notre démocratie mettent ainsi en lumière les évolutions des différentes Républiques et les bienfaits de cette organisation.  En opposition, les anarchistes luttent pour la disparition de cet État centralisé en dénonçant les inégalités qu’il génère. Alors faut-il arrêter de soutenir l’Etat de droit comme nous le connaissons et se tourner vers l’anarchisme ? Ou faut-il participer à un renouveau démocratique en utilisant les outils disponibles dans ce mode de fonctionnement ? 

 

Au final : Être ou ne pas être anarchiste ? 

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Être ou ne pas être anarchiste ?
Le « Pour »
Irène Pereira
Co-fondatrice de l’IRESMO
Pour une défense de l’anarchisme

La notion d’anarchisme est souvent mal comprise. Jusqu’à Pierre-Joseph Proudhon, l’anarchisme est conçue de manière négative. L’anarchie désigne un régime politique de chaos. Proudhon est le premier théoricien politique à se réclamer positivement de l’anarchie. Par la suite, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, l’anarchisme est associé à des attentats ciblés contre des autorités politiques tels que des souverains ou des Présidents de la République.

Pourtant, même à cette époque, cela ne représente qu’une partie très limitée des militants anarchistes. Nombre d’anarchistes sont en effet engagés dans les syndicats au sein du mouvement ouvrier. D’autres se consacrent à des expérimentations telles que des écoles alternatives ou encore des «colonies » (communautés de vie). Il y a eu d’ailleurs dès cette époque des anarchistes prônant la désobéissance  non-violente comme mode d’action.

L’utopisme anarchiste

En réalité, l’anarchisme peut désigner plusieurs réalités. Le géographe anarchiste Elisée Reclus a écrit que l’anarchie « est le plus haut degré de l’ordre ». Les utopies, qui imaginent des sociétés anarchistes, mettent en avant, le plus souvent, une société reposant sur l’autogestion de la politique et de l’économie par les citoyens. Ainsi, Proudhon imagine une société reposant sur le fédéralisme libertaire dont le pouvoir est organisé du bas vers le haut.

L’une des versions la plus récente de cette utopisme anarchiste est le municipalisme libertaire de Murray Bookchin. Son approche influence aujourd’hui des militants dans différents pays du monde. Pierre Bance a consacré, par exemple, plusieurs travaux à l’influence de la pensée de Bookchin sur le Rojava dans le Kurdistan.

L’anarchisme comme tendance spontanée des masses

Mais plutôt qu’à la dimension utopique de l’anarchisme, il est possible de s’intéresser à sa dimension existentielle et socio-existentielle. L’anarchisme peut désigner un certain rapport individuel et collectif à la société. Ainsi, Pierre Kropotkine considérait que l’anarchisme en tant que tendance sociale avait pré-existé à sa théorisation politique au XIXe siècle. Pour lui, il existait un anarchisme spontanée des masses. Les peuples ont tendance à se révolter contre les pouvoirs et à tenter de s’organiser de manière non-hiérarchique. On peut certes discuter cette interprétation sur le plan historique.

L’anarchisme comme révolte contre les pouvoirs injustes

En revanche, sur le plan philosophique existentiel, il est possible de considérer l’anarchisme comme une tendance individuelle et/ou collective à se révolter contre toutes les formes de pouvoir injuste. L’anarchisme serait une des formes de contre-pouvoir qui existe dans une société. Être anarchiste, en tant qu’individu, peut se caractériser par le fait d’être réfractaire à l’autorité abusive, aux institutions qui sont organisées de telles manière qu’elles soumettent l’individu à des formes d’autorités qui prétendent exiger la soumission sans que soit toléré l’esprit critique. C’est pourquoi, il y a eu des critiques anarchistes de l’armée, de l’Église, de l’État ou encore de l’Ecole. De ce fait, être anarchiste n’est pas forcement adhérer à un type d’utopie sociale bien précise, mais c’est peut être avant tout une attitude face à toute forme de pouvoirs autoritaires et aliénants.

 

Le « Contre »
Dorian Dreuil
Membre du CA de Démocratie Ouverte
Ce que nous devons à la démocratie

Tout d’abord de pouvoir tenir ce débat, car le propre de ce système politique est de pouvoir organiser les contradictions et les opinions qui traversent une société. À l’inverse d’autres systèmes – autocratique, dictatoriaux, monarchique, oligarchique, la démocratie est une promesse de liberté – d’expression des opinions, d’agir, de s’engager, d’exprimer la volonté générale d’un groupe social. C’est à la fois un héritage et un horizon. Un héritage tout d’abord, car la démocratie est une construction millénaire qui a connu bien des définitions et des formes différentes suivant les époques, mais qui continue de résister à l’usure du temps et aux défis du siècle. 

La démocratie encadre et organise le pouvoir

Des cités-États de la Grèce antique aux Républiques les plus contemporaines, l’humanité cherche à organiser la vie d’une société en plaçant la volonté générale au-dessus des intérêts individuels et de la tentation de la défense de son pré carré. La démocratie postule que nous ne sommes pas seulement les uns à côté des autres, mais qu’il faut trouver les meilleures modalités pour vivre ensemble. « Nul homme n’est une île, un tout, complet en soi ; tout homme est un fragment du continent, une partie de l’ensemble » comme l’écrivait le poète le plus insulaire du XVIIe siècle John Donne. 

Pour que cette cohésion demeure, et pour régler les tensions et conflits inhérents à la vie ensemble, la démocratie encadre et organise le pouvoir pour que celles et ceux qui le détiennent ne doivent répondre qu’au peuple qui leur confère. Il faut reconnaître que nos démocraties doivent beaucoup à des penseurs et militants anarchistes comme Louise Michel ou Antonio Gramsci par exemple.

Cependant, à la différence de l’anarchie, la démocratie permet la mise en place de structures de gouvernance, du local au global, permettant de définir collectivement l’intérêt général au-delà du local, à des échelons régionaux, nationaux, continentaux voire mondiaux. Dans une société mondialisée et face à des enjeux globaux tels que l’urgence climatique, l’effondrement de la biodiversité, l’accroissement des conflits armés ou l’explosion des inégalités, la perspective d’avancer vers une démocratie plus ouverte et mieux articulée du local au global semble plus crédible et efficace qu’un projet anarchiste uniquement pensé à l’échelle de petites communautés. 

La force de la démocratie 

Le propre de la démocratie c’est qu’elle peut prendre bien des visages. Elle peut être représentative, et déléguer la légitimité du pouvoir à des gouvernants. Elle peut être délibérative et participative pour s’appuyer sur le savoir d’usage, sur l’expertise quotidienne des citoyennes et des citoyens . Elle peut être contributive par la société civile en dehors des institutions grâce aux syndicats, aux gouvernances innovantes de l’économie sociale et solidaire ou au mouvement associatif. Elle peut être locale, pour répondre au plus près aux besoins d’une communauté. Elle peut être globale, en proposant des structures et des processus de prise décision en faveur de l’intérêt du plus grand nombre. Elle peut être directe, via le référendum ou la votation. Elle pourrait être tout ça à la fois. 

La force de la démocratie est d’être un rêve inachevé et donc de ne jamais cesser de l’améliorer. Pour cela l’horizon qui doit nous guider est celui d’une démocratie ouverte qui permet à chaque citoyennes et citoyens de participer à la vie de la Cité pour répondre aux grands défis de notre temps. Nous devons à la démocratie d’applaudir ses succès, de condamner ses échecs, mais surtout de lui permettre de continuer de répondre à sa plus belle promesse : permettre à toutes et tous d’être au service du plus grand nombre.

 

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