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L’irresponsabilité politique du président de la République française viole les principes démocratiques de l’Union européenne
Jean-Pierre Audy
Ancien député européen (2009 – 2014), ancien président de la délégation française au groupe du Parti populaire européen (PPE) au Parlement européen (2010 – 2014)http://www.audyjp.eu
Le président de la République jouit d’une irresponsabilité juridique, bien sûr sur les plans civil et pénal, mais également politique (art.67 : le président de la République « n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité ») avec, cependant, deux exceptions : poursuite devant la Cour pénale internationale pour crime contre l’humanité (art. 53-2) et destitution prononcée par le Parlement constitué en Haute cour (majorité des 2/3 des inscrits) « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatibles avec l’exercice de son mandat » (art. 68).
Compte-tenu de la place importante prise par le chef de l’Etat français dans le paysage politique national, européen et international, qui devient progressivement chef de l’exécutif de la République française, la question de la mise cause démocratique de sa responsabilité politique se pose d’autant que c’est une exigence du Traité sur l’Union européenne (TUE) pour qu’il puisse siéger au Conseil européen en qualité de représentant de la France.
En effet, l’article 10-2 du TUE prévoit, à la rubrique des principes démocratiques de l’Union, que « Les citoyens sont directement représentés, au niveau de l’Union, au Parlement européen. Les États membres sont représentés au Conseil européen par leur chef d’État ou de gouvernement et au Conseil par leurs gouvernements, eux-mêmes démocratiquement responsables, soit devant leurs parlements nationaux, soit devant leurs citoyens. »
En vérité, cet article 10-2 du TUE ne fait qu’appliquer les règles qui existent dans les grandes démocraties dans le monde et qui prévoient que les chefs des exécutifs sont démocratiquement responsables devant leur parlement ou leurs citoyens.
Ainsi donc, le représentant de la France au Conseil européen devrait être, en l’état actuel des textes, le chef du gouvernement ; c’est-à-dire le Premier ministre qui, avec son gouvernement, est démocratiquement responsable devant l’Assemblée nationale.
Si la République française souhaite continuer à être représentée au Conseil européen par son président, alors elle doit réviser sa constitution pour que ce dernier soit responsable démocratiquement devant le parlement national ou les citoyens français.
Au-delà du respect des Traités européens, il n’est pas acceptable qu’une personnalité puisse diriger un exécutif aussi important que la République française sans aucun contrôle démocratique ne serait-ce que parlementaire.
Soumettre le Président de la République à un contrôle parlementaire reviendrait donc à nier la spécificité même des institutions de la Vème république
Jean-Louis Clergerie
Titulaire de la chaire Jean Monnet, Université de LimogesDans l’exercice de ses fonctions le Président de la République « n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité » (art. 67). Cette irresponsabilité juridique qui est absolue et permanente couvre les domaines politique, pénal, civil et administratif et ce même après la fin de son mandat. Il pourra toutefois être poursuivi devant la Cour pénale internationale pour « crimes contre l’humanité » et être destitué par le Parlement constitué en Haute Cour « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » (art. 68)[1].
Pour les actes qui ne relèvent pas de l’exercice des fonctions présidentielles, le Président ne peut faire l’objet d’aucune procédure judiciaire ou administrative pendant la durée de son mandat. Cette « inviolabilité » temporaire[2] prend fin un mois après la fin de son mandat (art. 67).
Il est aussi politiquement irresponsable, contrairement au gouvernement[3] que l’Assemblée nationale peut contraindre à démissionner suite au vote d’une motion de censure (art.49), qui la seule fois où elle a été adoptée (4 octobre 1962) avait d’ailleurs conduit le Général de Gaulle à dissoudre l’Assemblée puis à nommer le même Premier ministre (Georges Pompidou)!
Il n’en reste pas moins que, depuis qu’il est élu au suffrage universel (référendum du 28 octobre 1962), le Président, dont les attributions sont sans précédent par rapport à celles de ses prédécesseurs et à l’ensemble de ses homologues européens (art.16, domaine réservé…)[4], n’est responsable que devant le peuple (de Gaulle mettant en jeu son mandat lors de chaque référendum, jusqu’à sa démission suite à l’échec de celui du 27 avril 1969, ou lorsqu’un président en exercice décide de se représenter). Aussi quand les formations qui le soutiennent perdent les législatives, la Constitution ne l’oblige ni à se retirer, ni même à choisir le Chef du gouvernement dans les rangs du parti majoritaire !
Accepter de soumettre le Président de la République à un contrôle parlementaire reviendrait donc à nier la spécificité même des institutions de la Vème république, qui s’étaient en effet efforcées de le soustraire à l’influence du Parlement, dont le rôle a été considérablement réduit. Le Général de Gaulle n’a-t-il d’ailleurs pas, à plusieurs reprises, tenu à rappeler qu’il « n’était responsable que devant le peuple français »…Le Chef de l’Etat, véritable « monarque républicain » [5], ne peut donc avoir de comptes à rendre que vis-à-vis de ceux qui l’ont élu[6]…
Sources, notes :
[1] Cette notion qui a remplacé celle de « Haute trahison » n’a d’ailleurs jamais été précisée (loi constitutionnelle du 23 février 2007).
[2] Cf. Pour la Cour de cassation (Ass. Plénière, 10 octobre 2001), avait établi que le Président bénéficie jusqu’à la fin de son mandat d’une inviolabilité temporaire entraînant la suspension des poursuites pour les actes accomplis en dehors de l’exercice de ses fonctions.
[3] Elle se traduit par l’apposition sur les actes du président de la République du contreseing du Premier ministre et des ministres concernés, qui peuvent donc seuls en répondre devant les députés.
[4] Cf. Clergerie Jean-Louis, Chroniques d’hier et de demain, Ed. L’Harmattan, 2017, p.57 et s.
[5] Cf. Georgel Jacques, La cinquième république : une démonarchie, LGDJ, 1990.
[6] Le TUE prévoit d’ailleurs que « les États membres sont représentés au Conseil européen par leur chef d’État ou de gouvernement et au Conseil par leurs gouvernements, eux-mêmes démocratiquement responsables, soit devant leurs parlements nationaux, soit devant leurs citoyens », art.10-2 al.2 TUE)