agriculture numérique

L’agriculture européenne a-t-elle besoin de plus d’innovation numérique ?

Cofinancé par l’Union Européenne. Les points de vue et opinions exprimés n’engagent que l’auteur ou les auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position de l’Union européenne. Ni l’Union européenne ni l’autorité chargée de l’octroi ne sauraient en être tenues pour responsables.

📋  Le contexte  📋

Le ministère de l’Agriculture parle d’une troisième révolution agricole, dont le numérique est un pilier, notamment avec la robotique, la sélection variétale et le biocontrôle. La première révolution agricole a été possible grâce à l’abandon de la jachère et à l’introduction de l’assolement (qui consiste à faire alterner les cultures sur un même terrain pour conserver la fertilité du sol) au cours du XVIIIème siècle. La deuxième révolution agricole est survenue au cours du XXème siècle grâce à la mécanisation et la motorisation, ainsi qu’à l’utilisation soutenue des engrais et produits phytosanitaires. Pour les pouvoirs publics, la troisième révolution agricole serait en cours avec l’utilisation du numérique dans l’agriculture. Voici un exemple concret d’utilisation concrète du numérique dans l’agriculture : la mise à disposition de données peut aboutir à des réseaux collaboratifs qui pourraient permettre aux agriculteurs de partager leurs savoirs. Cette connectivité pourrait apporter une meilleure information aux consommateurs sur la provenance de leur nourriture. Les outils numériques sont également censés aider les agriculteurs à gérer leurs ressources et leurs stocks. Les robots déployés dans les champs sont supposés réduire la pénibilité du travail des agriculteurs.

La nouvelle politique agricole commune (PAC) laisse une place importante à la digitalisation. Un de ses objectifs est d’encourager les connaissances et l’innovation. La PAC soutient les agriculteurs dans la modernisation des zones rurales en stimulant et en diffusant la transition numérique. Les États Membres ont plusieurs outils à leur disposition pour accélérer la digitalisation dans les aires rurales. Ensuite, deux programmes spécifiques sont prévus pour accélérer la transition digitale dans l’agriculture : avec Horizon Europe, neuf milliards d’euros sont consacrés à des projets relatifs à l’alimentation, à l’agriculture, au développement rural et à la bioéconomie. Avec DIGITAL, un espace européen commun de données agricoles sera instauré, ainsi que l’installation d’intelligence artificielle et de pôles d’innovation numérique. Enfin, l’initiative PEI-AGRI (Partenariat Européen pour l’Innovation pour la productivité et le développement durable de l’agriculture) vise à mettre en relation les acteurs de la filière agricole, les acteurs de la recherche et développement et les communautés rurales pour développer l’innovation dans le secteur agricole au travers de projets opérationnels.

À l’heure du réchauffement climatique, de l’appauvrissement des sols et de la rareté des métaux utilisés pour certaines technologies, certains estiment que le numérique apporte un danger supplémentaire à notre modèle agricole. Des inquiétudes persistent quant au manque de remise en question de notre modèle agricole productiviste. En effet, cette nouvelle révolution agricole s’appuie toujours sur la maximisation des rendements et l’agriculture intensive, ce que les partisans d’une agriculture raisonnée dénoncent. La France est particulièrement engagée dans le processus de transition numérique : l’initiative French AgriTech rassemble des start-ups qui lèvent des millions d’euros et sont soutenues par l’État. Des agriculteurs dénoncent le risque de dépendance aux fournisseurs de ces solutions numériques et craignent de devenir encore plus dépendants d’entreprises de l’agrochimie et du numérique. Notre alimentation serait alors tributaire de ces multinationales. L’utilisation des données agricoles pose également la question de la cybersécurité.

Toute l’Europe, le site de référence sur les questions européennes, complète le contexte de ce débat avec un décryptage. Rendez-vous sur touteleurope.eu pour plus d’infos

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Faut-il digitaliser l'agriculture ?
Le « Pour »

Sélectionnez la tribune de votre choix :
Eric Andrieu
Député européen, Groupe de l'Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates
Bien penser le numérique pour le mettre au service d’une agriculture raisonnée

Le numérique dans l’agriculture représente une formidable opportunité pour l’avenir s’il est bien utilisé et respecte certaines conditions. La réalité s’impose clairement à nous : 80% des agriculteurs utilisent déjà des applications numériques, 50% des outils GPS, et 80% d’entre eux reconnaissent l’efficacité et l’utilité de ces applications. Le numérique est donc déjà présent dans le secteur agricole.

La question qui se pose est ainsi celle de l’objectif derrière la diffusion des outils numériques chez les agriculteurs : l’innovation numérique est-elle au service de la course à la productivité, d’un modèle agro-industriel ? Cela ne serait bien-sûr pas souhaitable. Ceci étant dit, s’ils sont bien utilisés, les outils numériques et l’innovation peuvent nous aider à relever les défis des rendements de l’agroécologie. Le numérique n’est pas une fin en soi, c’est un outil.

Donnons quelques exemples : la robotique est la principale porte d’entrée du numérique dans l’agriculture. Des robots sont déjà utilisés pour le désherbage, cela permet de se passer des pesticides et représente donc une solution d’avenir, respectueuse des sols. À l’inverse, les technologies de traite automatiques des vaches dans les étables peuvent empêcher les troupeaux d’aller pâturer à l’herbe. Cela va à l’encontre de l’agroécologie que je défends. Cette question de la robotique doit de ce fait être définie par le politique. Le secteur agricole est le deuxième marché mondial de la robotique.

Nous sommes face à des enjeux climatiques dramatiques et notre modèle agricole doit participer à la réduction des gaz à effet de serre. Le numérique peut le permettre s’il est bien utilisé. Je suis favorable à la progression de la recherche et de la science. L’innovation doit être orientée par les besoins des agriculteurs et les impératifs écologiques. Depuis 40 ans, nous avons coupé les liens entre l’agriculture, les aliments, la santé humaine, la biodiversité et le climat au nom du productivisme. Or, le numérique recréé ce lien en assurant une meilleure communication sur les modes de production. Cet outil peut rapprocher le producteur et le consommateur. Prenons un exemple : quand les collectivités locales financent des cantines, le lien se fait car un réseau d’information se développe. Il y a beaucoup de pédagogie et d’éducation faite auprès des adolescents et enfants, dont la sensibilisation à ces enjeux est primordiale.

Nous avons également besoin d’un modèle agricole qui nous permette de consommer mieux. Le modèle mis en avant par le Green Deal et à la stratégie Farm to Fork est celui de polyculture élevage. Le numérique peut nous aider à passer à l’agroécologie. En effet, l’enjeu n’est pas le niveau de production au niveau mondial : nous produisons déjà 1,5 fois de plus que ce qui est nécessaire pour nourrir la population mondiale. Le réel problème sont les inégalités d’accès à l’alimentation. Ainsi, si nous utilisons le numérique non pas pour produire plus, mais pour produire mieux, celui-ci mérite d’être développé.

Enfin, le niveau d’équipement n’est pas le même dans tous les États, certains manquent de moyens et sont sous-équipés. Dans le marché commun, nous devons prendre en compte la fracture numérique, car nous avons besoin de plus de moyens pour permettre une réelle transition numérique comme écologique. L’agriculture peut et doit participer au combat contre le changement climatique, et le numérique a tout son rôle à jouer pour y parvenir.


Irène Tolleret
députée européenne membre de la Commission agriculture du Parlement européen
La numérisation de l’agriculture, objectif incontournable face aux nouveaux défis

Nous assistons régulièrement à des phénomènes climatiques sans précédent et extrêmement violents : inondations, sécheresses, incendies… Nous n’avons plus le choix. Les scientifiques ne cessent de nous rappeler que nous devons freiner le réchauffement climatique. Et nous savons que, pour ce faire, nous devons parvenir à une économie neutre en carbone d’ici 2050.

Il est important de souligner que les agriculteurs sont parmi les principaux acteurs de la lutte contre le changement climatique, mais qu’ils sont aussi les premières victimes des conditions météorologiques extrêmes.

L’Union européenne s’est engagée dans une transition verte, qui est devenue le principal credo de sa future transformation économique. Le nouveau Pacte vert introduit des objectifs ambitieux et le secteur agricole devra contribuer activement à la neutralité carbone. Il est donc essentiel que l’Union se donne les moyens de faire de ce changement économique et environnemental une réalité.

N’oublions pas que l’agriculture est encore responsable de 11 % des émissions de gaz à effet de serre. Il est donc évident que nous devons repenser notre modèle de production tout en essayant de protéger la souveraineté alimentaire européenne. D’où l’extrême importance de soutenir les efforts des producteurs européens pour les aider à effectuer une transition verte.

Nous avons besoin de solutions et nous en avons besoin très rapidement car, en plus du changement climatique, les agriculteurs sont confrontés à une augmentation considérable des coûts de production, principalement due à la crise énergétique actuelle.

Le Pacte vert, et en particulier les stratégies « de la ferme à la table » et « biodiversité », visent à répondre aux attentes environnementales des consommateurs. Les objectifs en matière, par exemple, de réduction d’intrants, sont très ambitieux. Toutefois, il ne sera pas facile pour les agriculteurs de réduire l’utilisation des pesticides de 50 % et celle des engrais de 20 % d’ici 2030 sans risquer la détérioration de la sécurité alimentaire européenne.

La science et l’autorisation de nouvelles innovations scientifiques ne progressent pas assez vite pour faire face aux risques climatiques que nous connaissons déjà aujourd’hui, compte tenu des graves sécheresses et autres phénomènes météorologiques extrêmes dont nous sommes témoins année après année.

Dans ce contexte d’urgence, l’agriculteur a besoin d’outils numériques pouvant être appliqués immédiatement et, à moyen et long terme, également en combinaison avec d’autres solutions, telles que des variétés végétales plus résistantes ou de nouvelles techniques génomiques. À l’heure actuelle, la numérisation n’atteint pas tous les coins des zones rurales comme elle le devrait. Nous devons donc améliorer la connectivité et encourager les agriculteurs à utiliser ces techniques. La numérisation est essentielle car elle peut contribuer à réduire considérablement l’utilisation des intrants et donc à concilier les objectifs économiques avec l’environnement, afin de continuer à fournir aux consommateurs européens des produits de haute qualité en quantité suffisante.

L’adoption des technologies numériques représente un changement dans la gestion des exploitations agricoles qui peut aller d’ajustements mineurs de certaines activités à des changements majeurs dans l’organisation de la production. La jeune génération est susceptible de jouer un rôle décisif dans cette nouvelle révolution agricole.

Au niveau européen, la réforme de la politique agricole commune (PAC), qui entrera en vigueur en janvier 2023, devrait aider les agriculteurs à effectuer la transition vers des pratiques plus écologiques. L’un des objectifs transversaux de cette nouvelle législation est précisément la numérisation de l’agriculture européenne. Nous avons donc les moyens, maintenant il nous faut agir.

Le « Contre »

Sélectionnez la tribune de votre choix :
Benoît Biteau
Député européen (Groupe des Verts / ALE), Paysan Bio, agronome
Le numérique est délétère pour l'indépendance économique de nos agriculteurs

À peine entrés en Ukraine, les militaires russes ont pillé le pays. Ils ont volé des moissonneuses-batteuses. Arrivées de l’autre côté de la frontière, impossible de démarrer les engins. L’entreprise les a bloqués à distance, les transformant en stock de pièces de rechange. Les hackers russes, de la même manière, tentent de pirater les centres de contrôle informatiques. L’intelligence artificielle et la numérisation en agriculture prennent une place considérable que nous avons du mal à appréhender. Peut-on prendre le risque de voir un jour la récolte en Europe réduite parce qu’une puissance ennemie aura neutralisé nos tracteurs depuis l’autre bout de la planète ?

Un autre point de préoccupation concerne la propriété des données numériques qui sont collectées au niveau du champ avec des capteurs ou par images satellites. En 2013, Monsanto a racheté, pour un milliard de dollars, la société Climate, qui collecte et analyse des données agricoles et météo. Ces informations ont une valeur importante. Elles permettent d’affiner les prévisions de rendements et les récoltes au niveau mondial, donc les prix des matières premières sur les marchés à terme. Avec ces outils, les grandes firmes du commerce de matière agricole comme Cargill renforcent leur puissance par rapport à des agriculteurs et des coopératives qui n’ont pas la capacité de traiter des volumes de données aussi considérables. Cargill, ADM ou Dreyfus utilisent ces technologies à leur seul avantage.

Pour rétablir un peu d’équité, nous devons réfléchir à la mise en place d’un mécanisme légal au niveau européen qui rendrait ces bases de données accessibles à tous. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, et je le regrette profondément. L’accès d’un agriculteur à ses propres données numériques ne lui permet pas d’en extraire une connaissance le plaçant sur un pied d’égalité avec les GAFA et autres acteurs du numérique. Bien que l’Union européenne mette en place un cadre légal européen avec le Digital Market Act et le Digital Service Act, ils ne permettent pas, à mon sens, d’établir un rapport de force plus équitable.

De nombreux agriculteurs aux États-Unis se retrouvent pieds et poings liés au service après-vente de la compagnie à laquelle ils ont acheté leur machine. Ils n’ont même pas accès au manuel d’entretien ! Pas plus tard que la semaine dernière, neuf d’entre eux ont porté plainte contre John Deere. Leur demande se limite au droit d’entretenir et de réparer le matériel dont ils sont propriétaires. Cette requête paraît totalement légitime, et pourtant, elle se heurte aux droits de propriété intellectuelle et aux brevets sur les programmes informatiques.

La question ne se limite pas à savoir si la numérisation est bénéfique au secteur agricole. Les techniques et les technologies dans ce secteur économique comme dans les autres induisent des avantages et des inconvénients. Elles apportent, c’est indéniable, des connaissances qui sont très utiles, comme sur le sol par exemple. Là-dessus, il revient à chacun d’évaluer l’usage qu’il peut en avoir. En revanche, en tant que législateur au Parlement européen, je considère qu’avant de foncer tête baissée, nous devons d’une part renforcer les droits des agriculteurs, sans quoi leur autonomie de décision risque d’être à nouveau réduite ; et d’autre part, mettre en œuvre au niveau européen un système qui sécurise totalement ces machines. L’exemple récent et récurrent du racket des hôpitaux par des cyberpirates nous montre à quel point nous en sommes loin. 


Malgré nos recherches, nous n’avons pas pu trouver de contributeur pour défendre cette thèse. Si vous êtes compétent et légitime ou que vous connaissez quelqu’un qui l’est, n’hésitez pas à nous contacter : contact@ledrenche.fr

Poll not found

🗣  Le débat des lecteurs  🗣

 

💪  Pour aller plus loin...  💪

Vous avez aimé ? Soutenez notre activité !
 

Vous avez remarqué ?

Ce site est gratuit. En effet, nous pensons que tout le monde devrait pouvoir se forger une opinion gratuitement pour devenir un citoyen éclairé et indépendant.

Si cette mission vous touche, vous pouvez nous soutenir en vous abonnant, sans engagement et dès 1€ par mois.

A propos La Rédaction 1034 Articles
Compte de la Rédaction du Drenche. Ce compte est utilisé pour l'ensemble des articles rédigés collectivement, ou les débats, où seul le contexte est rédigé par la Rédaction. Pour plus d'informations sur la rédaction, on vous invite à lire l'article sobrement intitulé "L'équipe", ou "Contactez-nous".