Antigaspillage : les médicaments doivent-ils être vendus à l’unité ?

📋  Le contexte  📋

En France, 4,7 tonnes de déchets sont jetés par an et par habitant. Pour éradiquer ce fléau, le 30 janvier dernier, les députés ont adopté le projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.

Cette loi prévoit plusieurs mesures pour combattre la prolifération des déchets plastiques et industriels mais aussi pour promouvoir le réemploi des objets. 

Y figurent également la promotion de l’achat en vrac dans les supermarchés, la fin de l’impression systématique des tickets de caisse ou encore la généralisation de la signalétique du tri sélectif.

Source : Ministère de la Transition Écologique et Solidaire et La Croix

Le projet de loi ouvre aussi la voie à la dispensation de médicaments à l’unité (DAU) suite à une expérimentation concluante dans 100 pharmacies en 2014. Cette mesure sera effective à partir du 1er janvier 2022, laissant toutefois la liberté aux pharmaciens de le faire ou non.

D’une part, le gaspillage des médicaments représente un enjeu environnemental et économique : selon l’Institut international de recherche anti-contrefaçon de médicaments (IRACM), 1,5 kg de médicaments est jeté par personne et par an. A l’heure où le déficit de la Sécurité sociale dépasse le milliard d’euros, la vente de médicaments à l’unité représenterait une économie certaine mais aussi un moyen de lutter contre la pollution chimique.

D’autre part, l’achat de médicaments en boîtes représente un risque sanitaire liée à l’automédication : la surconsommation d’antibiotiques en France fait environ 13 000 morts par an, surtout chez les séniors.

Source : Le Figaro

Si le système de dispensation de médicaments à l’unité est mis en place depuis plusieurs années au Royaume-Uni, en Allemagne, aux Etats-Unis et au Canada, le dispositif ne fait pas l’unanimité chez les pharmaciens français.

En effet, nombreux sont ceux qui reprochent à la mesure de nuire à la sécurité des patients : retirer les médicaments de leurs boîtes d’origine pour les vendre à l’unité pourrait altérer leur traçabilité et les exposer à des erreurs de manipulation. Aussi, les pharmacies seraient exposées à des difficultés quant à la gestion des stocks du fait d’emballages incomplets.

Source : France 24

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Le « Pour »
Docteur Pierre Souvet
Cardiologue , Président Association Santé Environnement France (ASEF)
Une évidence sanitaire, économique et environnementale

Des économies

Les français gaspillent 1.5kg par an de médicaments pour une économie potentielle estimée à plusieurs milliards d’euros. Introduire la vente à l‘unité réduirait ce gaspillage. Cette mesure, les médecins de l’ASEF la réclame depuis longtemps et y voit aussi un autre avantage : réduire les intoxications et protéger l’environnement. Une bonne pratique que les Etats Unis et le Royaume Uni ont déjà adopté.

Pourquoi gaspille-t-on des médicaments ?

Parfois, nous n’avons besoin que de quelques comprimés mais une boite entière est délivrée. Parfois aussi au bout de quelques jours le traitement ne nous convient pas et il faut en changer. Pourtant ceci peut coûter très cher comme les traitements anticancéreux.

Le médicament à l’unité permettrait de régler ces problèmes, mais cela n’enchante pas les laboratoires pharmaceutiques qui vendront moins, et les pharmacies qui auront plus de manutention. Pourtant l’expérimentation faite en 2015 dans 100 pharmacies volontaires pour la délivrance des antibiotiques a confirmé la diminution du gaspillage et de façon inattendue l’amélioration de l’observance du traitement (1) .

Éviter les accidents domestiques et l’automédication

Les intoxications des enfants Les médicaments représentent plus d’une intoxication sur deux chez les enfants : 80% des cas pour les enfants de 1 à 5 ans.

L’automédication et les confusions des séniors

Chez les adultes, le stockage des médicaments peut conduire à des confusions, à une automédication parfois dangereuse voire à la consommation de produits périmés, surtout chez les séniors. 

Les armoires à pharmacie sont souvent pleines de médicaments sans boite ni notice.

A part un antalgique et une petite trousse d’urgence, le reste devrait être vendu à l’unité avec étiquette de la prescription, la notice et le numéro de lot pour permettre sa traçabilité.

La protection de l’environnement

Près de 40% de médicaments non utilisés ne sont pas ramenés à la pharmacie.

Ils peuvent être jetés à la poubelle ou les toilettes et se retrouvent dans l’environnement.

Les stations d’épuration n’étant pas capables de les éliminer totalement, ces médicaments polluent donc l’eau que nous buvons.

Ces substances biologiquement actives ont des impacts sur notre santé, mais aussi sur les écosystèmes et ce à faible concentration : troubles de la reproduction, résistance bactérienne.

Alors bien sûr, les médicaments que l’on prend polluent aussi. C’est vrai. Mais ces pollutions seraient limitées si la délivrance du dosage prescrit était respectée.

 

(1) Les avantages attendus et inattendus de la distribution du nombre exact de comprimés PLOS 2017

Le « Contre »
Philippe Lamoureux
Directeur Général du Leem (Les Entreprises du Médicament)
La vente de médicaments à l’unité : une fausse bonne idée !

La vente à l’unité est en décalage avec les besoins réels des patients

La lutte contre le gaspillage est un objectif à atteindre dans tous les secteurs, et les entreprises du médicament le partagent pleinement. Penser que la vente des médicaments à l’unité contribuera à cette lutte, c’est faire fausse route. D’abord parce que cette proposition ne s’appliquera pas aux 10 millions de malades chroniques, que compte la France aujourd’hui. Pour eux, les traitements sont renouvelés mois après mois en pharmacie. Elle ne s’appliquera pas non plus aux traitements délivrés en milieu hospitalier. Même pour les antibiotiques, souvent cités pour souligner l’intérêt de cette dispensation à l’unité : testée en 2014 dans 100 pharmacies françaises sur 14 antibiotiques, elle n’a pas eu le succès escompté.

Une mesure dangereuse sur le plan sanitaire par manque de traçabilité

Face aux doutes sur l’efficacité de cette proposition, les risques qu’elle fait peser sur la sécurité et la traçabilité des médicaments lors de leur distribution aux patients sont quant à eux bien réels. Au risque de freiner l’enthousiasme des partisans de la dispensation à l’unité, il convient de leur rappeler que ce dispositif est totalement incompatible avec la sérialisation à la boîte entrée en vigueur en février 2019.

Actuellement, la réglementation européenne impose pour chaque boîte de médicament de prescription médicale obligatoire dispensée dans les pharmacies un numéro d’identification unique pour lutter contre les médicaments falsifiés. Ce marquage est complété depuis un an par des systèmes d’inviolabilité. Ce dispositif a été demandé aux industriels pour sécuriser l’accès des patients à des médicaments de qualité. Ne revenons pas en arrière !

L’emballage individuel pour lutter contre les boîtes : un non-sens

Enfin, si l’on regarde au niveau des changements de fabrication entraîneraient la dispensation à l’unité, le fait de passer d’un blister « classique » à un blister avec prédécoupes individuelles est susceptible de générer 30 % de déchets supplémentaires (aluminium et PVC). Ce qui est en totale contradiction avec l’objectif de réduction des déchets prôné par la loi anti-gaspillage.

D’ailleurs, concernant le gaspillage de médicaments, de quoi parle-t-on réellement ? Les chiffres cités dans les débats parlementaires parlent de 1,5 kg de médicaments jetés chaque année par Français. Or cela ne correspond pas du tout aux derniers chiffres de Cyclamed, l’organisme en charge de la collecte des médicaments non utilisés en France, qui parle lui de 162 grammes en 2018. Précisons, de plus, que les causes de ce gaspillage sont multiples, incluant les prescriptions inappropriées et les mauvais suivis par les patients des traitements prescrits. Plutôt que de revenir régulièrement sur la vente à l’unité comme idée « facile » dans la lutte anti-gaspillage, favorisons le bon usage et l’observance, qui permettront de moins gaspiller tout en assurant la sécurité des patients.

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