Carte blanche à... Carlos Flinnroï

Carte blanche

Chaque mois, nous laissons la parole à un humoriste qui nous apporte un regard décalé sur l’actualité et/ou les sujets débattus dans l’édition papier.

Carte blanche rédigée par Carlos Flinnroï dans l’édition 42 de Janvier 2022

Peut-on porter le voile et être féministe ? Une question apte à déchaîner les passions de tous bords, qui plus est traitée par un mâle blanc hétéro cis-genre âthée : il est vrai qu’en termes de légitimité, on se situe entre celle de Valls en Catalogne et Mélenchon en coach de méditation zen.

Pour commencer, tout port est-il féministe ? Bien sûr que non : le port d’Amsterdam, par exemple, avec ses marins qui chantent principalement des chansons paillardes entre deux bières du retour, ne va pas dans ce sens. De plus, la légende nous dit : « Une femme dans chaque port », ce qui en met un coup à la parité vu le nombre de bateaux (sans compter les femmes qui ont le plaisir de fréquenter plusieurs marins).

Le port d’arme est-il féministe ? Pour le coup, un flingue, ça c’est de l’empowerment. Mais c’est ajouter en douce qu’une femme ne serait peut-être pas en mesure de se défendre à mains nues, avec un tabouret en bois massif ou l’annuaire de Melun.

Ces sujets sont manifestement de trop grande envergure, alors partons d’une base simple : le port de la baguette 5 céréales est-il féministe ? Il existe en réalité de nombreux cas de figure, et pour cela nous aurons besoin d’une française classique, commune et lambda, nommons-la Hapsatou.

Cas n°1 : Hapsatou va à la boulangerie, a envie d’une baguette 5 céréales et la prend. Hapsatou est maîtresse de son destin et elle la tartinera avec ce qui lui fait plaisir, de l’avocat, du pâté ou une pâte à tartiner à l’huile de palme : c’est féministe. Son bilan carbone est condamnable, certes, mais c’est féministe.

Cas n°2 : Hapsatou va à la boulangerie, n’a pas envie d’une baguette 5 céréales mais en prend une parce que son mari lui a formellement interdit de ramener autre chose. Elle mangera ce pain uniquement pour saucer le plat qu’elle aura cuisiné seule « parce que c’est un truc de gonzesse » et parce que de toute façon elle se prend des remarques sur son poids dès qu’elle consomme des lipides. Là, le port de la baguette 5 céréales n’est plus féministe, en dépit de son bilan carbone plus raisonnable.

Cela devient plus compliqué lorsque Hapsatou est libre de prendre ce qu’elle veut mais qu’elle a peur du regard des autres si elle revient avec une 5 céréales sous le bras, ou quand sa famille et ses amis prennent du pain de campagne depuis trois générations ; quand sa culture d’origine lui suggère discrètement que ce serait mieux de ne tourner qu’au pain viennois et qu’elle ne s’est elle-même jamais posée la question : dis voir Hapsatou, t’aimes vraiment le mélange maroilles-viennois ?

Hapsatou est toujours plus féministe lorsqu’elle fait ce qu’elle veut, comme elle veut, et lorsqu’elle ne se fait dicter sa conduite ni par son compagnon, ni par ses parents, ni par la myriade d’inconnus qui va juger sa façon de s’envoyer du gluten. Rappelons qu’on ne s’intéresse qu’à la portée féministe du geste : qu’elle croie à la Terre plate, au capitalisme vert ou à la crédibilité d’Arnaud Montebourg ne rentre pas en ligne de compte.

Le port du voile ne m’a pas l’air beaucoup plus féministe que le port du bikini, le port d’armes ou le port de la baguette 5 céréales ; il y a même des marins progressistes dans le port d’Amsterdam. Du moment qu’Hapsatou porte ce qu’elle veut, même un entonnoir à l’effigie de Michel Sardou : si c’est ce qu’elle a choisi librement et posément en mettant de côté toute influence extérieure (y compris son cercle d’ami.es féministes), alors Hapsatou m’a l’air plus féministe que ceux et celles qui lui ont émis des injonctions.

Et vous ?