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Cinq ans après Metoo, la prescription doit-elle être repensée ?

📋  Le contexte  📋

La prescription ne date pas d’hier. Elle nous vient de l’époque romaine et a été inscrite dans le code de l’instruction criminelle dès 1808 sous Napoléon. La prescription est le délai à partir duquel il n’est plus possible de poursuivre et condamner une personne suspectée. Dans le droit pénal français, ce laps de temps varie selon la nature des faits et repose sur plusieurs principes. Tout d’abord le droit à l’oubli qui considère que les fautes passées devront être oubliées. Puis sur la proportionnalité entre la gravité des faits et la durée de poursuite. En effet, le délai de prescription change selon la nature de l’acte. Si c’est un crime, la prescription est de 30 ans maximum, un délit, c’est 20 ans et pour une contravention, elle passe à 3 ans. Seul le crime contre l’humanité est imprescriptible. 

Ce temps de poursuite limité est souvent considéré comme essentiel à la qualité d’un procès. Plus le temps passe, plus les preuves sont difficiles à présenter devant un juge et les témoignages peuvent devenir fragiles. C’est aussi vu comme un moyen de réguler le nombre d’affaires à traiter  étant donné que la justice possède des moyens financiers et personnels limités. 

En ce qui concerne les violences sexuelles, la loi Schiappa de 2018 a modifié le délai de prescription quand la victime présumée est mineure. Considérant qu’une personne mineure a besoin de plus de temps pour porter plainte et que les violences sexuelles qu’elle a subies sont souvent intrafamiliales, la prescription est passée de 20 à 30 ans après la majorité. Il y a également deux mécanismes pouvant être appliqués pour allonger le délai de prescription. Le principe de prescription “glissante” ou “en cascade” instaure le fait que la prescription peut être prolongée si l’auteur a commis un viol sur un autre mineur. Le délai de prescription du viol initial est alors rallongé jusqu’à la date de prescription du nouveau crime. On peut aussi faire appel à “l’acte interruptif” qui veut qu’une prescription soit mise en attente si l’auteur est mis en cause dans une autre enquête. 

En ce qui concerne les personnes majeures, la prescription pour un viol est de 20 ans (avant, c’était 10 ans) et pour une agression sexuelle, le délai est de 6 ans. 

Depuis Metoo, une prise de conscience générale s’est manifestée en France. Pour autant la plupart des affaires qui avaient été fortement médiatisées n’ont pas été jusqu’à la condamnation de l’accusé, le délai de prescription étant dépassé. On a par exemple l’affaire Nicolas Hulot où la plainte pour viol de Pascale Mitterrand, déposée en 2008 pour des faits remontant en 1997, a été classée sans suite. Ou encore le cas de Jean-Jacques Bourdin, accusé par la journaliste Fanny Agostini pour agression sexuelle, où l’enquête a également été classée sans suite à cause du délai de prescription.

En 2021, suite à la plainte pour viol de la journaliste Florence Porcel contre l’ex-présentateur vedette Patrick Poivre d’Arvor, plusieurs femmes vont témoigner de faits similaires. Depuis, 90 femmes ont partagé leur histoire et une vingtaine d’entre elles ont porté plainte pour viol ou agression sexuelle. La majorité des accusations tombe sous l’effet de la prescription.

Mais en septembre dernier, la cour d’appel de Versailles a annoncé avoir demandé aux magistrats instructeurs de réexaminer deux enquêtes, pourtant prescrites, pour cause de “sérialité”. “Si des faits apparemment prescrits s’inscrivent dans un lien précis avec d’autres faits non prescrits”, la justice peut enquêter. Il faudra alors établir s’il s’agit du même auteur et du même mode opératoire. Les faits que Florence Porcel dénonce en 2004 seront examinés en lien avec ceux de 2009 et si des liens peuvent être établis entre un fait non prescrit et les autres accusations, les plaintes pourront être retenues sans tenir compte de leur date.

Ce changement juridique conforte celles et ceux qui militent pour qu’un allongement ou une imprescriptibilité de la prescription pour des violences sexuelles soit adopté. L’État de Californie avait par exemple statué, après l’affaire Bill Cosby, la suppression de la prescription pour les crimes sexuels. Les partisans français d’un changement du délai de prescription mettent aussi en avant l’effet de l’amnésie traumatique qui peut retarder un dépôt de plainte. Des arguments qui s’opposent à ceux qui pointent le fait que seul le crime contre l’humanité est imprescriptible et qu’il est nécessaire en droit de graduer les affaires.

En ce mois de novembre, où le 25 marquait le jour de lutte contre les violences sexuelles et où plusieurs manifestations ont été organisées, devrait-on changer les termes actuels de la prescription ? 

 

 

🕵  Le débat des experts  🕵

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Le « Pour »
Nathalie Tomasini
Avocates au Barreau de Paris, Cabinet Tomasini Avocats
L’allongement des délais de prescription en matière de crimes sexuels contre les majeurs : une nécessité absolue

Si en 2018, la loi Schiappa a rallongé les délais de prescription pour les crimes sexuels commis sur mineur, passant de 20 à 30 ans à compter de la majorité de la victime, la question de la nécessité d’allonger les délais de prescription s’agissant des crimes sexuels sur majeurs doit être posée.

En effet, les crimes sexuels, de par leur nature, affectent d’une manière très particulière les victimes, s’agissant de leurs conséquences post-traumatiques. Les victimes développent souvent des formes d’amnésies, sortes de pertes de mémoires partielles par lesquelles elles bloquent inconsciemment les souvenirs d’un événement bouleversant pour se protéger et moins souffrir, et ce, parfois pendant plusieurs années. C’est un déclic (événement, couleur, odeur, travail psychiatrique, hypnose) qui peut débloquer la mémoire traumatique de ces victimes, parfois une trentaine d’années plus tard.

Apporter une réponse judiciaire plus satisfaisante pour les victimes

Pour ces dernières ainsi que pour les autres victimes qui ne se sentaient tout simplement pas prêtes pour initier une quelconque procédure, la prescription de 20 ans les muselait à jamais. Allonger les délais de prescription permettrait donc d’apporter une réponse judiciaire beaucoup plus satisfaisante pour les victimes, créant ainsi un cadre adapté à la particularité des crimes sexuels. Dans le sillage de la loi Schiappa, la loi de 2021 visant à protéger les mineurs des crimes sexuels avait institué un principe de prescription glissante.

En clair, le délai de prescription de viol sur un mineur peut aujourd’hui être prolongé si la même personne violait ou agressait sexuellement par la suite un autre mineur, jusqu’à la date de prescription de cette nouvelle infraction.

Dans l’affaire PPDA, la Cour d’Appel de Versailles a récemment adopté un raisonnement similaire, vis-à-vis de certaines victimes qui avaient déposé plainte à l’encontre du célèbre journaliste et qui se trouvaient paralysées par la prescription, en évoquant le principe juridique de la sérialité. Cet argument repose sur une jurisprudence ancienne de la Cour de cassation de 2005 d’après laquelle, si des faits apparemment prescrits s’inscrivent dans un lien précis (même auteur, même mode opératoire, même profil de victimes) avec d’autres faits non prescrits, la justice peut tout de même enquêter.

Le principe de sérialité 

Ce principe de sérialité institue donc là encore une forme de prescription glissante. La motivation particulière de la décision du 28 juin 2022 de la Cour d’Appel de Versailles qui ordonne que soient à nouveau examinées les plaintes pour viols et agressions sexuelles prescrites déposées à l’encontre du célèbre journaliste, pourrait ainsi consacrer une forme d’innovation juridique permettant de faire sauter à juste titre le verrou de la prescription.

Dès lors, la consécration du principe de sérialité dans le domaine particulier des violences sexuelles sur majeurs ferait taire tous ceux qui aujourd’hui, à l’époque de la libération de la parole des victimes, se prévalent encore d’un droit à l’oubli des auteurs ou de la disparition de toute preuve, laissant place à « la parole de l’un contre la parole de l’autre »… L’objectif à terme est l’absolue nécessité d’allonger les délais de prescription s’agissant des crimes sexuels sur les majeurs à trente ans à compter de la majorité de la victime.

Ce qui serait, au-delà d’une avancée juridique certaine, une véritable victoire sociétale.

Le « Contre »
Nelly Bertrand
Secrétaire permanente du Syndicat de la magistrature
L’imprescriptibilité des crimes et délits sexuels ne rendra pas justice

Dans un contexte de libération salutaire de la parole des victimes, le Syndicat de la magistrature considère que le traitement judiciaire des violences sexuelles demeure très imparfait et qu’il reste beaucoup à faire pour mettre chacun·e en mesure de déposer plainte sans crainte s’il ou elle l’estime nécessaire : amélioration de l’accueil, de l’accompagnement des plaignant·es, de la formation des professionnel·les au recueil de leur parole, déconstruction des stéréotypes de genre à tous niveaux, amélioration du délai de prise en charge des plaintes et de la recherche de la preuve. La liste est longue et pourtant, elle implique plus des efforts budgétaires, des changements sociétaux ou de pratiques professionnelles que des modifications législatives.

Briser un équilibre complexe

Parmi celles sollicitées par certaines associations de victimes, le rallongement de la prescription, voire l’imprescriptibilité des crimes et délits sexuels. L’intention est louable : permettre à la victime d’avoir accès à la justice lorsqu’elle se sent prête, même si cela intervient de nombreuses années après les faits – ce qui est fréquent en la matière. Plusieurs réformes en ce sens ont vu le jour ces dernières années. En 2017, le délai de prescription des délits est passé de 3 à 6 ans et celui des crimes de 10 à 20 ans.

Le SM considère qu’aller plus loin briserait l’équilibre complexe impliquant plusieurs grands principes du droit pénal, sans pour autant parvenir à apaiser les souffrances des victimes. Premier grand fondement de la prescription, l’apaisement social, trop souvent caricaturé, implique pourtant la recherche d’une mesure dans la répression, qui ne saurait être recherchée à tout prix sans réflexion sur le sens de celle-ci. Du sens, il y en aurait assurément pour la victime .

Ce serait néanmoins oublier que, même si ses intérêts doivent être pris en compte, que la justice n’est pas rendue en son seul nom, mais en celui de la société. Et puis, pour quel résultat ? Plus la dénonciation s’éloigne des faits, plus les constatations matérielles sont difficiles.

Un risque de classement sans suite

Il reste les témoignages, dont la valeur s’amenuise à mesure que la mémoire s’estompe, avec le temps. Faute d’éléments de preuve suffisants pour dépasser le doute et fonder une condamnation conformément aux exigences du procès équitable, le risque de classement sans suite, non-lieu ou relaxe est grand. Finalement, une nouvelle violence pour la victime, dont les attentes ont été ravivées par le procès et en face, une atteinte au droit fondamental de l’auteur à être jugé dans un délai raisonnable.

Et si malgré tout, l’auteur est déclaré coupable, la peine prononcée aurait-elle encore un sens ?

Résolument, il est avant tout urgent de doter la prévention des violences sexuelles de moyens à la hauteur des enjeux et de faciliter la dénonciation, en assurant enfin un traitement efficace des déclarations recueillies.

Doit-on rallonger le délai de prescription pour les crimes sexuels sur personnes majeures ?

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