📋 Le contexte 📋
Mickey et Mallory, un jeune couple, décident de s’embarquer dans une virée sanglante, tuant les gens qu’ils rencontrent sur leur route, eux qui ont été victimes de mauvais traitements de la part de leurs parents respectifs. Leur déchéance à travers les États-Unis est détaillée dans les médias.
Genre : Action, policier
Réalisateur : Oliver Stone
Avec (entre autre) : Woody Harrelson (Mickey Knox), Juliette Lewis (Mallory Wilson Knox), Robert Downey Jr. (Wayne Gale)
Durée : 118 minutes
Sortie : 21 septembre 1994 en France
Budget : 103 000 000$
Pour rester dans l’ambiance hystérique du film, de la musique agressive était diffusée sur les plateaux de Tueurs nés. Selon d’autres témoignages, des coups de feux étaient aussi tirés en l’air pour mieux maintenir les acteurs dans une tension permanente.
🕵 Le débat des experts 🕵
Tueurs Nés est de ces oeuvres à la sulfureuse réputation, dont le visionnage n’a laissé que peu de ses spectateurs indifférents. Prolongeant ses expérimentations visuelles déjà exhibés dans JFK quatre ans plus tôt, Oliver Stone n’en oublie pas son sens moral, et livre, avec ce coup de poing direct envers le monde médiatique, un film mémorable, où fond et forme se joignent dans une parfaite symbiose.
On est autant fascinés que choqués par la froide brutalité de leurs actes
A la manière d’un Paul Verhoeven (sur une grande partie de sa carrière) Oliver Stone fait avec Tueurs Nés une proposition surprenante, à la lisière de
l’hyperbolique. Brossant le portrait d’un couple de meurtriers sanguinolents, incarnés par les excellents Woody Harrelson et Juliette Lewis dont la complicité est évidente, le film propose de suivre la psyché de personnages fantasmagoriques, dont on est autant fascinés que choqués par la froide brutalité de leurs actes délictueux.
De cette version trash de Bonnie & Clyde, Stone fait le point d’accroche de toute sa folie de cinéaste. Travail de la lumière, jeux de couleurs, montage chaotique… Tout dans Tueurs Nés est marqué du sceau de ses personnages principaux, totalement incontrôlables et incompréhensibles. Et c’est ainsi que le film se permet de voguer vers l’expérimental, le cinéaste laissant place à toutes ses lubies et laissant courir une imagination débordante.
Le film développe une diatribe frappante contre le monde des médias, celui de la télévision en particulier
Mais une imagination n’est efficace que tempérée par raison gardée, qui donne son ossature au long-métrage. Car loin de se limiter à livrer une copie surprenante mais brouillonne, Stone, en livrant un message politique comme il en a l’habitude, permet au film d’équilibrer la balance, et de satisfaire dès lors les esprits les plus fougueux comme les cerveaux les plus pragmatiques. Outre suivre ce couple d’assassins, le film développe en parallèle une diatribe frappante contre le monde des médias, celui de la télévision en particulier. Une télévision qui, symbolisée par un Robert Downey Jr épatant, ne vit que pour et par la recherche du buzz immédiat, de l’information qui fera mouche, du scoop qui permettra d’acquérir quelques parts d’audience. Et ainsi, en développant intelligemment ces deux entités en parallèle, les faisant coïncider dans un ballet final sanglant, le film ne fait que rendre l’ensemble plus notable et efficace.
Ce glorieux fourre-tout reste malgré tout d’une matrise impeccable
Tueurs Nés est un film dont on ne ressort pas indemne, lessivé par la désinvolture d’un cinéaste se permettant mille et une expérimentations, dont ce glorieux
fourre-tout reste malgré tout d’une maîtrise impeccable, montrant, quatre ans après JFK, le talent indéniable d’un réalisateur polymorphe.
Oliver Stone n’a eu de cesse, au cours de sa carrière, de dénoncer les travers d’une société américaine en plein destruction. Si ce fut souvent avec succès, Tueurs Nés reste l’exception qui confirme une règle : les bonnes intentions ne font pas nécessairement les bons films.
Le souci, c’est que Tueurs Nés n’a de parodie que l’intention
Entendons-nous là : le message d’Oliver Stone est ici limpide, et loin d’être dénué d’intérêt : la dénonciation du système de surenchère des médias semblait déjà importante en 1994, et elle l’est encore plus 25 ans plus tard. C’est pétri de ces dites intentions que le réalisateur se met à l’ouvrage, parodiant allègrement les actes qu’il rejette. Le souci, c’est que Tueurs Nés n’a de parodie que l’intention. En caricaturant ses personnages, Stone nous empêche de créer un quelconque lien avec eux, créant même un postulat factice sur ces deux héros, tel de réels protagonistes télévisuels même lorsqu’ils doivent dépasser ce miséreux cadre.
Un premier acte d’une bouillie innommable qui nous empêche de se sentir concerné un seul instant par l’oeuvre
Le cadre justement, semble lui aussi venu d’ailleurs : mené par un Robert Richardson probablement sous substances illicites, la caméra bouge, virevolte tel un ballet céphalique dans un océan de couleurs tout aussi épileptiques les unes que les autres, rendant un premier acte d’une bouillie innommable qui nous empêche de se sentir concerné un seul instant par l’oeuvre. Oliver Stone ne semble, lui non plus, pas foncièrement concerné par son travail, visiblement occupé à se dresser mentalement son brûlant plaidoyer anti-médiatique, oubliant que ce dernier se construit alors sous ses yeux.
Une mise en scéne aussi vide que notre boîte de Doliprane au bout d’une trentaine de minutes
Mais, plus que des acteurs abonnés au surjeu constant, une mise en scène aussi vide que notre boîte de Doliprane au bout d’une trentaine de minutes, Tueurs Nés est l’exemple même d’un fondement cinématographique : l’habit ne fait pas le moine. Les intentions, louables, du projet se ressentent, et la volonté de ceux qui le font aussi. Mais cela n’est pas garant de la réussite d’un film : ce dernier doit avant tout être porté par lui-même et pour lui-même. En oubliant de se construire, Tueurs Nés creuse en direct son propre tombeau ; et, à l’image de ce papier, nous dresse un premier acte complètement surréaliste et décontenançant, à peine rattrapé par la suite qui ne fait que limiter la casse. Les limites sont parfois bonnes : la surenchère constante de l’oeuvre veut lui offrir son message en guise de symbole devant nos yeux : elle siphonne finalement sa propre parodie, et on ne peut que déplorer l’immonde loupé d’une oeuvre qui avait, finalement, tant à nous offrir.