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[Histoire] 1914 : Faut-il entrer en guerre ?

Avertissement !

Ce débat, surtout formulé comme ceci, peut sembler trompeur. Il place sur le même plan deux opinions dont l’Histoire a montré qu’elles n’étaient pas forcément sur le même plan. Néanmoins, à l’époque, elles l’étaient. Nous ressuscitons ces débats historiques dans leur contexte pour montrer que les débats d’hier ont contribué à façonner le monde que nous connaissons, et par extension que les débats d’aujourd’hui contribuent à façonner le monde de demain. Et, qui sait ? Peut-être que dans quelques générations, certains de nos débats actuels ne mériteront plus le pied d’égalité dont ils ont bénéficié aujourd’hui ?

 

📋  Le contexte  📋

Les causes de la Première Guerre mondiale sont sources de débats chez les historiens. Il est commun de penser que l’assassinat du prince héritier de l’empire austro-hongrois est la cause de la Première Guerre mondiale. À tort, il n’en est que le déclencheur.
La guerre 14-18 est plutôt la résultante de divers facteurs. Les tensions entre pays prirent forme dès le début du XXe siècle. Suite à la guerre franco-prussienne de 1870-1871, les Français & Allemands gardèrent une certaine rancœur mutuelle. De plus, début des années 1900, les empires coloniaux cherchèrent à se consolider et notamment à s’installer en Afrique, ce qui renforça les distensions. Quant à la région des Balkans, elle devint un théâtre de tensions : présence de l’Empire ottoman, rivalités Autriche-Hongrie et la Russie, conflits religieux entre musulmans etc.

Sources : Larousse

Dès 1882, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie se réunirent et s’allièrent sous le nom de la Triple Alliance, pour s’assister mutuellement en cas de conflit. En réponse, les Empires centraux (celui de la France et de la Russie) formèrent à leur tour une Alliance en 1894.
L’Entente cordiale signée entre la France et le Royaume-Uni en 1904 prit la forme de la Triple Entente en 1907, quand la Russie les rejoignit.
Cette guerre devint mondiale suite aux jeux des alliances, les membres du Commonwealth (Canda, Australie, Afrique du Sud) vinrent par exemple jouer un rôle dans les conflits, mais aussi suite à l’arrivée des États-Unis.

Sources : AC Orléans Tours

L’assassinat de François-Ferdinand, le 28 juin 1914, déclencha le mécanisme des alliances diplomatiques, puisque ce dernier ne fut assassiné par nulle autre qu’un nationaliste serbe et eu lieu dans les Balkans.
Le 23 juillet 1914, l’Autriche-Hongrie posa un ultimatum à la Serbie pour enquêter sur ce meurtre, avec l’Allemagne comme soutien. Le 25 juillet, la Serbie réfuta un seul des 10 points de l’ultimatum. L’Autriche-Hongrie répliqua alors en lui déclarant la guerre.
Le 1er août, alors qu’en France la mobilisation générale fut décrétée, l’Allemagne déclara la guerre à Russie. Les tensions internationales montèrent et s’accélérèrent, tandis qu’en France une vague de germanophobie sévit.
Le 3 août 1914, l’Allemagne déclara la guerre à la France et le 4 août, la Grande-Bretagne entra en guerre aux côtés de la France et la Russie, en réponse à l’invasion de la Belgique par l’Allemagne.

Sources : Futura Sciences & Franceinfo & Centenaire

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Le « Pour »
Jean-Baptiste Bienvenu-Martin
Garde des sceaux, Ministre de la justice
Nos ennemis vont rencontrer sur leur chemin nos vaillantes troupes de couverture

« Messieurs les sénateurs, la France vient d’être l’objet d’une agression brutale et préméditée qui est un insolent défi au droit des gens. Avant qu’une déclaration de guerre nous ait encore été adressée, avant même que l’ambassadeur d’Allemagne ait demandé ses passeports, notre territoire a été violé. L’empire d’Allemagne n’a fait hier soir que donner tardivement le nom véritable à un état de fait qu’il avait déjà créé.

Depuis plus de 40 ans, les Français, dans un sincère amour de la paix, ont refoulé au fond de leur coeur le désir des réparations légitimes. […]

Ils ont donné au monde l’exemple d’une grande nation qui, définitivement relevée de la défaite par la volonté, la patience et le travail, n’a usé de sa force renouvelée et rajeunie que dans l’intérêt du progrès et pour le bien de l’humanité. […]

Depuis que l’ultimatum de l’Autriche a ouvert une crise menaçante pour l’Europe entière, la France s’est attachée à suivre et à recommander partout une politique de prudence, de sagesse et de modération.

On ne peut lui imputer aucun acte, aucun geste, aucun mot qui n’ait été pacifique et conciliant. […]

À l’heure des premiers combats, elle a le droit de se rendre solennellement cette justice qu’elle a fait, jusqu’au dernier moment, les effets suprêmes pour conjurer la guerre qui vient d’éclater et dont l’empire d’Allemagne supportera devant l’Histoire, l’écrasante responsabilité. […]

Au lendemain même du jour où nos alliés et nous, nous exprimions publiquement l’espérance de voir se poursuivre pacifiquement les négociations engagées sous les auspices du cabinet de Londres, l’Allemagne a déclaré subitement la guerre à la Russie, elle a envahi le territoire du Luxembourg, elle a outrageusement insulté la noble nation belge […], notre voisine et notre amie […], et elle a essayé de nous surprendre traîtreusement en pleine conversation diplomatique. […]

Mais la France veillait. Aussi attentive que pacifique, elle s’était préparée ; et nos ennemis vont rencontrer sur leur chemin nos vaillantes troupes de couverture […], qui sont à leur poste de bataille et à l’abri desquelles s’achèvera méthodiquement la mobilisation de toutes nos forces nationales.

Notre belle et courageuse armée, que la France accompagne aujourd’hui de sa pensée maternelle, s’est levée toute frémissante […], pour défendre l’honneur du drapeau et le sol de la patrie. […]

Le Président de la République, interprète de l’unanimité du pays […] exprime à nos troupes de terre et de mer l’admiration et la confiance de tous les Français. […]

Étroitement unie en un même sentiment, la nation persévérera dans le sang-froid dont elle a donné, depuis l’ouverture de la crise, la preuve quotidienne. Elle saura, comme toujours, concilier les plus généreux élans et les ardeurs les plus enthousiastes avec cette maîtrise de si qui est le signe des énergies durables et la meilleure garantie de la victoire. […]

Dans la guerre qui s’engage, la France aura pour elle le droit, dont les peuples, non plus que les individus, ne sauraient impunément méconnaître l’éternelle puissance morale. […]

Elle sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l’ennemi l’union sacrée […] et qui sont aujourd’hui fraternellement assemblés dans une même indignation contre l’agresseur et dans une même foi patriotique.

Elle est fidèlement secondée par la Russie, son alliée […] ; elle est soutenue par la loyale amitié de l’Angleterre. […]

Et déjà, de tous les points du monde civilisé, viennent à elle les sympathies et les voeux. Car elle représente aujourd’hui, une fois de plus, devant l’univers, la liberté, la justice et la raison.

Haut les coeurs et vive la France ! »

Discours prononcé devant le Sénat, le 4 août 1914

Le « Contre »
Jean Jaurès
Homme politique, fondateur du journal L’Humanité & du Parti Socialiste SFIO
Pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation

« Citoyens, je veux vous dire ce soir que jamais nous n’avons été, que jamais depuis quarante ans l’Europe n’a été dans une situation plus menaçante et plus tragique que celle où nous sommes à l’heure. […]

Ah ! citoyens, je ne veux pas forcer les couleurs sombres du tableau, […] mais je dis que nous avons contre nous, contre la paix, contre la vie des hommes à l’heure actuelle, des chances terribles et contre lesquelles il faudra que les prolétaires de l’Europe tentent les efforts de solidarité suprême qu’ils pourront tenter.

Citoyens, la note que l’Autriche a adressée à la Serbie est pleine de menaces et si l’Autriche envahit le territoire slave, si les Germains, si la race germanique d’Autriche fait violence à ces Serbes […], il y a à craindre et à prévoir que la Russie entrera dans le conflit, et si la Russie intervient pour défendre la Serbie, l’Autriche ayant devant elle deux adversaires, la Serbie et la Russie, invoquera le traité d’alliance qui l’unit à l’Allemagne et l’Allemagne fait savoir qu’elle se solidarisera avec l’Autriche. […]

Dans une heure aussi grave, aussi pleine de périls pour nous tous, pour toutes les patries, je ne veux pas m’attarder à chercher longuement les responsabilités.

[…]

Chaque peuple paraît à travers les rues de l’Europe avec sa petite torche à la main et maintenant voilà l’incendie. Eh bien ! citoyens, nous avons notre part de responsabilité, mais elle ne cache pas la responsabilité des autres […]

La politique coloniale de la France, la politique sournoise de la Russie et la volonté brutale de l’Autriche ont contribué à créer l’état de choses horrible où nous sommes. L’Europe se débat comme dans un cauchemar.

Eh bien ! citoyens, dans l’obscurité qui nous environne, dans l’incertitude profonde où nous sommes de ce que sera demain, je ne veux prononcer aucune parole téméraire, j’espère encore malgré tout qu’en raison même de l’énormité du désastre dont nous sommes menacés, à la dernière minute, les gouvernements se ressaisiront et que nous n’aurons pas à frémir d’horreur à la pensée du cataclysme qu’entraînerait aujourd’hui pour les hommes une guerre européenne.

[…]

Songez à ce que serait le désastre pour l’Europe : ce ne serait plus, comme dans les Balkans, une armée de trois cent mille hommes, mais quatre, cinq et six armées de deux millions d’hommes. Quel massacre, quelles ruines, quelle barbarie ! Et voilà pourquoi, quand la nuée de l’orage est déjà sur nous, voilà pourquoi je veux espérer encore que le crime ne sera pas consommé.

[…]

Quoi qu’il en soit, citoyens, et je dis ces choses avec une sorte de désespoir, il n’y a plus, au moment où nous sommes menacés de meurtre et, de sauvagerie, qu’une chance pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation, c’est que le prolétariat rassemble toutes ses forces qui comptent un grand nombre de frères, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes et que nous demandions à ces milliers d’hommes de s’unir pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte l’horrible cauchemar.

[…] Mais j’ai le droit de vous dire que c’est notre devoir à nous, à vous tous, de ne pas négliger une seule occasion de montrer que vous êtes avec ce parti socialiste international qui représente à cette heure, sous l’orage, la seule promesse d’une possibilité de paix ou d’un rétablissement de la paix. »

Discours prononcé à Lyon-Vaise le 25 Juillet 1914

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