Décryptage : le gaz dans tous ses états

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

Reconnue comme une énergie verte dans la lutte contre le changement climatique par la Commission européenne ce 2 février malgré les contestations, le gaz est aujourd’hui au centre des tensions. Utilisé pour le chauffage, la cuisson ou l’industrie, il est également un moyen de pression dans la guerre économique contre la Russie. L’Europe, ultra-dépendante des importations russes, doit-elle et peut-elle remettre de l’eau dans le gaz ? Décryptage sur une énergie bien fumeuse.

CH4, C3H8 et C4H10 : du gaz brut aux gaz domestiques

Un gaz est un état dans lequel on peut retrouver certains corps qui nous entourent. Parmi les trois états de la matière les plus connus (solide, liquide, gazeux), le gaz est un peu à part. Dans un état gazeux, les atomes et les molécules sont très faiblement liés, presque indépendants. Par conséquent, il n’a ni de forme propre, ni de volume propre et il tend à occuper tout l’espace disponible. Certains gaz sont combustibles et c’est justement cette particularité qui va les transformer en gaz domestiques. La combustion crée de la chaleur et fait fonctionner des appareils.

Quand on parle de l’énergie fossile, il s’agit de gaz brut. Il est formé à partir de la désagrégation de matières organiques enfouies sous un sol terrestre ou marin. Avec la pression et la chaleur, le gaz s’infiltre dans des roches poreuses pour former des sortes de poches de gaz naturels. Une fois extrait de ces gisements, nous n’avons que du gaz brut. Il faut d’abord le traiter pour éliminer ses composés toxiques (le dioxyde de carbone et le dioxyde de soufre). Ensuite, on sépare les différents produits du gaz brut pour obtenir le gaz naturel (principalement composé de méthane), le gaz butane et le gaz propane.

Emission de C’est pas sorcier sur le gaz, 1996

Le gaz naturel est le plus courant car le moins cher et le plus facile d’utilisation. Du tétrahydrothiophène lui est ajouté pour lui donner une odeur de soufre et le rendre détectable en cas de fuite. Il est distribué depuis sa zone d’extraction par des gazoducs, des canalisations sous pression. En majorité enfoui, le gaz circule dans plus d’un million de kilomètres de gazoducs dans le monde, ce qui correspond à 25 fois la circonférence de la terre. Il peut être aussi transporté par la mer grâce à des méthaniers. Le gaz est alors liquéfié pour rendre son volume moins important.

Le gaz propane (C3H8) et le gaz butane (C4H10) sont des gaz dérivés du pétrole et qui sont présents dans le gaz brut. Ils sont aussi utilisés comme une énergie de chauffage ou de cuisson mais surtout dans des usages extérieurs (barbecues, bricolages ou groupes électrogènes). Les deux gaz sont stockés dans des bouteilles, rouges pour le butane et bleues pour le propane, sous forme liquide. C’est pour cela qu’on parle de gaz de pétrole liquéfié (GPL) L’objectif est de desservir des communes rurales n’ayant pas accès au gaz naturel. Quelle différence entre le butane et le propane ? Le propane est plus résistant au froid alors que le butane est privilégié pour l’intérieur.

Une énergie verte ?

Début février 2022, la Commission européenne a rendu son verdict. Le gaz (et le nucléaire) est affublé d’un label « vert » qui reconnaît sa contribution à la lutte contre le changement climatique et son rôle à jouer dans l’objectif de la neutralité carbone (l’état d’équilibre entre émission de gaz à effets de serre d’origine humaine et son élimination dans l’atmosphère) en 2050. Pour autant, des ONG ont dénoncé les pressions du gouvernement allemand (et français pour le nucléaire) dans cette décision. En effet, depuis la fermeture progressive du parc nucléaire allemand démarrée en 2011 par Angela Merkel, suite à la catastrophe de Fukushima, le pays a besoin de construire des centrales au gaz pour éviter de trop compenser leur transition par du charbon.

Mais la décision ne fait pas l’unanimité outre-Rhin. La ministre fédérale de l’Environnement, Steffi Lemke, a qualifié d’ « erreur » la décision de la Commission. Et pour cause, même si elle est l’énergie fossile la plus « propre », elle en reste une. Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), la combustion du gaz naturel produit 443 grammes de CO2 par kilowattheure d’énergie. Le pétrole lourd affiche un bilan de 778 gCO2e/kWh tandis que que le bilan des centrales à charbon atteint 1 058 gCO2 par kWh. Le nucléaire (6 gCO2e/kWh en France) et les énergies renouvelables ne dépassent pas 40 gCO2e/kWh. L’énergie a été le premier secteur producteur de gaz à effets de serre en 2021, ses émissions ont augmenté de 6 %.

L’exploitation des gaz de schistes, retenu dans les porosités d’une roche imperméable, nécessite un forage dirigé qui implique le plus souvent une contamination des sols et de la végétation. Le biogaz, ou gaz vert, est en revanche bien renouvelable. C’est le nom donné au gaz obtenu par méthanisation, un procédé de fermentation de déchets organiques. Une fois le biométhane extrait, on obtient un produit qui permet les mêmes usages que le gaz naturel, mais avec beaucoup moins de pollution ! Cependant, si le processus venait à être généralisé, il serait coûteux et laborieux.

Le gaz en France

Nettement moins développé que le nucléaire, le gaz représente 7 % de la production d’électricité en France en 2020. De la même manière, les douze centrales au gaz françaises font pâle figure face aux 56 centrales nucléaires. 27 %, c’est la proportion des logements qui se chauffent au gaz en France, un bilan majoré par les logements collectifs. En 2020, 21 % des maisons neuves et 75 % des logements collectifs neufs utilisent le chauffage au gaz. Une situation à priori changeante, car la nouvelle réglementation environnementale « RE 2020 » qui vise à réduire ce mode de chauffage est entrée en vigueur le 1er janvier 2022.

La centrale à gaz de Landivisiau (Finistère) lors de sa construction en 2021. La toute nouvelle centrale, la douzième est en production depuis le 31 mars 2022.

La France ne dispose pas de gaz sur son territoire, elle est contrainte d’importer sa consommation. Elle est donc exposée aux variations du marché extérieur. En 2020, 36 % du gaz français est importé de Norvège, 17 % de la Russie, 8 % de l’Algérie, 8 % des Pays-Bas et 7 % du Nigeria. Une diversification qui permet à la France d’aplatir les aléas techniques ou politiques. Le tarif réglementé de vente du gaz naturel (TRVG) est établi par le ministère de la Transition Écologique et Solidaire et le ministère de l’Économie et des Finances, après avis de la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE). Il dépend des coûts d’approvisionnement (négociés par des contrats avec les pays producteurs mais qui peuvent évoluer rapidement en fonction des cours), et des coûts hors approvisionnement comme le transport sur le territoire national, la distribution, le stockage.

La France, comme le reste de l’Europe, est confrontée depuis plusieurs mois à des tensions inédites sur son approvisionnement en gaz qui conduisent à une forte hausse du prix de marché. Ce dernier est actuellement six fois plus élevé qu’en 2020. Fin septembre 2021, le gouvernement Castex a annoncé la mise en place d’un « bouclier tarifaire » qui consiste à geler les prix suite aux hausse des tarifs de l’électricité et du gaz à cause d’un déséquilibre entre une offre plus basse et une demande croissante en sortie de crise du Covid-19. Un bouclier étendu à tous les logements jusqu’au 30 juin 2022 à leur niveau du 1er octobre.

Ce que la guerre en Ukraine change de la situation

Le 24 février 2022, la Russie de Poutine, qui représente environ 20 % des réserves de gaz prouvées dans le monde, attaque son voisin ukrainien. Plus de 3 semaines plus tard, le conflit s’enlise et l’Ukraine résiste. L’Union européenne fait le choix de sanctions économiques envers la Russie pour éviter une escalade du conflit. Exclusion du système bancaire SWIFT, gel des avoirs des proches du Kremlin, fuite d’investisseurs réduisent la valeur du rouble qui fond comme neige au soleil. Pourtant, à l’exception de la suspension par l’Allemagne du gazoduc géant Nord Stream 2, qui relie la Russie à l’Europe, les sanctions touchant le gaz et le pétrole sont absentes.

Une politique à deux vitesses qui s’explique par la dépendance de l’Europe au gaz russe (40 % du gaz naturel importé en 2019) et l’augmentation constante des prix depuis 2020. Une situation variable selon les pays, le gaz russe représente 51 % de celui importé en Allemagne. Mais la dépendance est réciproque. Les revenus du pétrole, de produits raffinés et du gaz ont apporté plus d’un tiers de son budget général en 2021. Cela représente un chiffre d’affaires quotidien de 600 millions d’euros selon l’institut Bruegel. C’est pourquoi, plusieurs personnalités, dont François Hollande et Yannick Jadot, appellent à arrêter l’achat du gaz russe.

Part des importations de gaz provenant de Russie dans l’ensemble des importations de gaz en 2020

Le 8 mars, Joe Biden franchit la ligne en annonçant un embargo sur les importations de pétrole et gaz russes aux États-Unis. Si le Royaume-Uni s’aligne sur Washington, il est difficile de prévoir la réaction européenne. La Commission européenne a présenté un plan pour réduire de deux tiers l’importation du gaz russe d’ici la fin de l’année et de ne plus dépendre de l’importation des hydrocarbures russes « bien avant 2030 ». À brève échéance, la sortie totale semble compliquée. D’autant plus qu’une telle décision fera augmenter les prix du gaz et par conséquent de l’électricité. Impensable pour des pays comme la République Tchèque et la Lettonie, dépendants à 100 % au gaz russe. Pourtant, le 7 avril, les eurodéputés ont voté pour un embargo total sur les importations de gaz et pétrole russe à une large majorité. Une résolution non contraignante mais qui met la pression sur les 27. Une telle décision nécessiterait l’unanimité des membres. Une guerre militaire qui laisse place à cette guerre économique.

Noé Megel

 

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