révoquer

Doit-on pouvoir révoquer les élus ?

📋  Le contexte  📋

Le référendum révocatoire est un droit civique qui donne aux citoyens la possibilité de convoquer un référendum portant sur la révocation d’un élu ou d’un agent public. Un tel référendum peut être convoqué au moyen d’une initiative populaire ou d’une majorité d’élus au parlement, certains pays requérant les deux.

Le référendum révocatoire est pensé comme un moyen de contrôle des élus au cours de leur mandat. Aucune raison précise n’est nécessaire pour justifier d’une révocation. Si l’élu(e) se fait déchoir de ses droits, une autre élection est alors organisée.

 

25 pays disposent actuellement du référendum révocatoire, principalement en Europe et aux Amériques, mais avec des modalités qui varient considérablement. En effet, le principe peut varier sur de nombreux paramètres : les élus qui peuvent être révoqué, les raisons de la révocation, les délais, le nombre de signatures nécessaires ou encore les mesures prises si l’élu est révoqué. On peut toutefois préciser qu’il existe deux grands types de référendum révocatoire : le référendum direct lorsque le peuple réunit suffisamment de signatures pour organiser un référendum et tenter de destituer l’élu en question ; et le référendum indirect lorsqu’il est organisé par les autorités au pouvoir (parlement, gouvernement, président).

Sur ces 25 pays, il n’y a que 5 pays où toutes les autorités élues pouvaient être révoquées par un référendum : la Bolivie, Cuba, l’Equateur, le Venezuela et Taiwan.

Le référundum révocatoire existe également dans une trentaine d’États aux USA, avec là aussi des modalités très différentes selon les juridictions. Un modèle très particulier de referendum révocatoire ou recall est appliqué en Californie où il prend la forme d’une élection dans laquelle le peuple peut décider de révoquer un élu et dans le même temps choisir son remplaçant. Le cas le plus marquant de révocation en Californie a eu lieu en 2003, lorsque le gouverneur Gray Davis, du parti démocrate, a été démis de ses fonctions et remplacé par Arnold Schwarzenegger issu du Parti Républicain.

En Europe, il existe en Roumanie et dans six cantons en Suisse . Mais chez les helvètes, la constitution prévoit uniquement la possibilité de révoquer « en bloc » toute une autorité mais jamais une seule personne..

La plupart du temps, le principe est inscrit dans la constitution des États. En Équateur par exemple, selon l’article 105 de la Constitution, tous les élus équatoriens peuvent faire l’objet de référendum révocatoire si au moins 10 % des électeurs inscrits sur les listes électorales, dans la circonscription de l’élu concerné, en font la demande.

Lors du mouvement des Gilets jaunes en 2018-2019, plusieurs expressions revendicatives se sont prononcées en faveur d’une telle procédure.

Fin 2021, le député Alexis Corbière et le groupe de la France insoumise ont présenté une proposition de loi visant à réviser la Constitution pour instaurer le droit de recourir au référendum d’initiative citoyenne pour révoquer, le cas échéant, les représentants du peuple en cours de mandat. La proposition prévoyait que ce droit s’appliquerait à tous les élus, du président de la République aux élus locaux. La révocation aurait eut lieu « avec effet immédiat ». Elle aurait pu être sollicitée à partir du tiers de la durée du mandat de l’élu, et avant sa dernière année. LFI n’a trouvé aucun soutien lors du débat dans l’hémicycle et la loi n’a pas été adoptée.

L’idée fut défendue lors de la campagne présidentielle par Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan, mais aussi par Clara Egger, candidate du collectif citoyen Espoir RIC.

Enfin, l’idée fut portée par de nombreux candidats de la NUPES aux élections législatives. Ces derniers pensent que ce pouvoir encourage les citoyens à s’engager politiquement. Ils leur permettraient d’exprimer leur mécontentement par la voix des urnes et non pas par des manifestations violentes dans la rue. Enfin, il encouragerait les politiques à écouter leurs électeurs. En France, les élus disposent d’un mandat représentatif et non impératif, ils sont donc libres de ne pas respecter leurs promesses de campagne.

Mais le principe divise fortement. Les opposants au référendum révocatoire avancent qu’il n’est pas compatible avec les principes républicains puisque dans les démocraties représentatives contemporaines les mandats sont représentatifs et non pas impératifs. Selon eux, ils divisent les citoyens et sont très coûteux. Enfin, ils seraient sont souvent inutiles : ils permettent de destituer les élus mais ils ne permettent pas de régler des problèmes de fond.

Et vous, qu’en pensez-vous ? Faut-il instaurer la possibilité de révoquer les élus en cours de mandat ? On en débat !

 

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Le « Pour »
Clara Egger
Professeure de relations internationales, Université de Groningen. Membre fondatrice d’ESPOIR RIC
Le droit de révocation, oui mais pas seulement

Notre démocratie ne laisse à chacun d’entre nous que peu de moyens d’influencer sur les décisions politiques. Nous pouvons élire des représentants à échéance régulière mais n’avons aucun contrôle sur les actions de ces derniers une fois élus. Un député particulièrement impopulaire et incompétent peut donc rester en place jusqu’à la fin de son mandat. Le référendum révocatoire permettrait de mettre fin à cette situation ubuesque en instaurant un nouveau droit pour chacun d’entre nous : celui de proposer à nos concitoyens, via une pétition, la date de nouvelles élections. Lorsque cette pétition recueille un nombre suffisant de soutiens, la demande de révocation est soumise à référendum et effective si la
majorité des votants le souhaite. En pratique, les citoyens peuvent soit révoquer chaque élu un par un ou demander le départ d’une assemblée entière (dissolution citoyenne).

Le droit de révoquer est aujourd’hui concentré dans les mains du seul Président de la République : s’il peut dissoudre l’Assemblée Nationale, il ne peut être démis – hors procédure exceptionnelle et difficile à enclencher –. Cette irresponsabilité des élus se retrouve à tous les échelons de pouvoir avec un effet très concret. Nos élus n’ont aucun intérêt, une fois leur place chèrement acquise, à se soucier des opinions des citoyens.

Le référendum révocatoire met donc les élus au travail – sans nous obliger à définir, en amont, l’ensemble des tâches qui doivent être les leurs

Instaurer une révocation citoyenne contraindrait les élus à travailler sous la menace permanente d’une révocation. Par rapport à son cousin, le mandat impératif, le référendum révocatoire met donc les élus au travail – sans nous obliger à définir, en amont, l’ensemble des tâches qui doivent être les leurs – donc en nous faisant juges ultimes de la qualité du travail réalisé.

Présentée ainsi, la révocation est donc particulièrement séduisante. Il y a, pourtant, une ombre à ce beau tableau. La révocation ne produit des effets positifs qu’intégrée dans un système qui donne aux citoyens d’autres droits, notamment celui d’écrire et de voter directement les lois. Octroyée comme conquête démocratique unique – comme le défendent la plupart des partis politiques – elle produit de nombreux effets pervers. Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher sur l’expérience de pays proposant ce dispositif. Dans les pays d’Amérique Latine où – à l’exception notable de l’Uruguay – les citoyens n’ont guère d’autres pouvoirs que celui de révoquer les élus, cette procédure est très utilisée. Le record du monde est aujourd’hui détenu par le Pérou où 67 élus ont une procédure de révocation en cours à leur encontre. De la même manière, aux États-Unis, par exemple, les procédures de révocation sont plus utilisées dans les États où il n’est pas possible de légiférer directement.

Utile pour se protéger d’élus particulièrement incompétents ou malhonnêtes

En revanche, en Suisse ou en Californie– où les citoyens disposent d’un grand nombre de droits dont celui de proposer des changements constitutionnels – la procédure de révocation
est utilisée très rarement. Cela s’explique assez facilement : sans la possibilité de changer des décisions précises, les citoyens révoquent des élus à tour de bras avec, à la clef, une instabilité politique forte.

Changer des décisions au cas par cas permet de contrôler le travail des élus sans créer cette situation de campagne permanente. La révocation citoyenne reflète donc l’étendue des droits des citoyens. En avoir une est utile pour se protéger d’élus particulièrement incompétents ou malhonnêtes. Néanmoins, là où les droits politiques sont nombreux et variés, les citoyens n’y ont que rarement recours.

Le « Contre »
Bastien François
Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Le risque de pervertir la démocratie

La démocratie représentative, dans sa forme parlementaire, repose sur une idée à la fois forte et simple : les gouvernants qui ne jouissent plus de la confiance des représentants du peuple doivent quitter leurs fonctions. Cette mise à l’épreuve de la confiance se nomme « responsabilité politique », pour bien la distinguer du jugement des crimes et des délits qui relève des tribunaux. L’engagement de la responsabilité politique n’implique ni faute ni culpabilité. C’est ainsi que les représentants du peuple peuvent – en cas de défiance – censurer les gouvernants, autrement dit les renvoyer.

Mais ne pourrait-on pas imaginer que le peuple lui-même, à travers une procédure de type référendaire, exerce directement cette censure en révoquant certains de ses représentants (ou les gouvernants que ces derniers ont désignés) avant le terme de leur mandat ? Une telle possibilité permettrait également de régler (pour partie) un problème connu depuis très longtemps. Comme l’écrivait Jean-Jacques Rousseau dans un passage célèbre du Contrat social, sitôt que le peuple a élu ses représentants, il n’est plus rien. Avec le droit de révocation, le peuple gagnerait une forme de contrôle sur ses représentants dans l’intervalle des scrutins.

N’y a-t-il pas le risque de donner ici la main à des groupes d’intérêts puissants, disposant de moyens considérables pour faire pression sur les représentants élus ?

Mais, à y regarder de plus près, un tel dispositif risque de pervertir la démocratie. Parce qu’une procédure référendaire de révocation est nécessairement complexe, très formalisée – ne serait-ce que pour éviter les initiatives fantaisistes – et représente un coût de mise en œuvre très important pour ses initiateurs, qui sera alors en mesure d’engager et de faire prospérer une telle initiative ?  N’y a-t-il pas le risque de donner ici la main à des groupes d’intérêt puissants, disposant de moyens considérables pour faire pression sur les représentants élus ? Voulons- nous vraiment que les lobbys pro-insecticides ou pro-énergies fossiles, qui disposent de ressources financières colossales, puissent exercer une telle menace sur les députés les plus engagés en faveur d’une agriculture biologique ou d’une décarbonation de l’économie ?

Voulons- nous favoriser officiellement, de cette manière, des campagnes électorales dissimulées sous les traits de « campagnes d’accusation » qui, pendant de longs mois, mobiliseront entièrement l’énergie des élus concernés au détriment de leurs activités de représentants ? Pour quelques cas évidents d’élus corrompus ou incompétents, c’est le poison du soupçon que nous risquons d’instiller partout.

Si au lieu d’imaginer des dispositifs répressifs nous inventions une démocratie plus désirable ?

Si l’on assiste aujourd’hui à une professionnalisation croissante de l’activité politique qui produit un entre-soi collusif au sein du « petit monde » politique et une défiance généralisée, la révocation des élus n’est pas une solution à la mesure des enjeux. C’est la démocratie dans son ensemble qu’il faut démocratiser. Et si au lieu d’imaginer des dispositifs répressifs nous inventions une démocratie plus désirable ? Une démocratie moins professionnelle – en limitant le cumul des mandats dans le temps et en instaurant un statut des élus permettant une véritable diversification sociale de l’accès aux mandats électifs ; une démocratie où chacun de sens mieux représenté grâce au scrutin proportionnel à chaque élection ; Une démocratie plus responsable avec un régime véritablement parlementaire, où le président de la République ne serait plus chef de tout et responsable de rien ; une démocratie qui favorise la participation des citoyens au quotidien des institutions – en leur permettant par exemple de codéfinir l’ordre du jour des assemblées délibérantes ou en leur donnant la possibilité d’initier des référendums.

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