LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU
Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…
Un précédent article sur intitulé « Non, une « bonne posture » ne prévient pas le mal de dos… » a beaucoup fait réagir.
Yves Guillard, ostéopathe D.O, formateur en ostéopathie et docteur en anthropologie (E.H.E.S.S) a souhaité apporter une réponse et des compléments. Fidèle à ses pratiques, Le Drenche lui donne un droit de réponse ! Il revient sur un sujet oublié : la cambrure lombaire
Une approche erronée de la mécanique vertébrale
Je viens de lire votre article sur le mal de dos et je suis un peu agacé par cette rumeur pseudo-scientifique qui traîne depuis plusieurs dizaines d’années dans certains milieux médicaux.
En effet, cela fait bien longtemps que j’ai réalisé que le « Tiens-toi droit ! » ou « Pliez les genoux pour soulever ! » sont totalement inefficaces, voire aberrants et là je suis tout à fait d’accord avec les auteurs de cet article. Mais il existe un autre facteur essentiel qu’ils ne prennent pas en compte : le rôle de la cambrure lombaire (1).
Avoir les « reins » solides : la cambrure lombaire
Pendant des années le corps médical a « diabolisé » la cambrure lombaire l’accusant de tous les maux (de dos) (2). Mais qu’en est-il réellement de la cambrure lombaire, de son utilité et de sa gestion dans la vie quotidienne ?
L’Humain est le seul “animal“ qui soit cambré (le singe ou l’ours ont le dos rond). Dans l’évolution des espèces c’est, semble-t-il, cette cambrure qui lui a permis de se redresser. Cela a été de pair avec l’élargissement de sa boîte crânienne avec, comme conséquences, le développement du cerveau et de l’intelligence.
De même le petit enfant, pour apprendre à marcher, doit tout d’abord trouver cette cambrure. Puis il peut s’élancer le ventre en avant, les fesses en arrière (il a trouvé “la force dans les reins“).
Or il existe plusieurs grandes causes de pathologies liées à la mauvaise utilisation de son corps et, en particulier, de sa cambrure lombaire : les méthodes utilisées pour soulever des charges lourdes et… les positions adoptées pour travailler assis ou pour se “tenir droit“.
Comment soulever une charge lourde ?
On enseigne classiquement à soulever des charges “en pliant les genoux“. La méthode louable, mais elle passe à côté du vrai problème.
Commençons par regarder autour de nous les gens qui savent soulever des charges lourdes
Les haltérophiles
Les haltérophiles tout d’abord. Que font-ils ?
- Ils écartent les jambes et posent les pieds bien à plat,
- Ils se penchent pour attraper leur barre (en pliant un peu les genoux),
Et ensuite ?
Contrairement à ce qui est enseigné depuis plusieurs générations,
- Ils se cambrent pour amener leur barre à la hauteur des épaules,
- Puis il ne leur reste plus qu’à faire une fente des jambes, avec une extension des bras vers le haut, pour pousser le poids au-dessus de leur tête.
Les sumos
Regardons aussi les lutteurs de sumo japonais.
Contrairement à la légende selon laquelle ce serait les abdominaux qui maintiendraient le dos, leur ventre est relâché, voire bedonnant, mais ils sont cambrés.
De même j’ai fait des années d’aïkido pendant lesquelles on nous apprenait à pousser le ventre (le “hara“) vers l’avant, puis du tai-chi où l’on nous enseignait à travailler “assis“ dans l’espace, les genoux pliés et les reins creusés.
Nos ancêtres paysans
Enfin, rappelons-nous nos ancêtres paysans, les genoux écartées, le “bedon“ en avant, sanglés dans leur ceinture de flanelle. Pour soulever un sac de pommes de terre sur leur dos, ils creusaient les reins, donnaient un “coup de rein“, un “coup de cul“ en arrière. Ils faisaient la même chose pour prendre une brouette ou pour travailler à la fourche. Sinon ils se faisaient un “tour de reins“ !
Nous sommes victimes d’une représentation corporelle erronée qui remonte à l’Antiquité : la statuaire antique représente des guerriers, prêts au combat, ventre rentré et muscles saillants. Cette conception était sans doute juste pour courir ou lancer le javelot, mais elle ne convient pas pour soulever une charge lourde. De même l’image du corps qui a prévalu pendant longtemps en rééducation vertébrale dérivait de la gymnastique corrective suédoise du XIXe siècle et des techniques d’entraînement sportif paramilitaire (“hébertisme“).
La physiologie du mouvement
Très schématiquement, on pourrait comparer la colonne vertébrale à un triangle posé sur sa base :
- Nous avons la force en bas (dans le bassin et la colonne lombaire)
- Et la mobilité en haut (dans les vertèbres thoraciques, le cou et les épaules)
Si, à l’inverse, on contracte les épaules et le thorax, nous prenons la force du haut du corps et le triangle se retrouve sur la pointe :
- On ankylose le haut
- et l’on cisaille le bas
C’est l’origine de la plupart des douleurs lombaires
En effet, si dans cette position vous vous pliez en avant et que vous voulez soulever quelque chose, c’est votre bassin et votre bas du dos qui bougent, manquant de force et de stabilité. Vous risquez alors de vous faire très mal.
À l’inverse, si vous êtes bien cambré, vos vertèbres lombaires et votre bassin sont automatiquement verrouillés, les apophyses articulaires lombaires ne permettant pas un mouvement latéral ou de rotation dans cette position. Cette rotation se fera alors au milieu du dos (dans la colonne thoracique). Il est donc impossible, dans cette position, de se faire mal, de provoquer un blocage des vertèbres lombaires ou du bassin.
L’expérimentation
À titre d’expérience, je proposais à mes patients de leur apprendre à soulever ma table de travail.
Etape 1 : le dos rond
Je les invitais tout d’abord à soulever comme ils avaient l’habitude de faire, en se penchant en avant le dos rond :
- La table leur semblait ainsi très lourde
- Ils ressentaient des tensions dans les épaules et des sensations douloureuses dans le bas du dos
Etape 2 : le dos « droit »
Je leur proposais également de soulever la table, en pliant les genoux et le dos « droit », comme ils avaient pu l’apprendre au cours de formations :
- L’expérience se révélait impossible (la table était trop lourde)
Etape 3 : on se cambre !
Enfin je leur demandais :
- D’écarter les pieds, bien à plat
- De les rapprocher de la table
- De plier les genoux, en contact avec la table
- De « s’asseoir » en l’air, les fesses en arrière (c’est à dire de garder la cambrure lombaire naturelle), le corps incliné à 45° en avant (les épaules se trouvent alors au-dessus de la table et les bras descendent verticalement vers elle)
- Puis de prendre la table
Il ne leur restait plus alors qu’à basculer le poids du corps en arrière (reculer les épaules en haut et en arrière) et :
- La table leur paraissait maintenant beaucoup plus légère,
- Leurs épaules étaient détendues,
- et le bas de leur dos devenait fort.
De même, si une personne doit prendre un objet latéralement, il convient de :
- Commencer par verrouiller sa colonne lombaire en cambrant
- Puis, dans un deuxième temps seulement, de se tourner vers l’objet pour le saisir et le soulever (rotation au niveau de la colonne dorsale).
Travailler assis
Nous vivons dans une société où beaucoup de gens passent la majorité de leur temps à travailler assis. D’où toutes les pathologies qui peuvent en découler, si cette position est mal comprise.
Tiens-toi droit
Si, au lieu d’exiger d’un enfant qu’il se tienne assis “bien droit“, nous lui demandons : « Montre que tu es un beau gars (ou une belle fille) !» ou « Montre que tu es grand(e) ! », que fait-il alors ?
L’enfant se redresse spontanément, il bombe le torse de plaisir et, surtout, il creuse les reins, il se cambre ! tout naturellement. Il ne nous reste donc plus qu’à lui apprendre à rouler sur les fesses vers l’arrière (dos rond), puis vers l’avant (dos cambré) et à lui faire sentir qu’il lui suffit de rester cambré, assis sur l’avant du bassin comme un cavalier sur son cheval, pour montrer qu’il (elle) est grand(e) et beau (belle) et… pour se tenir droit sans aucun effort !
La bonne position : retrouver la cambrure lombaire
Dans la station assise, la position de confort est la même que dans la position debout : il s’agit tout simplement de retrouver cette cambrure lombaire qui est le propre de l’être humain.
Si l’on s’assoit en conservant la cambrure, on peut tout d’abord avoir l’impression d’être trop cambré, que cette position est tout à fait inconfortable. Mais, après quelques minutes d’exercice seulement, cela va devenir tout à fait naturel et agréable.
À l’inverse si, devant son ordinateur, la cambrure est relâchée et le dos arrondi, alors :
- Les épaules et le cou sont crispés,
- Les tensions dans le thorax peuvent provoquer angoisse et troubles digestifs,
- Les lombaires sont cisaillées s’il y a des mouvements de rotation du tronc pour prendre un dossier à droite, à gauche (comme lorsque l’on soulève une charge),
- La main, le poignet et le coude droits sont crispés (c’est la “maladie de la souris“),
- Le visage se ferme,
- Et il y a baisse de l’attention.
Peut-on être trop cambré ?
Il ne faut pas confondre la cambrure naturelle (qui est notre force et notre spécificité d’être humain), avec une courbure pathologique (qui est la compensation de tensions venues d’ailleurs). Cette dernière relève du traitement ostéopathique.
En position debout
Pour se tenir “droit“ et sans effort il suffit de reculer un petit peu le thorax, en équilibre sur les talons, ce qui a pour résultats :
1) D’enclencher les apophyses articulaires des vertèbres lombaires, ce qui donne toute sa force à cette zone et produit une sensation de solidité et de confort ;
2) De faire basculer les épaules en arrière de l’axe des hanches, ce qui permet de les sentir basses et dégagées ;
3) Enfin, d’ouvrir le thorax (et le visage), procurant ainsi une sensation de force et de bien-être.
Pour aller plus loin sur le rôle de la cambrure
Plusieurs articles insistent également sur le rôle déterminant de la cambrure lombaire :
– Courbures lombaire et cervicale, si on arrêtait les erreurs ? par Rachid Ziane, Steeve Chiapolini et Guillaume Laffaye (Guillaume Laffaye est professeur d’EPS agrégé, maître de conférences et habilité à diriger des recherches. Spécialiste de biomécanique, membre du laboratoire Complexité, Innovation, Activités Motrices et Sportives (CIAMS) de l’Université Paris-Saclay)
- Le site d’haltérophilie The Power Institute
https://www.thepowerinstitute.fr/halterophilie-fixez-votre-dos/
- Différents articles sur la méthode MacKenzie, développée dans les années 50 par un physiothérapeute néo-zélandais et qui utilise la cambrure lombaire dans le traitement des lombalgies
https://www.penser-et-agir.fr/methode-mckenzie/
https://www.cekcb.fr/therapies-manuelles/methode-mc-kenzie/
https://tonigo.fr/livres-methode-mckenzie/4-soignez-votre-dos-vous-meme
Notes de l’auteur
(1) : J’ai rapporté mes expériences cliniques à ce sujet dans mon ouvrage L’ostéopathie en douceur, de la parascoliose à la Torsion Physiologique, Sully, Vannes, 2006. Le présent texte est un condensé du chapitre 6 de ce livre (Une autre approche du corps, pp. 183 à 206).
Ces principes ont été développés, à l’usage des praticiens, dans mes deux ouvrages suivants : La Torsion Physiologique en ostéopathie comparée, de l’humain au quadrupède, Sully, Vannes, 2013 et La spirale ascendante en ostéopathie comparée, le Mécanisme Respiratoire Primaire revisité par la Torsion Physiologique, Sully, Vannes, 2020.
(2) : Cela est apparu notamment dans le contexte de la rééducation post opératoire à la suite des premières opérations d’hernies discales, au cours de années 1960.
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