une étudiante portant un sac avec l'argent dans une main et des livres dans l'autre

Économie : faut-il annuler les dettes étudiantes ?

📋  Le contexte  📋

La dette étudiante rassemble les prêts contractés par les étudiants auprès d’organismes financiers pour payer leurs études. Cet endettement a tendance à augmenter. Rien qu’aux États-Unis, la dette étudiante a été multipliée par trois en l’espace de 12 ans, et représente désormais 1 600 milliards de dollars. La France suit la tendance, puisqu’à cause de la hausse des frais de scolarité et la faible proportion d’étudiants boursiers, de nombreux étudiants demandent des prêts. Cette dette pèse sur les épaules des jeunes diplômés qui doivent commencer les remboursements parfois dès l’obtention de leur diplôme. Sources : Le Monde & Le virus de l’info

Plusieurs solutions ont été envisagées pour réduire le poids de cette dette. Par exemple, au Royaume-Uni, Vince Cable a proposé de faire payer les frais d’inscription a posteriori. Ainsi, les jeunes diplômés paieraient leurs frais d’inscription sur leur fiche d’impôt, c’est-à-dire qu’ils ne régleraient leurs études qu’une fois installés dans la vie active et donc seulement lorsqu’ils seraient en capacité de les financer. Une autre proposition entend supprimer les frais d’inscription. Aux États-Unis, plusieurs candidats à l’élection présidentielle vont dans ce sens et appuient cette thèse de l’annulation des dettes étudiantes, de manière partielle ou complète. Sources : La Tribune & Le Monde

La question de la dette étudiante est un des sujets forts de la présidentielle américaine 2020. La Covid-19 ayant précarisé les étudiants et entraînant une difficulté d’insertion des jeunes sur le marché de l’emploi, les défauts de paiement de ces dettes risquent d’exploser. Pour soulager les étudiants et jeunes diplômés, Donald Trump avait accordé une suspension des remboursements pendant 3 mois sans frais. Plusieurs candidats à la présidentielle américaine ont donc fait de cette dette étudiante un point fort de leur programme. Bernie Sanders avait, par exemple, promis d’effacer la totalité des dettes. Sources : Capital & La Tribune

🕵  Le débat des experts  🕵

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Le « Pour »

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Gilles Vandal
Professeur émérite à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke
L’annulation des prêts étudiants aux États-Unis : une nécessité économique

Les frais d’études universitaires atteignent plus de 21 000 dollars par année. Ces frais sont tels qu’ils correspondent à plus de 34% du revenu moyen d’une famille américaine. Le coût devint prohibitif. Plus de 70% des étudiants n’ont pas d’autre choix que d’emprunter pour couvrir leurs études. Les statistiques concernant la dette des prêts étudiants aux États-Unis sont alarmantes. Plus de 45,5 millions d’Américains, soit 27% des Américains âgés de 20 à 65 ans, doivent collectivement plus de 1,6 milliards de dollars. Les dettes étudiantes représentent plus de 6,2% de la dette fédérale américaine. La répartition en tranches d’âge démontre qu’un grand nombre traîne des dettes étudiantes pendant la majorité de leur vie. En effet, 8,2 millions d’anciens étudiants de moins de 25 ans devaient 121 milliards de dollars en 2019. 15 millions, âgés de 25 à 34 ans, devaient 502 milliards. 14,1 millions, âgés de 35 à 49 ans, devaient 576 milliards. 6 millions âgés de 50 à 61 ans devaient 241 milliards et finalement 2,1 millions âgés de plus de 61 ans devaient encore 76 milliards. Le remboursement des prêts étudiants représente un défi courant pour un large nombre d’Américains. Et ce remboursement est devenu sans cesse plus difficile, alors que les paiements mensuels moyens de ceux-ci ont augmenté de 55% depuis 10 ans. Beaucoup d’Américains suspendent leurs paiements de leurs dettes étudiantes, sont en défaut de paiement ou doivent trouver un arrangement financier avec leur banque. Les dettes étudiantes représentent un important stress financier pour les emprunteurs. Ceux-ci sont presque incapables de se doter d’un filet de sécurité financière pour assumer des dépenses imprévues, telles qu’une urgence médicale. Comme les Américains ont de la difficulté à respecter leurs obligations en matière de prêts étudiants, ceux-ci ne cessent d’augmenter. La défaillance dans le remboursement de ces dettes surpasse celle des cartes de crédit ou des prêts automobiles. Alors que 59% des Américains âgés de plus 25 ans ont passé un certain temps à l’université, les frais associés actuellement aux études universitaires et l’endettement lié à celles-ci rendent les jeunes Américains plus réticents à entreprendre de telles études. Dans le contexte politique actuel aux États-Unis, il est difficile d’envisager une annulation complète des dettes étudiantes. Tout au plus, une baisse importante de celles-ci serait possible. Pourtant, assurer la gratuité des études universitaires et annuler les dettes étudiantes sont deux prérequis essentiels pour assurer la prédominance intellectuelle et économique américaine. Après la Deuxième Guerre mondiale, l’administration Truman a assuré cette prédominance économique grâce au GI Bill. Cette loi permit aux États-Unis de se doter de travailleurs les plus instruits et les plus productifs pendant 30 ans. Présentement, les dettes étudiantes représentent un élément répulsif à la croissance économique.


Lucia Bayer & Mats
Permanent au CADTM
L’endettement étudiant est synonyme de précarité

L’endettement des étudiant·e·s constitue aujourd’hui un problème social majeur dans de nombreux pays. Seulement aux États-Unis, 45 millions d’étudiant·e·s portent le fardeau d’une dette de 1,67 trillions de dollars américains, dont 40% sont en risque de défaut de paiement.

Bien que la situation en France ne soit pour l’instant pas aussi dramatique, on calcule néanmoins que chaque année 300 000 étudiant·e·s doivent s’endetter. Les raisons de cela sont les mêmes qui poussent à l’endettement dans d’autres pays : des frais d’inscription de plus en plus élevés et un coût de la vie étudiante qui ne cesse pas de croître (logement, santé, courses, transports, matériel…). L’endettement se répercute directement sur la capacité des étudiant·e·s à faire des choix. Que ce soit pour le choix des études, le choix de l’université et de la ville où l’on souhaite étudier, jusqu’à l’insertion dans le marché du travail une fois les études terminées (devant probablement accepter n’importe quelle offre d’emploi sous la pression du remboursement du prêt). La dette façonne la vie et l’avenir des étudiant·e·s, et a des implications importantes aussi en ce qui concerne l’exercice de certains droits. Si on est obligé·e de rembourser une dette, on tentera de faire des économies dans certaines dépenses parfois essentielles, tels que les soins de santé. Enfin, cela touche aussi à la liberté d’expression et très particulièrement au droit de grève, non seulement en raison du salaire perdu, mais aussi à cause du risque de perdre son emploi. Dans des sociétés où la précarité avance à grands pas, les dettes étudiantes constituent un accélérateur. Sans oublier que l’imbrication des dettes étudiantes dans les marchés financiers (idem que les crédits hypothécaires) font que l’avenir des étudiant·e·s est aujourd’hui un objet de spéculation.

Le débat sur l’endettement étudiant en France cache en réalité un autre : celui du modèle d’enseignement supérieur. Les multiples réformes auxquelles nous assistons depuis plus d’une décennie, allant de la LRU jusqu’à la loi Vidal ont une chose en commun : elles rapprochent cet enseignement aux besoins changeants des entreprises. Dans cette logique la sélection via l’augmentation des frais d’inscription et la substitution progressive des bourses par de prêts sont une partie fondamentale. Loin derrière reste la défense de l’enseignement supérieur comme moyen d’émancipation intellectuelle. Face au modèle de l’austérité, il est essentiel de garantir un financement public suffisant, ainsi que la mise en place d’un salaire étudiant qui leur permette d’étudier convenablement.

Le « Contre »

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Zilvinas Silenas
Président de la fondation Economic Education
Inégal, injuste, et un énorme désordre

Tout d’abord, on ne peut pas simplement « annuler » les prêts. Soit les prêteurs perdront l’argent prêté, soit le gouvernement devra les rembourser au nom des étudiants qui ont contracté les prêts. Même dans le cas où le gouvernement est le prêteur, l’annulation des prêts étudiants signifie moins d’argent dans les coffres publics, et conséquemment moins d’argent pour d’autres actions publiques (par exemple : la diminution de la pauvreté). Au sujet de la pauvreté, les diplômés d’universités américaines touchent presque le double que ceux qui n’ont qu’un diplôme d’études secondaires. Au cours de leur carrière, les personnes avec un diplôme universitaire gagnent environ un million de dollars de plus que celles sans. Ainsi, si vous voulez utiliser l’argent des contribuables pour aider les démunis et les pauvres, vous ne devriez pas donner cet argent aux diplômés des universités, mais à ceux qui n’ont pas été à l’université. Bien sûr, si les diplômés sont confrontés à la pauvreté, ils devraient être aidés, mais au même titre que tout le monde. Pourquoi un pauvre diplômé devrait être plus aidé qu’une personne pauvre qui, elle, n’a pas emprunté pour aller à l’université ? Deuxièmement, pourquoi devrions-nous payer pour les prêts étudiants des autres, mais pas pour les prêts immobiliers ou les prêts-auto ? Après tout, la dette étudiante s’élève à 1 600 milliards de dollars, alors que les prêts pour acheter une voiture équivalent à 1 200 milliards et les prêts immobiliers à environ 10 milliards de dollars ? Sélectionner un groupe de personnes et utiliser l’argent des autres pour payer leurs dettes est injuste. Qu’en est-il des gens qui renoncent à une voiture, des congés, ou à un plus grand appartement pour rembourser leurs dettes étudiantes à la place ? Quelle leçon de moral l’annulation des dettes nous apprend-elle ? Est-ce que les contribuables paieront pour les dettes de tout le monde, y compris pour les gens qui doivent un demi-million de dollar pour un diplôme d’acuponcture ? Est-ce que seulement les prêts en cours seront annulés, or est-ce que l’annulation concernera aussi les futurs prêts ? Et si c’est le cas, est-ce que vous emprunteriez de l’argent sachant que vous n’aurez pas besoin de le rembourser ? Si le gouvernement doit accorder ces prêts, quel sera l’impact sur le prix de l’université quand on sait que l’on peut emprunter sans avoir à rembourser les prêts ? Pour éviter tous ces résultats absurdes, il faudrait revoir le système d’enseignement supérieur entier. Il y a de bons arguments pour réformer le système, il y a de bons arguments contre. Débattons-en. Si vous voulez l’annulation des prêts, très bien, mais ne réduisez pas cette question compliquée à des slogans simplistes. Ces derniers ne servent à rien d’autres que d’acheter des votes politiques.


Malgré nos recherches, nous n’avons pas pu trouver de contributeur pour défendre cette thèse. Si vous êtes compétent et légitime ou que vous connaissez quelqu’un qui l’est, n’hésitez pas à nous contacter : contact@ledrenche.fr !

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