📋 Le contexte 📋
L’opération Barkhane est une opération militaire française au Sahel et au Sahara qui remplace en 2014 l’opération Serval qui a débuté au Mali en 2013. En partenariat avec le Mali, la Mauritanie, le Tchad, le Niger et le Burkina Faso, l’opération vise à éliminer les groupes djihadistes associés à Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) ou à l’Etat Islamique qui contrôlent des parties de la région. Le but de Barkhane est de permettre une coordination internationale pour répondre à une menace transfrontalière. Aujourd’hui, 5100 soldats sont déployés par l’Armée française au Sahel. En 2017, le G5 Sahel est créé pour garantir l’autonomie de la région en termes de sécurité, et prendre le relai de Barkhane. Il est composé de 5000 soldats des cinq pays concernés par Barkhane.
L’opération Barkhane, malgré des victoires militaires et la création de l’européenne Task Force Takuba supposée venir en soutien à Barkhane, ne parvient pas à reprendre les deux-tiers du Mali qui sont encore sous contrôle djihadiste. Le coût financier élevé de l’opération, environ 1 milliard d’euros par an, pose également question en cette période économique compliquée. Enfin, des mouvements panafricanistes comme Urgences Panafricanistes dénoncent la présence française dans la région. Cependant, celle-ci est justifiée par certains experts comme indispensable tant que la menace djihadiste n’est pas éliminée, ou que le G5 Sahel ne peut pas assurer la sécurité des Etats.
Fin décembre 2020 et début janvier 2021, les effectifs français ont déploré de nouvelles pertes, lorsque des attentats ont tué 5 soldats français en moins d’une semaine. Au total, 55 soldats sont morts depuis le début de l’opération Serval. Ce deuil national, ainsi que la réunion du G5 Sahel mi-février à N’Djamena, a ravivé le débat autour de la pertinence de l’opération Barkhane en pleine crise économique, avec la perspective d’un désengagement compliqué et des effets à long-terme de l’opération qui demeurent incertains. Alors qu’une réduction des effectifs français était attendue, Emmanuel Macron a donc maintenu à 5100 le nombre de soldats déployés lors du sommet de N’Djamena.
🕵 Le débat des experts 🕵
Depuis 2013, l’engagement militaire de la France au Mali n’a pas permis de stabiliser le pays ni la région. Notre pays a payé un lourd tribut humain avec 55 morts et plusieurs centaines de blessés physiques et psychiques. Nous avons dépensé près de 6 milliards d’euros, équivalant à environ deux ans du budget total de l’État malien. Ce chiffre est d’autant plus impressionnant si l’on se rappelle que la crise régionale trouve en grande partie son origine dans la faiblesse des États de la zone.
Depuis 2013, la crise malienne s’est étendue au Niger et au Burkina Faso. On estime à près de 2 millions le nombre de personnes déplacées et réfugiées dans ces trois pays. Au fil du temps, la légitimité politique de l’intervention française s’est érodée. Voilà des années que ni le peuple malien ni le peuple français ne se sont exprimés dessus. Au Mali, l’ancien président a même été renversé par une junte militaire profitant d’un mouvement populaire de grande ampleur.
Le gouvernement français, lui, dissimule son absence de stratégie sous le slogan « 3D : Défense, Diplomatie, Développement ». Le D de Démocratie est le grand oublié. Et pour cause : l’alliance militaire locale sur laquelle la France s’appuie, le G5 Sahel, ressemble chaque jour un peu plus à un club de dictatures. Aujourd’hui, le personnage clé en est le « maréchal » Idriss Déby, sanglant président du Tchad. Ces alliances discréditent la France aux yeux des populations. Même ses « bonnes actions » deviennent suspectes. Prise entre l’ingérence et la complaisance, il n’y a d’autre solution que de partir.
De peur de perdre la face, Emmanuel Macron appelle à la patience. Il gère au coup par coup. Il y a un an, il augmentait les effectifs sur place exactement comme l’avait fait Obama en Afghanistan. Il a obtenu aussi peu de succès. Le président ne parvient même pas à dire que le retour de nos soldats est un objectif en soi. Or, c’est pourtant le cas. Aucun attentat contre la population ou le territoire français n’a été planifié au Mali. L’instabilité au Sahara est chronique et ne trouvera aucune solution grâce à une intervention militaire étrangère. Pour ne pas laisser le chaos derrière nous, il est temps de travailler à un plan de sortie concerté.
En janvier 2013, la France est entrée en guerre contre les groupes armés djihadistes qui occupaient le nord du Mali. Nous l’avons fait parce que le gouvernement malien nous l’a demandé et que nous estimions que la déstabilisation de la région pourrait avoir de graves conséquences pour notre sécurité. Nous avons alors vaincu ces groupes sans pouvoir gagner toutefois une guerre qui perdurera tant que les raisons qui font qu’ils existent n’ont pas disparu.
Nous avons ensuite décidé rester au Mali et d’en faire le centre de gravité de la nouvelle opération baptisée Barkhane en coopération avec les cinq pays de la région. Sa mission était de contenir les Djihadistes jusqu’à ce que les forces armées locales puissent prendre cette mission à leur compte. C’était un pari très risqué.
Pour le réussir, il aurait fallu commencer par y mettre des moyens suffisants. Nous ne l’avons pas fait. La « relève » de son côté tarde à venir. La force des Nations-Unies mise en place au Mali se contente de se défendre. Les alliés européens fournissent une formation technique aux forces maliennes, ce qui ne sert pas à grand-chose si les soldats formés ne sont ni payés ni armés. Car et c’est bien là le cœur du problème, les États souffrent de problèmes structurels, la corruption en premier lieu, qui leur empêchent d’assurer efficacement leur mission de protection et d’administration des zones rurales. Leur réunion dans une force commune n’y change pas grand-chose.
Pression insuffisante sur l’ennemi, forces de sécurité locales paralysées, États impuissants, la situation ne pouvait en réalité que se dégrader au fil des ans. Il a fallu pourtant attendre la fin de 2019 pour l’admettre en France. Il fut alors décidé d’augmenter enfin les moyens de Barkhane et de plus accompagner les armées locales. Nous avons alors subi plus de pertes, mais ce n’est pas parce que des soldats français tombent dans une guerre que nous sommes en train de la perdre. Dans les faits, c’est le contraire qui s’est passé. La France a obtenu une nouvelle victoire militaire.
La question est maintenant de savoir ce que nous allons en faire, dans un contexte où il ne sera probablement pas possible de maintenir longtemps un tel effort, que la menace djihadiste est destinée à durer et que le « mikado sécuritaire » mis en place dans la région ne peut pour l’instant se maintenir sans nous. Il n’y a dès lors guère d’autre solution que de remplacer Barkhane par une nouvelle opération militaire moins vulnérable, moins chère et moins visible tout en exerçant une pression suffisante sur l’ennemi sur la longue durée.