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Faut-il augmenter l’indemnité des députés ?

📋  Le contexte  📋

Les députés touchent une indemnité parlementaire s’élevant à 7 239,91 € brut, soit 5 679,71 € net mensuel. Elle se compose de trois sommes cumulées : l’indemnité parlementaire de base (5 623,23 €), l’indemnité de fonction (1 447,98 €) et de l’indemnité de résidence (168,70 €). 

En plus de leurs revenus, les députés peuvent voyager gratuitement sur l’ensemble du réseau de la SNCF et disposent de 80 vols gratuits entre leur circonscription et Paris. Chaque député dispose également d’une dotation matérielle de 18 950 € annuelle pour couvrir les courses en taxi, les dépenses de téléphonie, de courrier, etc. 

L’avance de frais de mandat vise à couvrir les dépenses liées à leur fonction. À hauteur de 5 373 € mensuelle, cette dotation aux contours flous peut couvrir les frais de location d’une permanence ou d’un hébergement, les frais de transport ou d’achat d’un véhicule ou encore les frais de bouche pour le député ainsi que de ses invités et collaborateurs. 

Enfin, en matière d’hébergement, 242 députés disposent d’une possibilité de couchage dans leur bureau. L’Assemblée nationale met également à disposition les 51 chambres de la Résidence et peut aussi prendre en charge la nuit d’hôtel à Paris. Les députés non-franciliens ont également une troisième option : louer un pied-à-terre. Pour se faire, ils disposent d’une dotation mensuelle de 1 200 € (contre 900 € en 2019).

L’activité de député s’accompagne parfois de fonctions supplémentaires : Président de l’Assemblée, questeurs, vice-présidents… Ceux-là voient leurs enveloppes augmentées pour compenser les sujétions particulières attachées à l’exercice des fonctions supplémentaires qu’ils occupent. Ainsi, le Président de l’Assemblée touche une indemnité supplémentaire de 7297,82 €, les questeurs 5024,49 € et 1 042 € pour les vice-présidents. La rémunération de ce cumul de fonctions ne peut excéder 1,5 fois le montant cumulé de l’indemnité parlementaire. 

Depuis 2014, les députés ne peuvent plus exercer de fonction exécutive locale. Un député ou un sénateur peut toutefois être élu au sein d’un conseil municipal, départemental ou régional sans exercer de fonction exécutive. Il est alors conseiller municipal, départemental ou régional. Dans ce cas, l’indemnité ne peut excéder 2 811 €. 

Enfin, les députés peuvent maintenir une activité professionnelle annexe pendant leur mandat et donc une rémunération supplémentaire. Toutefois, l’exercice d’un mandat de député n’est pas compatible avec certaines fonctions comme le conseil, la magistrature ou toute fonction de direction dans une entreprise nationale. 

Au lendemain des élections législatives, une majorité de nouveaux députés va entrer à l’Assemblée nationale. Elle sera composée de 302 députés entrants et de 275 députés sortants. Ceux qui n’ont pas été réélus bénéficieront tout de même d’une allocation chômage ou d’une retraite. 

Pour toucher une allocation chômage, le député doit cependant remplir un certain nombre de conditions : il ne doit occuper aucune activité professionnelle à la fin de son mandat et doit être à la recherche d’un emploi. Si le député non réélu coche ces cases, il touchera donc l’allocation chômage. Celle-ci s’élève à 57 % du montant de l’indemnité parlementaire de base, soit aux alentours de 3 200 € nets par mois. Selon l’âge du député, le versement de cette aide peut s’étendre de 4 mois à 36 mois. 

Les députés âgés de 62 ans et plus peuvent toucher une retraite au prorata des annuités acquises. Pour un mandat de cinq ans, le montant de la pension d’un député s’élève à 661 € net.

Alors, maintenant que tout est (un peu) plus clair, faut-il augmenter l’indemnité des députés ? On en débat avec Béatrice Guillemont et Fabien Bottini !

🕵  Le débat des experts  🕵

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Faut-il augmenter l'indemnité des députés ?
Le « Pour »
Fabien Bottini
Professeur des Universités et membre de l'Observatoire de l'Éthique Publique
Pour l'augmentation de l'indemnité des députés

Deux considérations justifient une augmentation de l’indemnité des députés.

Garantir la transparence et la lisibilité des sommes versées

La première – sur laquelle on passera rapidement puisque les chiffres ont déjà été donnés ci-dessus  – tient à ce que cette indemnité est désormais constituée de différentes strates qui dissimulent en réalité déjà une augmentation non assumée de l’indemnité parlementaire. Autant donc l’assumer clairement aux termes d’un débat public sur la refonte de ses composantes, garantissant la transparence et la lisibilité des sommes versées.

La seconde, sur laquelle il convient de davantage s’attarder, tient à ce que 20% des députés élus entre 2017-2022 cumulaient cette indemnité avec une activité professionnelle, selon les chiffres de l’Assemblée. L’augmentation pourrait ainsi être la contrepartie d’un durcissement des incompatibilités qui frappent les députés. Prévues aux articles LO137 à LO153 du Code électoral, celles-ci interdisent au candidat d’exercer une fois élu des activités pouvant nuire à l’indépendance de son mandat.

Traditionnellement, le fait de siéger à l’Assemblée est par exemple incompatible avec la fonction de ministre ou l’exercice de responsabilités dans les « états-majors » des entreprises publiques : de façon à assurer l’indépendance de la représentation nationale vis-à-vis de l’Exécutif lorsqu’il nomme à ces emplois. Avec le temps, de nouvelles incompatibilités sont venues s’ajouter à cette liste – comme celle interdisant le cumul des mandats parlementaires national et européen.

Mais, parmi les cumuls qui restent autorisés, certains comportent un risque de conflits d’intérêts. Il en est notamment ainsi des cas d’incompatibilités avec les activités de conseil, de consultant ou d’avocat. Depuis les lois organiques n° 2013-906 du 11 octobre 2013 et n° 2017-1338 du 15 septembre 2017 il est vrai, un député ne peut plus entamer ce type d’activité après son élection ou la conserver s’il l’a commencé moins de douze mois avant son entrée en fonction. Il ne peut en outre fournir ses prestations une fois élu aux entités mentionnées à l’article LO. 146 du code électoral, comme les entreprises publiques.

Une augmentation de l’indemnité pourrait ainsi être la contrepartie de la disparition de ce type de cumul

A contrario, cela revient toutefois à dire qu’il peut continuer d’exercer celle acquise plus d’un an avant son élection pour d’autres clients. Même s’il lui est interdit de plaider contre l’État, même s’il peut solliciter l’avis du déontologue de l’Assemblée en cas de besoin, ces cas de cumul présentent très concrètement le risque de permettre aux lobbys de solliciter le député dans son activité professionnelle contre rémunération, dans l’espoir de le voir relayer au Parlement leurs revendications ; et de voir l’intéressé être tenté de le faire en échange de nouvelles consultations.

Une augmentation de l’indemnité pourrait ainsi être la contrepartie de la disparition de ce type de cumul, de façon à renforcer l’indépendance des élus de l’Assemblée nationale et à leur libérer davantage de temps pour se consacrer à l’exercice de leur mandat.

Les annonces récurrentes en faveur d’une baisse du nombre de députés pourraient être une façon de financer cette évolution à coût constant pour le contribuable.

Le « Contre »
Béatrice Guillemont
Directrice générale d'Anticor
Contre l'augmentation de la rémunération des députés

Souvent, lorsque l’indemnité du député est abordée, sont également abordés, pêlemêle, les autres frais et avantages pris en charge par l’Assemblée nationale. Précisément, l’indemnité représente 5 679,71 € net mensuel par mois. Elle est assujettie aux cotisations sociales et est imposable. Le député peut aussi cumuler avec des mandats locaux, et donc avec les indemnités ci-afférents, tout en sachant qu’un écrêtement [plafonnement de la rémunération limité à 1,5 fois l’indemnité parlementaire de base, NDLR] est prévu. Il peut également percevoir les prestations familiales à hauteur de 308,19 € par mois. Cette indemnité vise à assurer l’indépendance financière de l’élu de la Nation et permet par là-même de lutter contre son éventuelle corruption. Enfin, ça peut être un détail pour l’Assemblée mais pour les Français ça veut dire beaucoup, bien que théoriquement interdit depuis 2017, le député peut encore poursuivre des activités annexes (et donc rémunérées) durant son mandat.

À cette indemnité doit être ajoutée la mise à dispositions de nombreux moyens humains et matériels. D’abord des frais de mandat, d’un montant de 5 373 € par mois. Ensuite d’un « crédit collaborateurs » de 10 581 € pour rémunérer jusqu’à 5 personnes. Les déplacements en train, en avion, en taxi sont remboursés et plafonnés pour certains. Un crédit pour les frais d’équipement téléphonique et informatique est également mis à disposition à hauteur de 15 500 € pour les nouveaux députés et 13 000 € pour les réélus. En 2018, après des révélations dans la presse, l’allocation pour frais funéraires du député, dont on peine à trouver le lien avec l’exercice du mandat, a été revue à la baisse (passant de 7 339 € à 2 350 €) ! Le député dispose aussi d’un expert-comptable pour un montant de 1 400 € annuel. Enfin, le Palais Bourbon bénéficie de deux restaurants et d’une buvette pour se sustenter et s’abreuver.

La plupart se suffisent de cette modeste somme et parviennent à trouver un juste milieu entre les pâtes et les homards

En tout, le budget de l’Assemblée nationale représente 608 millions d’euros pour l’année 2022. C’est beaucoup et peu à la fois pour 577 députés et les 1 132 fonctionnaires de la chambre basse lorsque l’on sait que le Parlement (l’Assemblée nationale et le Sénat réunis) vote la loi, contrôle l’action du Gouvernement et évalue les politiques publiques au titre de l’article 24 de la Constitution de 1958. Mais les moyens sont là, pour ainsi dire.

Cette indemnité est-elle suffisante ? L’égrainement ci-haut devrait suffire à convaincre, mais si tel n’est pas le cas, la réponse peut également se trouver à la lumière du revenu médian des Français : 1 991 € en 2020 selon l’INSEE. Conserver une indemnité juste, ni trop haute ni trop basse comme c’est le cas présentement, permet au député de ne pas s’éloigner du « Français médian » et de devenir insensible aux préoccupations de ce dernier. Bien sûr, donner davantage permettrait probablement d’éviter que quelques députés profitent de dons, invitations et avantages — mal déclarés — faits par des représentants d’intérêts mal intentionnés. Mais la plupart se suffisent de cette modeste somme et parviennent à trouver un juste milieu entre les pâtes et les homards.

En réalité, disons-le, s’il fallait revoir le régime indemnitaire des élus, il s’agirait de façon opportune de se pencher sur l’absence d’indemnité de la majorité des élus de la République : les 570 000 élus locaux.

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