transhumanisme

Faut-il avoir peur du transhumanisme ?

📋  Le contexte  📋

La première apparition de ce terme date de 1957, par Julian Huxley (le frère du célèbre Aldous Huxley, auteur du livre “Le meilleur des mondes”). A l’époque, il définissait le transhumain comme un “homme qui reste un homme, mais se transcende lui-même en déployant de nouveaux possibles de et pour sa nature humaine”. Aujourd’hui on retrouve différentes définitions pour ce terme mais beaucoup s’accordent pour dire que le transhumanisme est un mouvement intellectuel qui cherche à améliorer les capacités humaines, qu’elles soient physiques ou mentales par l’usage de la technologie et des sciences. Une philosophie qui s’est surtout développée à partir de la seconde moitié du XXème siècle, inspirée par les idées de progrès continu de l’humanité héritée des Lumières. Aujourd’hui trois objectifs différents sont recherchés par les transhumanistes : le rallongement de la durée de vie, l’augmentation des capacités humaines et ses capacités cognitives.

La transhumanisme n’est pas seulement un mythe, une lubie que l’on voit dans Frankenstein ou dans Robocop. De nombreuses disciplines scientifiques réfléchissent déjà à augmenter les capacités humaines. Par exemple, les généticiens travaillent sur l’ADN pour modifier les embryons des bébés dans l’objectif de corriger des anomalies dans leur gènes. On crée également des prothèses bioniques de plus en plus performantes qui permettent même de retrouver le sens du toucher pour des personnes amputées. En informatique, on développe de plus en plus l’intelligence artificielle qui pourrait à l’avenir renforcer nos capacités cognitives grâce à des implants neuronaux.

Moralement et éthiquement, le transhumanisme a toujours été controversé. Les films de science-fiction ne cessent de nous alarmer sur ses dérives. Un monde dominé par les robots, des sociétés inégalitaires, l’homme déshumanisé…Toutes ces perspectives nous donnent la chair de poule. Pourtant, de réelles avancées comme le cœur artificiel révolutionnent la médecine et la vie de nombre d’individus. Si l’homme aujourd’hui est confronté à ses propres limites (perte de mémoire, baisse de capacités cognitives ou physiques, mortalité) est-il véritablement dangereux de vouloir l’améliorer ?

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Le « Pour »
Franck Damour
Chercheur associé à Ethics, Université Catholique de Lille
Il ne faut pas avoir peur des transhumanismes mais les critiquer en raison

Faut-il avoir peur du transhumanisme ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord savoir de quoi on parle. Il y a en effet différentes positions au sein du transhumanisme, si bien que le pluriel convient mieux. Elles expriment des sensibilités politiques appartenant au spectre libéral et aussi des approches plus ou moins technophiles. Poser ainsi la diversité pourrait laisser croire qu’au final le « transhumanisme » est une construction abstraite. Il est vrai que les débats ont conduit à grossir l’influence réelle du transhumanisme en le simplifiant à outrance. 

Toutefois, par-delà cette diversité et cette bulle polémique, un « air de famille » se dégage autour de quelques points : 1) l’adhésion au longétivisme (faire de la lutte contre la mortalité un objectif majeur) ; 2) la défense de la liberté morphologique (le droit fondamental de tout individu de disposer de son corps) ; 3) une conception technosolutionniste (la technologie détient potentiellement réponse à tout).

C’est une erreur politique et anthropologique fondamentale, car la vulnérabilité est la chose la mieux partagée du monde et constitue le socle de toute culture

En quoi ces idées peuvent-elles représenter un danger ? Elles participent d’un « solutionnisme technologique » pour lequel la technologie permet de dépasser les impasses de l’action politique. Les transhumanistes vont plus loin encore, attendant de la technologie un dépassement des questionnements métaphysiques. En défendant l’idée que la mortalité n’est plus un élément constitutif de la condition humaine, le transhumanisme définit l’humain comme un être sans vulnérabilité et sans autre trait d’union que l’exercice de la puissance. C’est une erreur politique et anthropologique fondamentale, car la vulnérabilité est la chose la mieux partagée du monde et constitue le socle de toute culture.

Ces critiques de principes doivent aussi tenir compte de la capacité du transhumanisme à agir. Il n’y a, à ce jour, aucune technologie développée par des transhumanistes, à l’exception du bitcoin ou du projet de colonisation martienne d’un Elon Musk… Il existe des projets biotechnologiques qui s’inscrivent dans une programmatique transhumaniste, comme le laboratoire Calico financé par Google. Concevront-ils un jour des technologies de rupture ? Nul ne peut l’affirmer ou l’infirmer. Un autre degré d’influence du transhumanisme est celui des débats d’idées autour des technologies. L’influence est là bien réelle. 

Alors, faut-il avoir peur du transhumanisme ? La question semble assez mal posée au final. Sans doute faut-il débattre des options sociales, politiques et anthropologiques qui s’expriment dans les prises de position se référant au transhumanisme. Sans doute faut-il critiquer, au sens fort du terme, les implicites des utopies transhumanistes. Débattre, critiquer, tout ceci me semble affaire de raison et non relever de la réaction primale qu’est la peur. 

Le « Contre »
Didier Cœurnelle
Vice-président de l’Association Française Transhumaniste - Technoprog
Pourquoi, plutôt que d’en avoir peur, faut-il souhaiter le transhumanisme

Le transhumanisme est un mouvement culturel et intellectuel international prônant l’usage des sciences et des techniques afin d’améliorer la condition humaine par le développement des capacités physiques et mentales des êtres humains et de supprimer le vieillissement et les autres causes de mortalité involontaires. Le transhumanisme repose sur les progrès de la médecine, des biotechnologies, des neurosciences, de l’informatique, de l’intelligence artificielle et de la robotique ainsi que de tout ce qui peut entrer dans le champ de la convergence technologique.

Le mouvement transhumaniste se préoccupe également des dangers que présentent de telles évolutions. Il est conscient que notre époque est à la fois l’une des plus belles périodes de l’histoire de l’humanité, mais aussi l’une des plus dangereuses. Le fleuve du progrès est puissant, mais il doit être canalisé.

Le transhumanisme est aussi un mouvement social caractérisé par une grande volonté de changement. En France, ce mouvement est principalement représenté par l’Association française transhumaniste. 

C’est un mouvement qui incarne les aspirations les plus audacieuses, courageuses, imaginatives et idéalistes de l’humanité

La perspective transhumaniste d’une humanité transformée a suscité de nombreuses réactions. C’est un mouvement qui incarne les aspirations les plus audacieuses, courageuses, imaginatives et idéalistes de l’humanité. Il fait peur à certains parce qu’aujourd’hui, les possibilités d’amélioration de la condition humaine par les technologies ouvrent sur des potentialités parfois vertigineuses : vivre beaucoup plus longtemps en bonne santé, moduler ses émotions, choisir des caractéristiques physiques ou mentales, améliorer ses relations sociales, etc. L’espoir fait souvent peur.

En fait, l’humanité est déjà transhumaine, comparée au monde d’il y a quelques siècles grâce aux progrès considérables notamment sur le plan médical. Ce qui est nouveau, c’est la prise de conscience des possibilités de nous changer nous-mêmes, afin de nous rendre plus résilients, en meilleure santé, capables de plus nous aimer, nous respecter.

Un monde dans lequel les femmes et les hommes sauraient qu’ils peuvent vivre de plus en plus longtemps et en s’améliorant serait un monde dans lequel nous serions poussés à être plus attentifs aux autres, mais aussi à la planète. Un corps durable ne s’envisage pas sans une société durable. Une société durable ne s’envisage pas, dans un avenir raisonnable,  sans une planète durable.

Il ne faut donc pas avoir peur du transhumanisme, ni du futur, mais ceci sans naïveté. Le meilleur moyen d’anticiper le futur et de ne pas en avoir peur, c’est d’en être les acteurs conscients.

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