casier judiciaire vierge

Faut-il exiger un casier judiciaire vierge pour tous les candidats ?

📋  Le contexte  📋

En France, un citoyen dont le casier judiciaire n’est pas vierge ne peut pas exercer certains métiers tels que chauffeur de taxi, pompier, fonctionnaire, ambulancier ou encore éducateur. Au total, 396 métiers requièrent l’obligation d’un casier judiciaire vierge.

Toutefois, un casier judiciaire rempli et une peine d’emprisonnement ne privent pas les citoyens de leurs droits civiques et politiques. Seule une peine d’inéligibilité (prononcée parfois en cas de corruption, d’agressions sexuelles, d’escroquerie, d’abus de confiance ou de terrorisme) peut donc empêcher les candidats, qui sont des citoyens, d’être élus. Ainsi, aucun casier judiciaire vierge n’est requis pour voter ou se présenter à une élection !

En 2017, Emmanuel Macron avait lancé un projet de loi visant à imposer un casier judiciaire vierge pour tous les candidats aux élections. Mais les députés n’ont pas pris le risque d’appliquer une mesure qui pourrait être jugée comme « inconstitutionnelle ». En effet, rendre inéligibles les candidats qui n’auraient pas un casier judiciaire vierge irait à l’encontre du principe d’individualisation des peines garanti dans la Constitution. Le casier judiciaire vierge a donc été abandonné et l’Assemblée a opté pour “une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité » : tous les crimes et un grand nombre de délits (sauf ceux commis avant 2017) sont obligatoirement assortis de cette peine complémentaire, sauf indication contraire.

Cette peine d’inéligibilité peut avoir une durée de cinq ans en cas de délit et de dix ans en cas de crime. Le juge peut cependant moduler la durée de la peine, prendre en compte les circonstances de l’infraction et la personnalité de l’auteur pour la prononcer.

Concernant les élections de 2022, plusieurs candidats ne disposent pas d’un casier judiciaire vierge :

Eric Zemmour a été condamnée à deux reprises pour provocation à la discrimination, à la haine ou aux violences racistes.

Philippe Poutou a lui aussi été condamné à une amende pour des dégradations sur le stand de Ford au Salon de l’Auto en 2017.

En décembre 2019, Jean-Luc Mélenchon a reçu une amende de 8000 euros et a été condamné à trois mois de prison avec sursis pour rébellion et provocation, après une perquisition au siège de son parti, La France Insoumise, en 2018. L’enquête visait les comptes de la campagne présidentielle du candidat ainsi que les conditions d’emploi d’assistants d’eurodéputés du parti.

Yannick Jadot a été condamné en 2005 pour « atteinte aux intérêts supérieurs de la Nation » pour avoir pénétré en zodiac dans une base de sous-marins nucléaires dans le Finistère, alors qu’il dirigeait les actions de Greenpeace France.

Enfin, nous pouvons également citer Anne Hidalgo qui, en 2012, a été condamnée à 40 000 euros d’amende pour infraction à la législation sur la durée de travail (deux plaintes ont été déposées : l’une pour travail dissimulé, l’autre pour dépassement d’horaire répété).

Mais pour certains, imposer un casier vierge à tous les candidats reviendrait à les chasser de la communauté des citoyens, la règle étant la même pour tous : lorsqu’on a payé sa dette à la société en purgeant sa peine, il est possible de redevenir un citoyen “comme les autres” et donc de se présenter aux élections. Pour d’autres, les élus se doivent d’être dignes de la confiance que le peuple leur porte et se montrer exemplaires. Alors, faut-il exiger un casier vierge pour tous les candidats ? On en discute aujourd’hui avec deux experts !

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Faut-il exiger un casier judiciaire vierge pour tous les candidats ?
Le « Pour »
Élise Van Beneden
Présidente d’Anticor
Pour des élus exemplaires, un casier vierge s'impose

Les élus ont une responsabilité importante, celle de défendre l’intérêt général. Ils se doivent d’être exemplaires car leur mission est cruciale dans notre démocratie et car leur légitimité est basée sur la confiance que les citoyens placent en eux. Or, cette confiance a été abîmée par de trop nombreux scandales de corruption.

C’est pourquoi Anticor a vigoureusement milité pour que la détention d’un casier judiciaire vierge d’infraction à la probité soit une condition pour se présenter à une élection. Il s’agit d’une mesure forte mais aussi parfaitement légitime.

Il apparaît en effet étrange que le casier vierge soit une condition pour devenir fonctionnaire ou juges mais pas pour devenir élu !

Cela dit quelque chose de notre conception du pouvoir. Mais les citoyens n’acceptent plus le manque d’exemplarité de certains élus, au point pour de nombreux d’entre eux, de ne plus aller voter.

Emmanuel Macron s’était engagé à faire passer cette mesure. Il ne l’a pas fait. Dans son programme, il avait pourtant été clair : « la loi de moralisation de la vie publique comprendra (…) l’interdiction pour tous les détenteurs d’un casier judiciaire (niveau B2) de se présenter à une élection ».

L’Assemblée nationale avait adopté, à l’unanimité, le 1er février 2017, une proposition de loi visant à instaurer l’obligation pour les candidats à un mandat électif de présenter un casier judiciaire vierge. Votée en fin de législature, elle a été transmise au Sénat, qui ne l’a jamais examinée. Lors des débats sur la loi relative à la confiance dans la vie politique, le « risque constitutionnel » a servi de prétexte pour écarter cette proposition. Il a été avancé que l’exigence d’un casier judiciaire vierge serait contraire à la constitution sans jamais que le conseil constitutionnel ne soit consulté.

D’après certains, le risque d’inconstitutionnalité vient du fait que l’inéligibilité est une sanction et que cette sanction doit être spécifiquement prononcée par un juge car la Constitution interdit les peines automatiques. Or, le Conseil constitutionnel n’a jamais eu à se prononcer sur cette question par le passé. D’après Anticor, l’exigence de casier judiciaire vierge est une condition d’aptitude aux mandats électifs politiques comme pour de nombreuses professions (fonctionnaires, avocats…) et non une sanction automatique.

En effet, le Conseil constitutionnel a censuré l’inéligibilité automatique d’élus condamnés pour certaines infractions à la probité. Mais il n’a jamais censuré une condition d’aptitude. L’association considère que cette mesure, tout comme d’autres réformes, notamment celle du statut du procureur de la République, mérite une réforme constitutionnelle. La peine d’inéligibilité obligatoire apparaît comme un substitut imparfait à la promesse initiale. C’est une peine qui ne vaut que pour les infractions commises à partir du 17 septembre 2017 et ce n’est pas une condition d’aptitude. C’est donc un substitut imparfait au casier vierge.

Si les élus n’arrivent pas à voter cette mesure, il faudra que les citoyens s’emparent du sujet. Dans ce cadre, la création du référendum d’initiative citoyenne (RIC) apparaît comme un moyen efficace pour contourner les réticences de nos élus. En cela, le RIC est un instrument d’éthique démocratique.

 

Le « Contre »
Régis de Castelneau
Avocat à la cour. Membre du comité de rédaction de Front Populaire
Une mesure qui porterait atteinte au suffrage universel

Voilà une revendication ancienne qui ressort à chaque échéance électorale alors qu’elle est un contresens démocratique et juridique. On la voit émerger de loin en loin transformée en étendard par les démagogues qui pensent gagner des voix en proclamant qu’il faut laver plus blanc que blanc. Il y a également malheureusement aussi des gens de bonne foi, qui souvent par ignorance, la pensent à tort comme un moyen de moralisation de la vie publique.

Comment se pose le problème ? Les tenants de cette mesure veulent inscrire dans la loi l’obligation d’un casier judiciaire vierge pour pouvoir se présenter à une élection. La première observation sera celle de rappeler un des principes fondamentaux du suffrage universel : pour être éligible, il faut être électeur. Et tout citoyen français dispose du droit de vote, et par conséquent se trouve être éligible. On peut priver de ces droits fondamentaux, comme on peut le faire de la liberté avec la prison, mais l’inéligibilité est une peine. Et comme toutes les peines, dans une société démocratique, elle va devoir être prononcée par un juge après une procédure contradictoire régulière. La loi française la prévoit comme « une peine accessoire », qui doit être appliquée dans le respect des principes du droit pénal de personnalisation et de proportionnalité de la peine. Tout ceci résulte de la Déclaration des Droits de l’Homme, de la Constitution, et de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Excusez du peu. Il n’y a pas de peines automatiques, celles-ci sont proscrites. Donc faire dépendre l’éligibilité d’un citoyen par ailleurs électeur, qui a accompli sa peine fixée par le juge et payé sa dette à la société, c’est une façon de le chasser à jamais de la communauté des citoyens. C’est radicalement inconstitutionnel.

Et puis qu’est-ce que c’est que le casier judiciaire ? C’est un outil d’information qui porte la mention des condamnations subies par un citoyen. Il est divisé en trois bulletins : le bulletin N°1 (B1) accessible aux seuls magistrats et à l’administration pénitentiaire, le bulletin N°2 (B2) accessible à l’administration et le bulletin N°3 (B3) accessible à chacun à condition d’y avoir une motivation licite. Rappelons qu’il est toujours possible de demander au juge la non-inscription des condamnations au B2 et au B3. Et ceci même bien après le prononcé de celles-ci. On va nous répondre : « on demande bien le casier pour embaucher un pompier ». La réponse est évidente :

L’exercice d’un mandat électif n’est pas un métier, il est l’accomplissement d’un mandat donné par le peuple au suffrage universel.

Lorsqu’un citoyen condamné à réglé sa dette à la société, il doit être réintégré dans la communauté nationale avec tous les éléments attachés au statut de citoyen. Vouloir donner au casier judiciaire la valeur d’une sanction est ne pas comprendre les règles qui conditionnent l’exercice de la violence légitime déléguée à l’État par les citoyens.

Alors on peut s’étonner que s’exprime régulièrement ce besoin compulsif de pénal, et cet amour de la punition. Et déplorer que cela puisse être aussi fréquemment repris et flatté par ceux qui s’imaginent que le populisme judiciaire sera utile contre leurs adversaires et pour se dispenser de faire la preuve de leur efficacité dans la défense de l’intérêt général.

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