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Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Une aubaine pour le commerce de détail
Philippe Jourdan
Fondateur de Promise Consulting et professeur en stratégie marketing à l'IAE Gustave Eiffelhttps://www.promiseconsultinginc.com
Deux fois par an, pendant six semaines, les soldes s’installent dans les rayons de nos magasins. Or ce rite social semble s’effriter avec une pratique en baisse depuis 1994. Alors pourquoi faire les soldes ?
Une nécessité économique
Dans notre ouvrage, Le Marketing de la Grenouille (1), nous distinguons cinq socio-styles de consommateurs, dont le récessionniste (25%) : un quart de nos concitoyens est aujourd’hui « contraint » économiquement, c’est-à-dire forcé de procrastiner ses achats dans l’attente de rabais ou de remises pour maintenir son « vouloir » d’achat. Les soldes sont donc pour lui une nécessité, car ils sont nombreux, pour qui « consommer, c’est d’abord compter ».
Une stratégie d’achat
Trois autres socio-styles, animés par des motivations différentes, trouvent un intérêt dans les Soldes : le Négociateur (18%), satisfait d’une baisse de prix institutionnalisé ; le Vigile (15%), attentif à la rationalisation de ses achats ; le Touche-à-tout enfin (21%), pour qui les Soldes sont l’occasion de de réaliser de bonnes affaires. On le voit, à l’exception du Minimaliste (21%), les Français présentent une attitude favorable (ou contrainte) aux Soldes.
Une aubaine
Les Soldes d’été ont été décevantes, les achats de fin d’année pénalisés par la crise des Gilets Jaunes : le succès des Soldes d’hiver est une impérieuse nécessité pour le commerce de détail. Les rabais pratiqués, dès les premiers jours (lorsque les modèles et les tailles sont encore disponibles) sont donc plus élevés que d’habitude (40, 50 sinon parfois 60% dès la première semaine) et, particularité des Soldes d’hiver, sur des pièces de prix élevés (manteaux, anoraks, doudounes, vestes matelassées, etc.).
Un soutien à l’économie
Les Soldes se sont généralisés à tous les commerces. Il est difficile d’isoler leur poids économique dans l’activité de distribution de détail. Plusieurs effets sont à l’œuvre : deux effets directs, la baisse des prix, et en parallèle la hausse du volume, selon la courbe d’élasticité-prix ; deux effets indirects, l’effet report dans l’attente des soldes, et l’effet d’aubaine par la vente induite de produits non soldés présentés en même temps en magasin.
L’impact résultant n’est donc pas simple à calculer, mais il est loin d’être négligeable : dans le secteur de l’habillement, il est de l’ordre de 2% de l’activité annuelle, soit plus que les perspectives de croissance annuelle. Au-delà, le déstockage qu’entraînent les Soldes est la seule manière pour de nombreux commerçants de reconstituer leur trésorerie en vue de l’achat des nouvelles collections de l’année. Faire les Soldes est donc un soutien au commerce de centre-ville et de proximité.
Les soldes n'ont plus de sens aujourd'hui
Geoffrey Bruyère
Co-fondateur de BonneGueule, marque de vêtements et conseils en mode masculinehttp://www.bonnegueule.fr/
Les soldes, une chance pour tous ! Le chaland malin déniche de bonnes affaires, et les marques récupèrent l’argent des invendus pour produire la collection suivante. Oui, mais ça, c’était avant.
En 2018, plus d’un vêtement sur deux est vendu en solde. 40% du chiffre d’affaire est réalisé à prix discounté, contre 20% en 2003. (CREDOC 2014).Mais quand l’exception est devenue la norme, est-il encore rationnel de penser que les prix barrés sont une chance à saisir ?
En une décennie, les prix ont gonflé, et la qualité a été oubliée
Seule recette pour que les grosses marques puissent réaliser des marges importantes, même quand le magasin affiche -50% le premier jour des soldes.
Un paradoxe quand les marques n’ont jamais eu aussi peu d’invendus à écouler, grâce à des prévisions de vente basées sur des algorithmes complexes et des méthodes de production en flux tendu. Notons aussi que les soldes n’ont plus lieu en fin de saison, mais en plein milieu (début janvier pour l’hiver, et mi-juin pour l’été), et qu’ils sont passé de 4 à 8 semaines.
Sans parler des ventes « privées », pré-soldes, déstockages « VIP », Saint-Valentin, et du Black Friday. Et que penser des French Days, dernière trouvaille bleu-blanc-rouge pour compenser l’intérêt décroissant pour les soldes avec une vague made in Bengladesh. Une boulimie de consommation, et une surproduction au lourd bilan social et environnemental : le textile est le 2nd secteur le plus polluant au Monde.
Bref, vous le saviez sans doute déjà : les soldes sont les soins palliatifs d’un marché qui a perdu la tête. Et vous êtes nombreux à vous en rendre compte : 56 % des français estiment que les soldes ne servent plus « à rien » (ODOXA, 2018). Et pourtant, il n’y a jamais eu autant de soldes. Alors comment expliquer qu’une ficelle marketing aussi grosse fonctionne encore ?
Il y a les difficultés financières de certains ménages bien sûr. Mais surtout un doublement de la quantité de vêtements achetés, pour un usage deux fois moindre. Et puis des prix qui ne veulent plus rien dire : et c’est bien compréhensible que beaucoup hésitent à acheter autre chose qu’un prix barré, par peur de se « faire avoir » le reste du temps.
Faut-il pour autant se résigner à acheter ses vêtements en fonction des réductions qui croisent votre chemin ? Pas forcément.
Toute une génération de nouvelles marques est en train d’éclore
Comme Gemmyo (bijoux), Tediber (matelas), Lunettes Pour Tous (optique), Balzac (mode féminine). Leur point commun ? Elles refusent le cercle vicieux des promotions et vendent à prix juste toute l’année. Le surcoût détourne celui qui ne jure que par la promo, mais une part croissante de français y consent et choisit un produit qui restera beau deux fois plus longtemps.
Les soldes sont vidés de leur sens, et l’alternative existe pour reprendre le pouvoir sur votre consommation. À votre tour de dire « non » à ces marques droguées au discount qui ont oublié leurs vêtements, ceux qui les fabriquent… et vous qui les portez.
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