📋 Le contexte 📋
Les GAFAM est un acronyme regroupant Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft. Aussi appelés Big five, ces entreprises de l’économie du numérique figurent parmi les plus grosses entreprises cotées en Bourse. Popularisé en France au début des années 2010, l’acronyme fait parler de lui depuis de nombreuses années sur la scène internationale. Évasion fiscale, abus de position dominante, non-respect de la vie privée des internautes, elles font régulièrement l’objet de critiques et de poursuites judiciaires.
Ces cinq entreprises exercent toutes une influence mondiale sur le plan politique, économique et social. Elles bouleversent nos habitudes et façonnent nos usages des outils numériques.
Sources : La Tribune, Les Echos, Vox
Le démantèlement d’une entreprise correspond à la modification de sa structure. Les opérations de démantèlement permettent de limiter le pouvoir des grandes entreprises, notamment lorsque celles-ci abusent de leur position dominante, afin d’assurer une concurrence loyale et une efficacité industrielle.
Selon la DGCCRF, « l’abus de position dominante consiste, pour une entreprise présente sur un marché, ou un groupe d’entreprises, à adopter un comportement visant à éliminer, à contraindre ou encore à dissuader tout concurrent d’entrer ou de se maintenir sur ce marché ou un marché connexe, faussant ainsi la concurrence. » Cette pratique est prohibée par l’article L. 420-2 du Code de commerce.
Source : DGCCRF
Mardi 15 décembre 2020, la Commission européenne a présenté deux projets de règlements visant à réguler les GAFAM. Le « Digital Markets Act » (DMA) concerne la modération des contenus publiés et le « Digital Services Act » (DSA) se concentre sur la concurrence.
Ce n’est pourtant pas la première fois que l’Union Européenne légifère ou condamne les activités des GAFAM. En 2018, par exemple, Google avait écopé d’une amende de 4,34 milliards d’euros pour avoir abusé de sa position dominante sur son système d’exploitation Android.
Sources : France Culture, France Info, Courrier International
🕵 Le débat des experts 🕵
Généralement, lorsqu’il s’agit de justifier le démantèlement des GAFAM, on évoque des raisons telles que leur puissance financière exceptionnelle ; l’équilibre concurrentiel et l’abus de position dominante ; les montages d’optimisation fiscale utilisés à outrance… Certes, ces raisons sont à prendre au sérieux, mais elles ne suffisent pas, à elles seules, à justifier un démantèlement, et pourraient très bien faire l’objet d’une réponse technique et ciblée. Car ne l’oublions pas, si le fait de démanteler relève d’une action particulièrement violente pour une économie de marché, il s’agit aussi d’un processus très long et difficile à mettre en œuvre.
En fait, la question du démantèlement devrait avant tout se poser à travers le projet sociétal que les GAFAM imposent. La grande originalité des big techs n’est ni leur puissance financière, ni leur puissance technologique ou politique, mais l’attraction qu’elles exercent dans nos esprits. Depuis le début des années 2000, face à un monde de plus en plus perplexe et fragmenté, marqué par le vieillissement démographique, le ralentissement des gains de productivité et l’explosion des inégalités, ces entreprises ont su incarner l’espoir. A l’instar de prophètes technologiques, leurs dirigeants déclarent détenir les clés contre les maux de l’humanité, et ont pris l’habitude d’annonces chocs : conquérir la planète Mars ; enrayer les accidents de la route ; accroître le potentiel humain ou rendre la vie éternelle.
Ironie du sort, alors même que le monde traverse la plus grave épidémie depuis un siècle, aucun des géants de la tech n’a répondu présent.
Bien sûr, les big techs sont des entreprises d’exception ; et leurs fondateurs, des visionnaires hors-pairs ! Ils ont d’ailleurs parfaitement su supplanter nos gouvernements, incapables de concevoir la stratégie numérique du monde à venir. Mais la capacité à innover est-elle une raison suffisante pour laisser des sociétés privées dicter leur propre modèle sociétal ?
Cette question est déterminante car elle revient à définir qui fixera les règles de l’intelligence artificielle, de la transformation génétique, ou celles de l’exploitation et du croisement des données personnelles. Il est absolument nécessaire pour la réflexion collective, la société des hommes, et donc la démocratie, de reprendre la main sur les big techs. C’est justement lorsqu’un Etat se sent menacé que la tentation du démantèlement réapparaît. Mais cela ne suffit pas. Si l’on souhaite préserver nos libertés, il faudra assurément accompagner une telle réponse par des projets alternatifs, tangibles et efficaces, à construire sur le long terme, et répondant aux exigences de nos sociétés démocratiques.
Pourquoi démanteler les GAFAM est une fausse bonne idée
En réalité, une méta-plateforme, même scindée en de multiples entités, poursuivrait le développement de sa puissance. Démanteler ce type de structure ne ferait qu’accroître les difficultés du régulateur à contrôler une multitude d’acteurs, comprendre leurs algorithmes, leurs modèles d’affaires détaillés, etc. Démanteler les BigTech ne résoudrait pas le problème mais, paradoxalement, le démultiplierait. Prenons un exemple simple : Facebook divisée en dix entités donnerait naissance à dix plateformes qui capteraient 270 millions d’utilisateurs uniques chacune, avec des modèles économiques et algorithmiques identiques.
Allons un cran plus loin : en quoi démanteler ces structures dominantes réglerait notre véritable problème : le retard technologique accumulé, l’absence de politique industrielle numérique sérieuse ? Quelles alternatives souveraines locales sommes-nous actuellement en mesure de proposer qui présentent des expériences d’usage équivalentes ? Malgré toutes les critiques – légitimes – à leur encontre, les GAFAM continuent de prospérer : à titre d’exemple, Amazon, décriée pour ses pratiques déloyales, son dumping fiscal et social, va afficher un chiffre d’affaires record en 2020.
Comprendre le nouveau paradigme de l’économie numérique
Pour cela, il est nécessaire de comprendre comment la Data Economy fonctionne. La puissance du business model de plateforme est par nature globale et monopolistique. Cela s’explique par les effets de réseau (le fait qu’un utilisateur est d’autant plus satisfait d’utiliser un service donné que le nombre d’utilisateurs présents dans cet écosystème virtuel est important) et les rendements d’échelle croissants (l’économie numérique est une industrie de coûts fixes « scalable », un utilisateur supplémentaire sur une application numérique permet donc de mieux l’amortir, sans générer de coût marginal). La capacité à capter les usages (donc les données des utilisateurs) à échelle planétaire, à absorber à peu de frais les startups très innovantes qui gravitent dans leurs écosystèmes immédiats (« hyperscale ») permet de construire des complémentarités de réseaux qui verrouillent les utilisateurs dans des espaces applicatifs complets.
Ce modèle du « The Winner takes all » est de ce fait difficilement réplicable, les services s’améliorent grâce à une sur-concentration du marché qui induit un contrôle monopolistique sur les algorithmes et les données à échelle mondiale.
L’urgence d’un Tech New Deal
Nous ne bâtirons pas d’économie numérique solide en étant simplement « contre ». Nous serions bien inspirés d’abandonner le réflexe punitif, réactif, éruptif. Il est plus que temps de dessiner avec calme et méthode les contours d’un positionnement équilibré entre une approche régulationniste parfaitement nécessaire en termes de gouvernance de la donnée – des pistes sérieuses seront proposées dans le Digital Services Act – et une stratégie de politique industrielle numérique proactive. Un Tech New Deal qui préserve les actifs stratégiques et les fonctions régaliennes tout en encadrant les collaborations avec les méta-plateformes privées dans les domaines où elles présentent une avance technologique certaine.