📋 Le contexte 📋
En 2017 le député PS Olivier Falorni lançait une proposition de loi « relative au respect de l’animal en abattoir ». Dans celle-ci, une des principales mesures était donc d’installer des caméras dans les abattoirs, « aux postes de saignée et de mise à mort, pour deux ans et avec l’accord des représentants du personnel », rapporte les Échos.
Ainsi, les vidéos pourraient être consultées à la fois par les services vétérinaires et en interne par les employés de l’abattoir, où un ou une responsable de la protection animale devra être désigné. Selon le rapport d’enquête, cette mesure « favoriserait la prévention des actes de maltraitance, permettrait un contrôle objectif permanent et donc des sanctions plus justes et plus efficaces et, enfin, serait un outil d’aide à la formation des salariés et des responsables ».
En 2016, l’association de défense des animaux L214 diffusait des vidéos chocs filmées dans des abattoirs. Sur celles-ci, des bêtes étaient mal étourdies ou accrochées vivantes. Venant s’empiler sur un nombre déjà conséquent de vidéos de ce type, c’est en réponse à cela que la proposition de loi a été créée.
Comme l’explique Reta Hutin, présidente de la Fondation 30 millions d’amis, le fait que L214 doive utiliser des vidéos tournées clandestinement pour faire pression « prouve bien qu’on veut cacher ce qu’il se passe dans les abattoirs, que l’omerta dure depuis toujours ». Pour les partisans de cette mesure, il faudrait donc légaliser cette pratique afin de constater et reconnaître les délits.
Pourtant, cette loi n’est pas acceptée par ses opposants, car elle serait contradictoire avec le code du travail. En effet, les employés travaillant dans les lieux d’abattage seraient constamment surveillés, et c’est pour cette raison que Brigitte Gothière, directrice de l’association L214, confiait pour Libération ses réserves concernant cette mesure. La Commission nationale de l’informatique et des libertés alertait également sur les risques de « flicages ». Critiquée pour son intrusivité pour les travailleurs des abattoirs, la loi avait été partiellement adoptée par l’Assemblée nationale, puis finalement abandonnée par Emmanuel Macron.
Depuis 2019, une expérimentation de cette mesure a été lancée sur deux ans. À ce jour en France, une soixantaine d’abattoirs agréés et volontaires (sur 886) ont testé les dispositifs de caméra dans leurs locaux. Il est donc possible pour les abattoirs d’installer des caméras, tant que les enregistrements se limitent aux « images captées par les caméras », aux « dates et heures de prises d’image ». 4 ans après cette proposition de mesure, aucune loi n’oblige donc les lieux d’abattage à mettre ces dispositifs en place.
Aujourd’hui, plusieurs associations telles que l’OABA ou la CWI continuent de militer pour l’obligation de leurs installations, tandis que d’autres organismes comme la CGT agroalimentaire priorisent la mise en place de mesures alternatives.
Alors faut-il rendre obligatoire les caméras dans les abattoirs, deux experts débattent de la question !
🕵 Le débat des experts 🕵
L’installation de dispositifs vidéos en abattoir était une recommandation de la commission d’enquête parlementaire sur les conditions d’abattage (voir : http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-enq/r4038-ti.asp ) puis une mesure inscrite dans la proposition de loi Falorni adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale en janvier 2017, mais restée sans suite législative.
En effet, la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018, dite loi Alimentation, a seulement instauré une expérimentation du contrôle vidéo en abattoir, sur la base du volontariat. Même si une très faible proportion d’abattoirs a participé à cette expérimentation, le rapport du comité de suivi de l’expérimentation, en décembre 2020, est très clair : « Si les directeurs d’abattoirs reconnaissent qu’ils ont pu être prudents, voire réticents pour installer un dispositif de
contrôle vidéo, ils sont unanimement satisfaits du dispositif qu’ils trouvent utile et pratique ».
Personne ne souhaite le supprimer « Le pouvoir politique ne semble pas pressé de rendre obligatoire l’installation de caméras dans nos abattoirs ». Tout au plus, il incite les établissements à franchir le pas, en finançant une partie de cette installation au nom du « bien être animal », comme l’illustre le plan de relance de 125 millions pour moderniser les abattoirs.
Plusieurs enseignes de la grande distribution ont également exigé ces dernières années, au nom de la transparence et de l’information due aux consommateurs, que leurs abattoirs fournisseurs mettent en place un enregistrement vidéo. (voir : https://www.francetvinfo.fr/animaux/bien-etre-animal/maltraitance-dans-les-abattoirs/carrefour-va-equiper-ses-abattoirs-de-cameras-de-surveillance_3147805.html). Il ne sera donc pas forcément utile que la loi intervienne pour rendre obligatoire les caméras en abattoirs puisque de plus en plus d’établissements sont désormais équipés.
Au final, pourquoi refuser ces enregistrements vidéos ? De peur que les images ne fuitent ? Mais désormais, tout le monde sait ce qui se passe dans un abattoir. Les images tournées en caméra cachée et diffusées au grand public, ont révélé la triste vérité que la filière viande voulait cacher aux consommateurs.
Une filière qui, à chaque scandale médiatique, jure la main sur le cœur qu’elle n’a rien à cacher. Et bien qu’elle le prouve et qu’elle oblige tous ses abattoirs à s’équiper en caméras. Les images serviront bien évidemment à contrôler les pratiques, à les faire rectifier, voire à les faire sanctionner en cas d’irrégularités. Mais elles serviront aussi à former les opérateurs en abattoirs, leur montrer les bons gestes, les bonnes pratiques.
Ces caméras seront enfin un outil supplémentaire à la main des services vétérinaires de contrôles, dont les effectifs n’ont cessé de diminuer au cours de ces 15 dernières années. Ce qui explique certains scandales médiatiques et procès judiciaires car les inspecteurs vétérinaires ne peuvent pas être partout dans l’abattoir… Ils ont dès lors tendance à privilégier le contrôle sanitaire des carcasses plutôt que celui des techniques de
manipulation et d’abattage des animaux. Cette seconde tâche pourra être dévolue en grande partie aux caméras dont les enregistrements seront à la disposition des inspecteurs vétérinaires qui les visionneront de façon aléatoire ou davantage ciblée grâce à des logiciels permettant de repérer des mouvements « suspects ».
De nombreuses associations de protection animale réclament la vidéosurveillance qui, selon elles, serait de nature à permettre plus de transparence et à rassurer l’opinion publique.
Il apparaît paradoxal de parler de bien-être animal et de caméras sans parler des bonnes conditions de travail dans les abattoirs. Certains salariés soulignaient le fait que « comment un acte de mise à mort, peut devenir un acte humain acceptable de tous et par tous ? » Les conditions de travail des salariés et celles du traitement des animaux sont étroitement liées. Au-delà des cadences à respecter dans les abattoirs qui engendrent, entre autres, des troubles musculosqueletiques importants, se rajoute les conflits de valeurs, les exigences émotionnelles. Les vétérinaires soulignent que les abattoirs sont devenus des lieux d’opprobre sociale.
Dans son rapport, le député Falorni a recommandé de rendre de telles caméras obligatoires dans toutes les zones dans lesquelles des animaux vivants sont manipulés. Cette proposition a été reprise dans la loi EGALIM sous la forme d’une expérimentation. De multiples questions restent en suspens.
Pour les salariés, le fait d’être filmés occasionne une pression et un stress supplémentaires, sachant que les images seront conservées 1 mois. Dans ces conditions, leur métier, déjà dévalorisé, sera rendu encore moins attractif. Les salariés des abattoirs estiment que la protection animale à l’abattoir n’est pas une affaire de caméras. La vidéo ne supprimera pas la maltraitance parce que nous sommes simplement dans le constat, et non dans le préventif. La caméra coupe de la réalité et ne retranscrit pas les faits réels, ne prend pas en compte le contexte, les situations, l’environnement. L’écran est un mur qui ne ferait qu’exposer le salarié à une justice élitiste.
Cela peut également contrarier l’action des services vétérinaires en portant atteinte à leur légitimité et aux prérogatives du contrôle officiel qui pourrait être ainsi décrédibilisé. Pour eux, aucune caméra ne remplacera des personnes et une meilleure communication entre elles. Si les caméras se multiplient, on ne remettra pas à l’ordre du jour « l’inspection du vivant » par la présence de davantage de vétérinaires. De plus le visionnage des vidéos
représenterait une charge de travail supplémentaire pour des services en effectif insuffisant et poserait le problème de leur interprétation.
Par ailleurs, la CNIL a rappelé que « le contrôle vidéo reste une solution intrusive ». Sur le plan juridique, de nombreux points demeurent à clarifier en particulier concernant le respect du droit du travail et du droit à l’image.
Les caméras portent atteinte aux libertés fondamentales des salariés de la viande tout autant que la protection de l’animal.
L’instauration de la vidéosurveillance ne peut que prendre partiellement en compte les liens entre les problèmes réels qui peuvent survenir et les conditions de travail des salariés et des agents des services vétérinaires. Elle ne traite pas des causes de ces situations.
Enfin, la multiplication des images pour certaines d’entre elles montreront forcément quelques actes non conformes aux principes du bien-être animal, au risque de favoriser leur diffusion partisane par tous les canaux de communication non contrôlés, avec comme objectif de convaincre qu’il s’agit de pratiques fréquentes voire généralisées.