sirenum fossae, mars, picture taken by NASA
Sirenum Fossae, Mars, photo de la NASA

Faut-il envoyer l’Homme sur Mars ?

📋  Le contexte  📋

Depuis la conquête de la Lune, nombreux sont ceux que la conquête de Mars fait rêver. En témoignent le succès d’Interstellar en 2014 et l’engouement autour de l’arrivée des missions émiratie, chinoise et américaine sur Mars, en orbite pour les deux premières, et sur le sol martien pour la mission américaine, Perseverance : une première. 

Toutefois, pour des raisons techniques, sanitaires et financières, les premières missions habitées sur Mars auront réalistiquement lieu vers la fin des années 2030. 

Les missions habitées sur Mars impliquent de pouvoir rester sur place au moins 500 jours, et d’avoir les infrastructures nécessaires pour maintenir en vie des humains dans des conditions environnementales hautement inhabituelles et avec peu de ressources. Le trajet, dans la bonne fenêtre de rapprochement des planètes, dure environ 260 jours. Par ailleurs, rien n’est jamais reparti de Mars pour l’instant ! Les défis sont nombreux, et cela sans tenir compte du budget financier que cela représente (au moins 400 milliards de dollars). 

Profitant de cette fameuse fenêtre d’opportunité ou le trajet Terre-Mars est le plus court, les sondes spatiales émiratie et chinois, respectivement nommées Hope et Tianwen-1, sont arrivées en orbite martienne mi-février 2021. Le rover Perseverance de la NASA s’est posé sur Mars le 18 février, dans le cadre de la mission Mars 2020, une première. 

Après « sept minutes de terreur », à 200 millions de kilomètres de la Terre, le rover a atterri avec succès. Cette arrivée collective devrait nous permettre d’en apprendre davantage sur les conditions de vie sur Mars, et surtout s’il y a déjà eu de la vie sur la planète.

Des objectifs difficilement réalisables d’Elon Musk, qui souhaite envoyer l’Homme en tourisme spatial sur Mars d’ici la fin 2026, à l’espoir d’une « Planète B » alimenté par la réalité inquiétante du changement climatique sur Terre, en passant par l’ambition de conquête au nom de la conquête et de l’exploration, nombreuses sont les différentes justifications de l’engouement que procure la perspective de missions martiennes habitées. 

Toutefois, certains experts mettent en garde sur un rapport coût financier et humain/bénéfice peu convaincant et préconisent de garder les pieds sur Terre en défendant une utilisation plus judicieuse des ressources qu’il nous reste sur notre planète. On en débat.

 

🕵  Le débat des experts  🕵

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Le « Pour »
Franck Montmessin
Chercheur au laboratoire "Atmosphères, milieux, observations spatiales" de l'université de Versailles et du CNRS (LATMOS)
Mars : un nouveau pas pour l’humanité ?

« Parce-qu’il est là. » C’est avec ces mots que l’alpiniste anglais George Mallory répondit au New York Times en mars 1923 quand on lui demanda pourquoi il voulait gravir le Mont Everest, chose qu’il ne parvint jamais à réaliser et qui le précipita à sa perte à sa troisième tentative. C’est avec ces mêmes mots que le président Kennedy, reprenant ce même Mallory, justifia lors d’un discours mémorable prononcé à Houston en septembre 1962 l’ambition d’envoyer un homme sur la Lune avant la fin de la décennie.

Pourquoi, depuis la nuit des temps, l’homme s’est-il évertué à tenter de franchir les limites que la nature et l’univers semblaient lui imposer ? N’est-ce pas parce que ce besoin ancestral, impérieux d’explorer, d’aller plus loin que l’horizon a toujours été perçu comme un défi posé à l’Homme ? Un défi à sa curiosité, à son intelligence, à son imagination, à sa volonté et à sa capacité à réaliser ses rêves ? Quel instant plus mémorable que celui de Neil Armstrong marquant de son empreinte le sol poudreux de la Lune ? Quel instant plus inspirant pour des générations entières et qui a fait de la Nasa l’organisation la plus admirée de par le monde ? 

Mais alors que cette conquête de la Lune n’a pas survécu à une certaine lassitude médiatique, l’exceptionnel ne se produisant qu’une fois, l’Homme a tempéré au cours des décennies suivantes son désir de laisser sa propre empreinte dans de nouveaux mondes. Pourtant, il n’est guère de planète qui n’ait été visitée depuis par des sondes créées par l’Homme, et jamais l’humanité n’avait compté autant d’engins partis visiter les confins du Système solaire. 

Mais un nouveau défi, plus grand encore que celui de la Lune, plus grand que toutes les quêtes jamais accomplies, se pose toujours à lui. Et ce défi s’appelle Mars. Mais pourquoi un homme sur Mars ? Parce que Mars est, de tous les corps planétaires visitables par l’Homme, celui qui s’offre le plus facilement à lui. Parce que Mars semble nous faire cette promesse d’avoir été un monde peut-être habité et donc invitant à recevoir la visite du vivant, quand bien même ce vivant viendrait d’un autre monde. Parce que le défi que posera Mars ne sera pas qu’un défi à l’intelligence, mais un défi « aux intelligences » tant il semble évident qu’une telle aventure, à l’instar de la station spatiale internationale, ne pourra se réaliser que grâce à la participation de nombreuses puissances du spatial portées par un élan et une ambition communes, celle d’emmener l’humanité plus loin qu’elle n’a jamais été, celle d’abattre une nouvelle frontière.

Peut-on envisager entreprise plus noble, plus pacifique que celle d’unir ces volontés et ces capacités pour parvenir à une telle fin ? Oui, et cette entreprise est de faire que la Terre reste l’endroit le plus habitable pour l’Homme. Mais cette considération ne doit pas empêcher l’humanité de rêver, ni de voyager et de visiter d’autres mondes et de ramener de ses voyages la conviction que la Terre est son bien le plus précieux.

Le « Contre »
Sylvia Ekström
Astrophysicienne du département d'astronomie de l'université de Genève, membre de Astronomers for Planet Earth, co-autrice du livre "Nous ne vivrons pas sur Mars ni ailleurs" (Editions Favre)
Non, on ne devrait pas envoyer l'Homme sur Mars

Spirit, Opportunity, Phoenix, Curiosity, InSight, Perseverance, et bientôt Tianwen, exoMars et bien d’autres à venir… Chaque nouvelle sonde robotisée accroît nos connaissances sur la planète rouge. Chaque nouvelle sonde est plus efficace que les précédentes, s’appuyant sur notre expérience du sol martien et sur les progrès rapides de la technologie. Mais elles ont toutes un point commun : elles n’ont pas besoin de respirer, de boire, de manger, de se laver, d’uriner… Mars n’est pas une planète habitable. Envoyer des humains là-bas impose de construire une bulle d’habitabilité pour eux. Par rapport à la complexité d’une mission habitée, les sondes robotisées sont peu coûteuses et faciles, et leur bilan coûts/bénéfices est extrêmement positif.

Le coût de l’envoi d’une mission habitée équivaut à environ 40 missions de type Perseverance, donc plus ou moins équivalent à toutes les missions (orbiteurs ou atterrisseurs) envoyées sur Mars depuis le premier orbiteur réussi en 1971. Bien que les humains soient censés être plus efficaces sur le terrain que les robots (pour l’instant), il est clair que les connaissances acquises par 40 missions robotisées dépassent de loin le résultat d’une mission habitée.

Les risques d’une mission vers Mars sont énormes. Nos corps ont évolué avec la gravité et la pression de la Terre pendant des millions d’années. Emmenés dans l’espace ou sur une autre planète, ils sont faibles et fragiles. La microgravité durant le voyage fait des ravages sur les os (décalcification), les muscles (perte de masse musculaire), le système vasculaire (affaiblissement du cœur, excès de fluides dans le haut du corps, risques élevés de thrombose), et il n’est pas encore clair si la faible gravité de Mars est suffisante pour améliorer la situation ou non. 

De plus, la Terre offre une double protection contre les radiations spatiales : l’atmosphère agit comme un mur de béton de 30 m, nous protégeant des rayons UV, X et gamma du Soleil ; la magnétosphère piège et dévie les particules du vent solaire et les rayons cosmiques galactiques. En une mission de deux ans et demi, les martionautes recevraient la dose maximale de rayonnement tolérée au cours d’une carrière complète d’astronaute. De nombreux défis techniques ne sont pas encore relevés, les plus élémentaires étant de savoir comment faire atterrir une lourde fusée et comment la relancer pour les ramener.

Enfin et surtout, pour chaque humain envoyé là-bas, nous enverrons des milliards de bactéries. Les sondes robotisées sont hautement stérilisées avant le lancement, mais pas les humains, et mettre le pied sur Mars signifie la contaminer, avec le risque d’effacer les réponses à la seule question qui compte vraiment : la vie a-t-elle une fois émergé sur Mars ?

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