Faut-il financer les programmes européens grâce aux marchés financiers?

Cette publication a été produite avec le soutien financier de l’Union européenne. Son contenu relève de la seule responsabilité du journal Le Drenche et ne reflète pas nécessairement les opinions de l’Union européenne.

📋  Le contexte  📋

NextGenerationEU est le plan de relance pour sortir de la crise de la Covid. Doté de 806 milliards d’euros, il a pour ambition de relancer l’économie européenne, financer la transition écologique, accélérer la numérisation du continent et assurer une plus grande résilience économique. 

Une partie des montants (338 milliards d’euros) sera distribuée sous forme de subventions aux Etats qu’ils n’auront pas à rembourser, tandis que 385,8 milliards seront utilisés sous forme de prêts aux Etats, qu’ils devront cette fois rembourser. L’Espagne et l’Italie sont les deux pays qui bénéficieront des plus grands montants. Le plan de relance a donc aussi vocation à résorber les déséquilibres entre les différentes régions européennes.

NextGenEU apporte ensuite une grande nouveauté : la structuration d’une dette commune européenne. Cette dette commune est soutenue et garantie par les Etats membres pour être émise sur les marchés financiers pour financer le plan de relance. Ainsi, même si l’UE se finance sur les marchés de capitaux depuis plus de 40 ans, les montants étaient jusqu’ici bien inférieurs à ceux prévus pour financer NextGenEU. De plus, c’était alors aux États membres de déterminer le volume, l’échéance et le calendrier des opérations de financement, et pas à la Commission. 

La Commission européenne (au nom de l’UE) émet donc de la dette sous forme d’obligations à long terme sur les marchés de capitaux pour financer le plan de relance. Les emprunts sont effectués de mi-2021 à 2026 pour un montant moyen de 150 milliards d’euros par an. Tous les emprunts seront remboursés d’ici 2058. 

Pour émettre ces obligations, l’UE a pour la première fois créé une dette commune européenne, ce qui a été un signal important sur les marchés financiers puisque cela montre une forte solidarité européenne et génère de la confiance dans la résilience de la zone euro. De plus, la note de crédit élevée de l’Union lui permet d’emprunter à des conditions avantageuses. Grâce à cette facilité d’emprunt, elle pourra octroyer des prêts aux Etats, ou encore participer au budget de l’UE sous forme de paiements aux taux d’intérêts bas sur les emprunts destinés à financer les dépenses consacrées à la relance. 

C’est le budget de l’UE (financé par des ressources propres et des contributions de tous les États membres) qui garantit l’emprunt. Les remboursements des emprunts commenceront en 2028 et s’étendront jusqu’en 2058. Les prêts seront remboursés par les États membres emprunteurs. Les subventions seront remboursées par le budget de l’UE. 

Ces emprunts sur les marchés de capitaux devront à terme être remboursés, avec des intérêts supplémentaires liés aux obligations. La dette européenne est principalement rachetée par des banques, des Etats et des fonds d’investissement. Pour certains économistes, au lieu de miser sur une dette commune, il faudrait plutôt se concentrer sur les ressources propres de l’UE.  Elle dispose de plusieurs types de ressources propres. Puisqu’elle ne prélève pas d’impôt à l’échelle européenne, ce sont les Etats membres qui contribuent à ces ressources. Parmi elles, on retrouve les ressources “traditionnelles” (droits de douane, les prélèvements agricoles…), la “ressource TVA” et la “ressource RNB” (prélèvement d’un certain pourcentage sur le revenu national brut). 

Or, pour augmenter ses ressources propres et à terme rembourser la dette, il est question d’une fiscalité commune dans certains secteurs spécifiques (taxe sur les plastiques à usage unique, ou une taxe carbone aux frontières extérieures de l’UE). Ces nouvelles ressources serviraient donc à rembourser le plan de relance européen et de diversifier les recettes pour rendre l’action européenne moins dépendante des contributions des Etats. Finalement, NextGenEU et son financement sur les marchés de capitaux pose aussi la question d’une plus grande intégration européenne.

 

🕵  Le débat des experts  🕵

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Pour ou contre la mise en place d'une dette commune européenne?
Le « Pour »
Rebecca Christie
Membre non résidente du Think Tank d’affaires économiques Bruegel
La dette publique de l’UE est un bien public de l’UE

La pandémie de Covid-19 a apporté son lot de défis à l’Union européenne mais aussi un cadeau inattendu : une procédure accélérée d’emprunt commun. Grâce au programme européen NextGenerationEU, doté de 750 milliards d’euros, et à son volet de financement public, l’Europe a trouvé à la fois les fonds et la volonté politique pour soutenir son économie durant la pandémie. Le choc collectif incontestable – et l’absence correspondante de tout aléa moral perçu – ont permis aux États membres conservateurs comme l’Allemagne et la Finlande de surmonter leur réticence historique à fusionner davantage leurs finances avec celles de leurs voisins. Le résultat a été une infrastructure financière solide qui, si gérée avec sagesse, peut placer l’UE et l’euro sur une trajectoire solide pour les décennies à venir.

Une dette publique bien structurée renforce une économie développée et sa monnaie

Le risque a dominé les discussions sur la question de savoir si l’Union européenne devait emprunter collectivement et pour quels montants. En comparaison, c’est comme si on ne parlait que des risques d’incendie lorsqu’il s’agit de débattre sur l’électricité. Même si les lignes électriques peuvent être dangereuses, elles permettent également d’allumer les lumières et de chauffer les maisons. De la même manière, une dette publique bien structurée renforce une économie développée et sa monnaie. En mettant en place NextGenEU, l’UE a rejoint les rangs des États-Unis, du Royaume-Uni et du Japon, États capables d’emprunter de l’argent de manière sécurisée, fiable et efficace. La création d’un canal permanent permettant d’investir en toute confiance dans l’euro porterait notre union monétaire relativement récente à un niveau encore plus élevé.

La Commission européenne dispose des ressources nécessaires pour agir

Pour être performante, la dette publique doit être bien gérée. L’économie sous-jacente doit être forte et solide afin de renforcer la confiance des investisseurs. Les gestionnaires financiers des gouvernements doivent travailler avec les banques, les compagnies d’assurance et les sociétés d’investissement qui achètent les titres pour s’assurer que le système fonctionne de manière fiable et par toutes les circonstances financières. Le programme NextGenEU a montré que la Commission européenne dispose des ressources nécessaires pour agir. En 2021, l’Union a considérablement augmenté ses emprunts publics tout en obtenant des plus grandes agences de notation la note maximale de AAA.

La zone euro dispose depuis longtemps d’une banque centrale forte

Si le dollar américain domine le monde, c’est parce qu’il est soutenu par une banque centrale forte, un système bancaire stable et bien réglementé, et la sécurité fournie par un écosystème qui favorise l’échange des bons du Trésor américains. Or, la zone euro dispose depuis longtemps d’une banque centrale forte. Pendant la crise financière mondiale, elle a créé un organisme commun de réglementation bancaire fort et crédible. Pour progresser davantage, elle doit achever son projet d’union bancaire et de franchir le cap pour la création d’un actif sûr durable sous la forme de dette publique. L’Europe et les Etats-Unis sont des partenaires économiques et des leaders mondiaux. Il est temps pour eux d’également devenir des homologues sur les marchés financiers.

Le « Contre »
Cinzia Alcidi
Directrice de recherche, Centre for European Policy Studies (CEPS)
L’Union européenne n’est pas (encore) souveraine et les marchés financiers le savent bien

L’émission d’une dette européenne commune était un tabou jusqu’en 2020. Dès sa création, le budget de l’Union Européenne a été pensé pour être modeste (environ 1% du PIB) et équilibré. Les dépenses européennes sont régies par des plans de dépenses à long terme qui correspondent toujours aux ressources disponibles. La pandémie a brisé ce tabou. Afin de reconstruire une Europe post-Covid, en plus du budget européen habituel, la Commission a proposé le plan de relance Next Generation EU (NGEU), doté de 750 milliards d’euros. Pour le financer, l’Union devrait lever jusqu’à 800 milliards d’euros d’ici fin 2026. La première émission d’obligations NGEU a été un succès avec un très gros carnet d’ordre. Puisque cette première opération a été si facile, les marchés financiers devraient-ils devenir une source récurrente de revenus pour financer les dépenses européennes?  Il est tentant de répondre par l’affirmative, mais la question est plus complexe que cela. 

On ne sait pas encore quelles ressources seront mobilisées pour rembourser la dette

L’idée d’une dette européenne suppose implicitement que l’UE a besoin d’un budget plus important. Ce n’est pas seulement à cause de la pandémie ; des fonds supplémentaires devraient en permanence être disponibles. Il s’agit peut-être d’un point sensible, mais il convient de définir l’objectif et la portée d’interventions plus étendues de l’UE et d’attribuer les pouvoirs de décision en conséquence. En l’absence d’un État fédéral ou d’une union politique, l’Union n’aurait pas beaucoup de crédibilité auprès des marchés financiers. Or, aucune de ces options ne semble être en vue.

Financer les dépenses par la dette n’est pas une alternative à l’augmentation des ressources propres de l’UE. Les marchés financiers se sont montrés très bienveillants lors des premières émissions d’obligations de l’UE. Cependant, la demande très supérieure à l’offre et les taux d’intérêts très bas ne devraient pas être considérés comme acquis. Tandis que la dette actuelle est conjointement garantie par les Etats-membres, le débat sur les ressources propres stagne. Aucune des options actuelles pour augmenter les ressources propres de l’UE ne semble être politiquement réalisable. Par conséquent, on ne sait pas encore quelles ressources seront mobilisées pour rembourser la dette et les intérêts le moment venu. La bonne nouvelle, c’est qu’il y a beaucoup de temps d’ici là.

Une dette commune européenne n’est pas impossible mais reste complexe

L’environnement macroéconomique s’est considérablement dégradé depuis 2021. La crise de la Covid-19 et la guerre en Ukraine ont grandement augmenté l’incertitude et l’inflation a atteint son plus haut niveau depuis 40 ans. Les taux d’intérêt augmentent et les conditions générales du marché ne seront probablement pas aussi favorables qu’il y a un an. Des garanties plus importantes pourraient être requises pour emprunter les mêmes montants, et pour le moment, elles ne sont pas facilement disponibles. Elles dépendent de la volonté d’agir des États membres ayant des finances publiques saines.

Une dette commune européenne n’est pas impossible mais c’est une affaire compliquée. Il convient de régler les problèmes plus généraux liés à la conception et au fonctionnement de l’UE avant de supposer que l’UE puisse se tourner vers les marchés financiers de manière systématique, au même titre qu’un État souverain.

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