Faut-il instaurer un congé menstruel en France ?

📋  Le contexte  📋

Le congé menstruel permet aux personnes menstruées de poser des jours de congés en cas de dysménorrhée, donc de règles douloureuses. Le premier pays à l’instaurer est le Japon en 1947, et plusieurs Etats comme la Corée du Sud, l’Indonésie, les Philippines, la Zambie et Taiwan lui ont emboîté le pas. Les jours accordés varient, la Corée du Sud autorise par exemple les personnes menstruées à prendre un jour par mois quand Taiwan accorde 3 jours par an. Mais ce congé menstruel reste très peu sollicité par ses bénéficiaires. En Europe, l’Italie avait fait une proposition en ce sens en 2017 avant que le Parlement vote contre et enterre le projet. En France, aucune loi ne le garantit mais des entreprises comme La Collective à Montpellier ou Louis Design à Toulouse, l’ont récemment proposé à leurs employés. 

Le Conseil des ministres espagnol vient de valider l’avant-projet de la loi instaurant un congé menstruel. Ce texte, proposé par la ministre des Égalités Irene Moreno, autorise les personnes menstruées à prendre ce congé sans limite de temps. Pour cela, il faudra un certificat médical afin que cet arrêt maladie temporaire soit pris en charge par l’Etat à 100 %. Si le Parlement espagnol approuve cette loi, l’Espagne deviendra le premier pays d’Europe à l’instaurer. Pour la cheffe de fil du parti de gauche radical Podemos, ce droit à la santé menstruelle permettra enfin d’aller au travail sans se gaver de comprimés en cachant sa douleur. Ce projet compte également le renforcement du droit à l’IVG en facilitant son accès dans les hôpitaux publics et en autorisant les mineurs à avorter sans autorisation parentale à partir de 16 ans. 

D’après un sondage IFOP de 2021, 68 % des personnes interrogées sont favorables à l’instauration d’un congé menstruel en France. Pourtant ce type de congé fait débat. Pour ses défenseurs, cette avancée en santé menstruelle lèverait le tabou qui règne autour des règles et lutterait contre la précarité menstruelle. Celles et ceux qui souffrent d’endométriose ou de règles invalidantes éviteraient ainsi de perdre un jour de congé ou d’endurer en silence toute une journée. Selon le baromètre d’Opin My Way et Règles élémentaires, 30 % des personnes interrogées ont manqué le travail à cause de leurs menstruations. Ses détracteurs en revanche parlent d’une mesure contre-productive, stigmatisant le travail des femmes et renforçant les discriminations à l’embauche. Le congé menstruel soulève également des questions d’intimité pouvant être dérangeantes, comme le fait de devoir parler de ses douleurs ou de la durée de son cycle à son employeur . 

🕵  Le débat des experts  🕵

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Le « Pour »
Rita Sekkat
Présidente et Fondatrice de l’ONG internationale HAPPIH
Le congés menstruel : la fin du tabou des règles ?

Lorsque le droit cesse d’avancer, il recule, c’est ce à quoi nous assistons aujourd’hui aux Etats-Unis avec la révocation par la cour suprême du droit à l’avortement, vendredi 24 juin. Cela nous rappelle que les avancées sociales liées au droit des femmes ne sont jamais acquises et qu’il faut toujours les protéger en poursuivant le travail et en brisant les tabous qui peuvent constituer un frein à cela !

Selon une étude de l’IFOP menée en 2021, près d’une femme sur deux souffre de règles douloureuses. Selon cette même étude, le cycle menstruel semble aussi avoir des effets sur l’état psychologique des femmes puisqu’une nette majorité d’entre elles (81%) déclarent connaître des désagréments comme la fatigue (80%), le sentiment d’être plus irritable (71%) ou encore d’être plus mal à l’aise avec leur corps (59%).

Les règles peuvent donc constituer un véritable handicap pour certaines femmes impactant leur productivité au travail et obligeant certaines d’entre elles à s’absenter sans pouvoir réellement le justifier. Selon une étude menée en 2019 par l’université Radboud auprès de 32 748 femmes vivant aux Pays-Bas, cela représente 9 jours de perte de productivité par an. Cela est d’autant plus handicapant pour les femmes qui ne peuvent pas faire de télétravail et qui ont des métiers physiques comme les caissières, les serveuses ou les aides à domicile. Les règles douloureuses peuvent ainsi plus largement imapcter la carrière de la femme et perpetuer les inégalités entre les femmes et les hommes.

Aujourd’hui, le tabou autour des règles est en train de progressivement disparaître, les langues se libèrent et le congés menstruel apparaît comme une véritable solution pour les femmes qui souffrent de règles douloureuses. Cela leur permettrait de pouvoir bénéficier d’un certain nombre de jours de congés payés par an, en plus des congés payés ou des congés maladie.

Le congé menstruel permettrait aux femmes qui souffrent de règles douloureuses notamment celles atteintes d’endométriose de pouvoir se reposer sans avoir à en justifier. Adopter le congé menstruel permettrait de briser définitivement le tabou autour des règles dans l’univers professionnel et enverrait comme signal aux femmes que leur douleur est reconnue et respectée et qu’elles ne doivent plus s’en cacher !

Alors si certains détracteurs affirment que cela serait peu utiliser ou que cela serait un moyen supplémentaire de discriminer les femmes à l’embauche ou de ralentir leur carrière je pense qu’au contraire ce sont autant d’arguments qui desservent la cause des femmes, il ne faut pas choisir entre avoir mal ou être pénalisé dans sa carrière, non il ne faut pas non plus « faire avec » car non « ce ‘n’est pas la vie ».

Le congé menstruel doit s’inscrire dans une stratégie globale de  normalisation des règles en entreprise et plus largement dans la société mais également dans une lutte générale contre les discriminations au travail !

 

 

Le « Contre »
Gaëlle Baldassari
fondatrice du Mouvement Kiffe ton Cycle !
Je suis contre le congé menstruel

La plupart des gens pensent que, puisque je travaille sur le sujet du cycle, je suis pour ce congé menstruel. Mais cela soulève des questions et des problèmes qui me dérangent beaucoup. Tout d’abord, les conditions du congé menstruel sont très floues. Nous avons vu qu’il concerne les femmes qui en ressentent le besoin. Mais qu’est-ce qui fait que j’en ressens le besoin ? Comment je sais si moi je le prends ? Ces contours un peu flous me dérangent. 

J’aimerais attirer votre attention sur un premier problème, très important à mon sens : savoir faire la différence entre un cycle menstruel physiologique et un cycle menstruel pathologique. Un cycle menstruel physiologique est un cycle dans lequel nous nous sentons bien. Nous pouvons bien sûr ressentir de la fatigue ou de l’inconfort à certaines périodes du cycle, mais de là à devoir rester au lit et ne pas pouvoir travailler, non. En revanche, un cycle menstruel pathologique est un cycle qui n’est pas en bonne santé. Dans ce cas, il se passe effectivement des choses de l’ordre d’une maladie, d’une pathologie. Le congé menstruel est-il vraiment la réponse à un cycle menstruel pathologique ? 

Le problème ici est de considérer que la pathologie doit être gérée par l’entreprise, puisque c’est à elle de donner les congés. Pourtant, en France nous avons la sécurité sociale. Alors, si l’on confie le congé menstruel aux entreprises et non à la sécurité sociale, nous ne reconnaissons pas la pathologie que les personnes menstruées vivent chaque mois. De plus, en France, lorsque nous souffrons d’une pathologie longue durée, qui revient de manière chronique (c’est exactement le cas d’un cycle pathologique), nous avons la possibilité d’être soutenues à 100 % par la sécurité sociale. 

Si nous acceptons de demander aux entreprises d’accorder des jours de congé liés au cycle menstruel, à la convenance des personnes menstruées, alors nous exonérons la sécurité sociale (et à travers elle notre système de soutien collectif) de toute responsabilité. Et ça, ce n’est pas normal. Dès lors que nous ne sommes pas dans un cycle menstruel pathologique, nous n’avons aucune raison de ne pas aller au travail. 

Regardons du côté de l’employeur : un mois de travail représente environ 20 jours travaillés en moyenne. Si l’on donne 2 jours de congés supplémentaires par mois, comme ça, à toutes les personnes menstruées, cela représente 10 % de travail en moins (2 jours de congé sur 20 jours de travail). Alors, pourquoi ne pas donner 10 % de salaire en moins ?

Cela soulève donc un troisième problème. Si l’on introduit un congé menstruel potentiellement discriminatoire supplémentaire, cette discrimination potentielle devient alors légitimée par la loi. C’est le risque de voir des salaires encore plus bas pour les femmes et de justifier encore plus facilement ces différences de salaires.

Et puis, pour être entièrement honnête, que penses-tu qu’il puisse se passer dans l’imaginaire collectif ? « Le premier mercredi du mois, jour des soldes, toutes les nanas vont prendre leur congé menstruel pour aller faire du shopping. » J’exagère bien sûr, mais l’idée est là. Cela risque de soulever beaucoup plus de suspicions que d’apporter de l’aide aux personnes qui en ont besoin.

  • Tribune issue de sa lettre publiée sur son site Kiffetoncycle
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