des passeports européens
© European Committee of the Regions

[Histoire] Faut-il ratifier le traité de Lisbonne ?

Cet été 2020, Le Drenche a consacré une série-débat sur les traités qui ont marqué l’Histoire ! L’occasion de revenir sur des sujets historiques qui ont fait l’objet de nombreux débats à l’époque.

Avertissement !

Ce débat, surtout formulé comme ceci, peut sembler trompeur. Il place sur le même plan deux opinions dont l’Histoire a montré qu’elles n’étaient pas forcément sur le même plan. Néanmoins, à l’époque, elles l’étaient. Nous ressuscitons ces débats historiques dans leur contexte pour montrer que les débats d’hier ont contribué à façonner le monde que nous connaissons, et par extension que les débats d’aujourd’hui contribuent à façonner le monde de demain. Et, qui sait ? Peut-être que dans quelques générations, certains de nos débats actuels ne mériteront plus le pied d’égalité dont ils ont bénéficié aujourd’hui ?

 

📋  Le contexte  📋

Suite à l’effondrement du bloc de l’Est dans les années 90, le rideau de fer s’ouvre et de nombreux pays, anciens satellites ou parties intégrantes de l’URSS, retrouvent une grande liberté dans le choix de leur politique étrangère. Ils veulent s’ancrer à l’Ouest et l’Union Européenne veut définitivement les arracher à la sphère d’influence russe. 10 nouveaux États rejoignent l’Union en 2004, suivis de la Bulgarie et de la Roumanie en 2007.

En 2004, suite à l’élargissement de l’Union, une réforme des processus de gouvernance devient nécessaire : l’ancien système de prise de décision à l’unanimité est paralysé, le nombre de votants étant passé de 15 à 25. Le traité pour l’établissement d’une constitution européenne est signé par les 25 chefs d’État en 2004 et prévoit notamment une réforme des institutions, ainsi qu’un accroissement des compétences de l’Union. Le texte est adopté par tous les pays, sauf les Pays-Bas et la France, dans lesquels le camp du non obtient une victoire au référendum.

Le Traité de Lisbonne reprend les principales dispositions de la Constitution européenne et est adopté par voie parlementaire, avant d’être ratifié en 2009. Ses détracteurs dénoncent une trahison de la souveraineté populaire et un déni de démocratie, tandis que ses partisans y voient une avancée majeure et nécessaire qui débloque le fonctionnement de l’Union. Il s’agit à ce jour d’un des traités européens les plus controversés, tant sur son contenu que sur son mode d’adoption.

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Le « Pour »
Nicolas Sarkozy
Président de la France
C’était vital, pour l’avenir de l’Europe, et pour sa capacité d’agir.

« Le parlement vient de voter la loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne. Ce traité simplifié, c’est la France qui a pris l’initiative de le proposer pour sortir l’Europe de la crise institutionnelle dans laquelle elle se trouvait plongée.

Pendant la campagne présidentielle, je m’étais engagé à tout faire, pour convaincre nos partenaires de tourner la page de la constitution européenne, qui ne pouvait plus entrer en vigueur, alors que deux pays, la France et les Pays-Bas, l’avaient rejeté par référendum, et qu’il n’était pas question de se déjuger.

Dès lors que le projet de constitution européenne se trouvait écartée, on ne pouvait en rester là. Il fallait débloquer un système de décision qui ne correspondait plus aux exigences d’une Europe à 27, et qui la paralysait, et il fallait, en même temps, faire en sorte que soient respectés le choix des peuples qui avaient accepté de ratifier la Constitution, comme de ceux qui l’avaient refusé. Un traité simplifié, ne conservant que les dispositions institutionnelles, qui avaient paru recueillir un consensus assez large pendant la campagne du référendum, était une solution qui permettait de dépasser les oppositions entre partisans et adversaires de la constitution.

Il s’agissait d’abord d’être efficace, en instituant les règles qui donneraient aux peuples européens les moyens de décider ensemble. C’était vital, pour l’avenir de l’Europe, et pour sa capacité d’agir. Pour convaincre tous nos partenaires, d’accepter ce nouveau traité simplifié que nous leur proposons, il fallait qu’en cas d’accord, nous nous engageons à le faire approuver par voie parlementaire. Si cette condition n’avait pas été remplie, aucun accord n’aurait été possible. J’ai dit pendant la campagne présidentielle, que c’est ce que je ferais si j’étais élu. Cela faisait partie, mes chers concitoyens, du mandat que vous m’avez confié en m’élisant président de la république. Cet engagement que j’avais pris solennellement devant vous, je l’ai tenu.

Grâce à l’initiative française, et grâce à l’Allemagne, qui présidait alors l’union, et à la chancelière angela Merkel, à laquelle je veux rendre hommage, l’Europe dispose maintenant du cadre qui lui est nécessaire pour se remettre en marche. Désormais il y aura plus de démocratie, plus de responsabilités dans le fonctionnement de l’Europe. Les décisions seront mieux contrôlées par les parlements nationaux, et elles seront davantage prises à la majorité qualifiée qu’à l’unanimité.

Par ce succès, car c’est un succès, la France est de retour en Europe. Elle y a retrouvé son influence, sa capacité à faire valoir son point de vue, ses valeurs, et le rôle moteur qui avait toujours été le sien. […]

Maintenant que l’Europe peut décider, le problème est de savoir ce qu’elle veut. Ce ne sont pas les « non » français et néerlandais qui ont le malaise de l’Europe, mais bien le contraire. Les peuples ont perdu leur foi dans l’Europe quand ils se sont mis à éprouver le sentiment que l’Europe n’agissait plus. Qu’elle ne les protégeait plus. Qu’elle rendait leur vie plus dure au lieu de la rendre plus facile. On en était arrivé au point où l’Europe n’exprimait plus une volonté collective, où il n’y avait plus en son sein aucun des débats qui font la vie d’une grande démocratie, où nos entreprises n’étaient pas assez défendues face aux concurrences déloyales, alors que partout ailleurs elles étaient protégées. En affirmant que la concurrence n’est pas une fin en soi, mais un moyen, et en donnant à l’Union un objectif de protéger ses citoyens, le traité simplifié marque une inflexion par rapport aux dérives qui s’étaient manifestées dans un passé récent.

Maintenant, l’enjeu est de remettre de la politique en Europe, de ne plus abandonner l’Europe au seul jeu des règles automatiques, qui ne laissent aucune place à la décision et à la responsabilité politique. Il faut pouvoir parler de tout, comme dans n’importe quelle démocratie, de la monnaie, qui n’est pas un sujet tabou, de la politique commerciale, de la politique industrielle, de la réciprocité en matière de concurrence, et des dérives du capitalisme financier.

Face aux grandes puissances qui émergent dans le monde, face aux risques de toute nature qui menacent la paix la stabilité et même l’avenir de la planète, l’Europe doit agir, c’est ma conviction, comme une grande puissance, faisant valoir son point de vue et défendant ses intérêts, comme le font toutes les autres grandes puissances dans le monde. Je souhaite que la présidence française soit l’occasion d’avancer dans cette voie. C’est dans cet esprit que je proposerai à nos partenaires comme priorité de travailler sur une stratégie de développement durable, une politique commune de l’immigration, une défense européenne, et une refondation de la politique agricole. Sur tous ces sujets, nous devons agir ensemble. Sur tous ces sujets, nous avons besoin de politiques communes, qui expriment réellement une volonté collective. Je veux mettre toute mon énergie pour y parvenir. Je veux que la France donne l’exemple. Je veux qu’elle soit de nouveau en Europe une force, une force de proposition, une force d’entraînement.

Mes chers compatriotes, l’avenir de la France et le destin de l’Europe sont liés. Désunis, les peuples d’Europe ne pourraient pas relever les défis du XXIe siècle. Unis, ils représentent une formidable puissance politique, économique, culturelle, morale, qui aura son mot à dire dans les affaires du monde. C’est pour cela que l’Europe est si importante. Dans le respect des opinions et des sensibilités de chacun, je forme le vœu que dépassant les clivages partisans, et les oppositions du passé, nous soyons tous rassemblés pour que l’Europe se fasse, qu’elle se fasse sur des critères, des valeurs, des objectifs dans lesquels, nous nous reconnaissons tous. Français, nous pouvons être fier de ce que nous venons d’accomplir. Rassemblé, ce que nous accomplirons demain sera plus grand encore. Vive l’Europe, et vive la France. »

Le « Contre »
Nicolas Dupont-Aignan
Député français
Quel sentiment d’humiliation, d’injustice et de désarroi allez-vous faire naître dans les cœurs et les esprits ?

« Vous nous dites que l’Europe est dans l’impasse. Mais de quelle Europe parlez-vous ? De celle porteuse de paix et de progrès ? De celle de la coopération, qui a fait ses preuves ? Ou de celle des oligarchies hors sol qui, dans un second temps, ont dénaturé le beau projet européen ? La bonne Europe qui marche, ou la mauvaise, qui a été kidnappée par les bureaucrates de Bruxelles, les banquiers de Francfort ou les juges de Luxembourg ? Celle qui est dans l’impasse, oui, car elle est contestée par les Européens eux-mêmes, c’est justement celle de la supranationalité artificielle. Ne confondez pas l’idée européenne, toujours aimée des peuples, et ce que les oligarchies en ont fait et qui, vous l’avez sans doute remarqué, est de plus en plus détesté de ces mêmes peuples. En volant au secours de ces oligarchies, loin de sauver l’Europe comme vous le croyez, vous allez accroître ses contradictions et favoriser son rejet par les opinions. Et cela d’autant plus vite que vous vous passez de la légitimité populaire pour imposer votre projet.

À court d’arguments, vous nous dites que le peuple n’est pas capable de trancher cette question.

À défaut de pouvoir le convaincre, vous le privez d’un référendum. […]

Cessons donc de nous raconter des histoires ! Je sais, et vous savez que si le référendum est escamoté, c’est parce que les partisans du traité de Lisbonne n’ignorent pas que le peuple français n’a aucune intention de se déjuger, deux ans et demi après le 29 mai.

Nicolas Sarkozy l’a reconnu lui-même, cet automne, devant les présidents de groupe du Parlement européen. Je le cite : « Le rejet du traité se produirait dans tous les États-membres si un référendum y était organisé. » […]

 

Il poursuivait ainsi : « Bien sûr, l’Europe doit être au service des peuples, chacun peut le comprendre. Mais l’Europe ne peut se construire sans les peuples, parce que l’Europe, c’est le partage consenti d’une souveraineté, et la souveraineté, c’est le peuple. À chaque grande étape de l’intégration européenne, il faut donc solliciter l’avis du peuple. Sinon, nous nous couperons du peuple. Si nous croyons au projet européen, comme j’y crois, alors, nous ne devons pas craindre la confrontation populaire. Si nous n’expliquons pas, si nous ne convainquons pas, comment s’étonner du fossé qui risque de s’amplifier chaque jour davantage entre la communauté européenne et la communauté nationale ? »

[…] Plus tard, nos petits-enfants nous diront : « Fallait-il que la démocratie française soit bien malade, les élites bien loin de leur peuple, pour le trahir ainsi, en votant un texte qu’il avait très largement rejeté ? » Et quel texte ! Sans doute l’un des plus importants transferts de souveraineté jamais consenti – à l’exception de Maastricht ; une dépossession sans égale du pouvoir de nos institutions nationales ; la reconnaissance, par la déclaration 27, de la suprématie du droit européen ; la généralisation de la majorité qualifiée, l’abandon implicite et programmé de notre « logiciel » républicain, sous l’emprise de la charte des droits fondamentaux ; la perte d’indépendance de notre politique étrangère et de défense ; la fin de l’égalité des droits de vote avec notre partenaire et amie, l’Allemagne ; un Parlement national à qui l’on octroie le droit d’émettre des avis, comme sous l’Ancien Régime ; le pouvoir constituant transféré par les fameuses clauses passerelles, monument d’hypocrisie, aux vingt-sept chefs d’État, sans aucun passage devant nos parlements respectifs.

Mes chers collègues, si je vous demande aujourd’hui d’approuver cette motion d’ajournement, c’est bien pour vous laisser le temps de lire une nouvelle fois ce texte. Je devrais dire « relire », car, je n’en ai pas le moindre doute, vous connaissez sur le bout des doigts ces 250 pages renvoyant à 3 000 articles, chef-d’œuvre d’embrouillamini juridique !

[…]

En vérité, l’Europe que vous vous escrimez à bâtir n’est ni légitime ni efficace.

Le renforcement des pouvoirs du Parlement européen n’est qu’une farce, puisqu’il ne peut représenter un peuple européen qui n’existe pas. Il peut d’autant moins exprimer une volonté européenne que ses membres sont élus sur des logiques nationales, dans des partis nationaux et qu’ils ne parlent pas la même langue. Quel rapport y a-t-il entre le parti travailliste, le parti socialiste et le SPD, entre l’UMP et le parti conservateur britannique ? Quel est le programme commun ? Quelle est la vie politique européenne ? D’un côté, les démocraties nationales s’évanouissent, vidées de leur substance par la logique de la majorité qualifiée, de l’autre, aucune démocratie européenne n’émerge. Ce vide sidéral crée l’irresponsabilité politique, laquelle conforte les bureaucraties, les lobbies, les influences, le règne des juges et des experts. L’inefficacité de ce système obligatoire suscite la colère des peuples et rend de plus en plus illégitime la construction européenne, construction pourtant indispensable, nous le savons tous, dans le contexte de la mondialisation !

La question est aujourd’hui très simple : voulez-vous conforter cet engrenage fatal ou, au contraire, avez-vous le courage de préparer une autre Europe, celle des nations, celles des projets, une Europe avec des objectifs de progrès social, la seule qui puisse fonctionner, être respectée et aimée des peuples ?

[…]

Le peuple a dit « oui » en 1992 et son verdict a été respecté. Il a dit « non » en 2005, plus nettement, plus fortement, mais vous prétendez bafouer aujourd’hui sa volonté.

Quel recours s’offre donc à lui ? Quel sentiment d’humiliation, d’injustice et de désarroi allez-vous faire naître dans les cœurs et les esprits ? Songez que les jeunes générations, les classes moyennes, les patrons de PME – bref, les forces vives du pays –, qui ont voté massivement non, basculent toutes, les unes après les autres, dans le refus et la contestation de cette Europe. J’ai confiance, à terme, dans le peuple français, dans sa lucidité, dans sa capacité d’indignation, dans sa passion pour la liberté, l’égalité et la fraternité. Et je sais que nous nous retrouverons prochainement. Je suis en effet convaincu que le peuple français ne supportera pas ces chaînes. Il a toujours été l’un des leviers majeurs de l’histoire européenne et de ses bouleversements. Il ne manquera de refuser cette construction mort-née. Il aura rendez-vous avec sa propre histoire pour construire l’Europe qui marche, qui respecte les identités, qui s’appuie sur les peuples, sur la démocratie et qui est synonyme de progrès social. »

 

💪  Pour aller plus loin...  💪

Vous avez aimé ? Soutenez notre activité !
 

Vous avez remarqué ?

Ce site est gratuit. En effet, nous pensons que tout le monde devrait pouvoir se forger une opinion gratuitement pour devenir un citoyen éclairé et indépendant.

Si cette mission vous touche, vous pouvez nous soutenir en vous abonnant, sans engagement et dès 1€ par mois.

A propos La Rédaction 1034 Articles
Compte de la Rédaction du Drenche. Ce compte est utilisé pour l'ensemble des articles rédigés collectivement, ou les débats, où seul le contexte est rédigé par la Rédaction. Pour plus d'informations sur la rédaction, on vous invite à lire l'article sobrement intitulé "L'équipe", ou "Contactez-nous".