nucléaire

Faut-il sortir du nucléaire ?

📋  Le contexte  📋

Le nucléaire est, dans le langage courant, une forme d’énergie libérée par le noyau d’un atome. Elle est utilisée pour produire de l’électricité par une technique nommée : la fission nucléaire. Pour ce faire, il faut d’abord de l’uranium, un élément chimique radioactif. La fission est une réaction où le noyau d’un atome se divise en deux ou plusieurs noyaux plus petits, libérant ainsi de l’énergie de chaleur et de rayonnement. Une centrale nucléaire exploite cette chaleur pour la transformer, via un alternateur, en électricité. La fumée qui sort des centrales est en réalité de la vapeur d’eau, elle n’est donc pas radioactive. En revanche, la transformation d’énergie primaire en énergie finale produit des déchets au niveau de radioactivité variable.

La France a trop peu de ressources énergétiques sur son territoire (charbon, pétrole ou gaz naturel) pour produire son électricité. Alors au nom de son indépendance énergétique et surtout après les chocs pétroliers des années 1970, la France a construit un grand parc nucléaire (vingt-deux réacteurs de 1976 à 1986). Aujourd’hui, la France dispose de 56 réacteurs répartis sur 18 sites sur son territoire.  Ils composent plus des 2/3 de l’électricité produite en France (360 sur les 522,9 TWh en 2021). 

Début février 2022, la Commission européenne a rendu son verdict. Le nucléaire (et le gaz) est affublé d’un label « vert » qui reconnaît sa contribution à la lutte contre le changement climatique et son rôle à jouer dans l’objectif de la neutralité carbone (l’état d’équilibre entre émission de gaz à effets de serre d’origine humaine en 2050 et son élimination dans l’atmosphère). Des ONG ont dénoncé une pression du gouvernement français (et allemand pour le gaz) dans cette décision.

Quelques jours plus tard, le jeudi 10 février, Emmanuel Macron était en déplacement à Belfort pour annoncer les grandes lignes de son projet énergétique, deux ans après la fermeture des deux réacteurs nucléaires de Fessenheim. Une construction de six nouveaux EPR (la dernière génération des réacteurs) avec huit autres EPR potentiels, tout cela dans un but de faire rentrer le nucléaire dans son « mix énergétique ». La raison ? La crainte de se retrouver dans une situation similaire au voisin allemand. C’est-à-dire une sortie du nucléaire compensée par les renouvelables, le gaz mais aussi le charbon.

Pour « se laisser le temps d’améliorer le stockage des énergies renouvelables », le président privilégie la double voie. Une décision qui n’aura pas manqué de relancer les débats, déjà houleux, sur la possibilité de sortir du nucléaire et des énergies renouvelables.

Contre le nucléaire, l’argument le plus avancé est celui de la sécurité des centrales. Les accidents de Tchernobyl (1986) et de Fukushima (2011) alimentent l’inquiétude sur les risques encourus pour les populations, la faune, la flore et l’environnement aux alentours. Toujours sur les questions de sécurité, ses détracteurs pointent du doigt le vieillissement du parc nucléaire et des risques qui accompagnent leur prolongation de durée de vie sans compter le prix de ces remises à niveau. L’ombre de l’EPR de Flamanville, dont la construction à démarré en 2007 avec une estimation à 3 milliards d’euros pour de nombreux retards accumulés et un coût total à plus de 12 milliards, plane sur la construction des nouveaux EPR.

Le problème se pose aussi pour les déchets provenant de l’exploitation des centrales ou de leurs démantèlements. Il existe six catégories de déchets classés en fonction de leur niveau de radioactivité et de leur durée de vie. Les déchets de moyenne et haute activité à vie longue sont ceux qui suscite le plus de controverse. La solution envisagée aujourd’hui est un stockage géologique profond en attendant de pouvoir les traiter. Un dispositif qui questionne tant sur ces risques que sur la contrainte laissée aux générations futures. Enfin, l’argument moral est parfois mis en avant, sur la prolifération croisée du nucléaire civil et militaire.

De l’autre côté, les défenseurs du nucléaire mettent en avant son aspect écologique, puisqu’elle utilise moins de matière, moins de surface et émet beaucoup moins de CO2 que les fossiles. En ce sens, elle serait la meilleure alliée dans la transition écologique avec des énergies renouvelables. L’urgence serait plutôt la fin des énergies fossiles. De plus, de nombreux scientifiques se projettent dans la fusion nucléaire, une promesse de plus d’énergie pour moins de CO2 mais loin d’être aboutie. Alors faut-il sortir du nucléaire ? Peut-on au moins se le permettre ? Ou plutôt le développer ? On en débat avec deux experts.

 

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Doit-on se passer du nucléaire ?
Le « Pour »
Sophia Majnoni d'Intignano
Militante environnementale, Déléguée générale de la Fédération nationale d' agriculture biologique (FNAB)
La sortie du nucléaire n’est pas une question de choix mais de date

On doit analyser les choix énergétiques du passé pour mieux comprendre ceux à faire dans l’avenir. Quand, dans les années 1970, la France choisit d’investir massivement dans l’énergie nucléaire, le développement industriel nécessite une énergie disponible en quantité et à bas coût. C’est aussi l’époque de la dissuasion nucléaire et de la quête d’indépendance vis-à-vis du pétrole. Le nucléaire fait figure d’eldorado dans les trois secteurs.

Cinquante ans plus tard le nucléaire n’a pas réduit notre dépendance énergétique vis-à-vis de l’étranger notamment vis-à-vis du pétrole et du gaz.

La sécurité d’approvisionnement électrique est menacée par le vieillissement du parc nucléaire dont la disponibilité se dégrade depuis 10 ans, et les coûts des futurs réacteurs ne permettent plus à cette énergie d’être compétitive face aux énergies renouvelables.

En parallèle, la France est devenue le pays le plus nucléarisé au Monde avec un parc technologiquement très homogène, construit sur un laps de temps réduit, sans retour d’expérience industrielle. Un choix énergétique peu résilient donc, sans solution pour la gestion des déchets très radioactifs qu’il produit et peu démocratique (le choix du nucléaire va forcément avec la protection de certaines informations par le secret défense, la mobilisation de moyens publics pour la sécurisation des transports de matières dangereuses…)

S’il est difficile de juger les choix faits dans un contexte très différent de celui d’aujourd’hui, on peut juger le refus total depuis 50 ans de questionner ces choix pour mieux préparer l’avenir. Il n’est plus temps de se poser la question de la sortie du nucléaire parce qu’il est trop tard a minima pour ne pas envisager une réduction drastique et brutale de notre capacité nucléaire.

Nous n’avons pas construit en France de réacteur nucléaire depuis les années 1990. Le réacteur EPR 2 dont le déploiement vient d’être annoncé par Emmanuel Macron n’a jamais été construit et sa version 1 après plus de 15 ans de chantier n’est toujours pas en fonctionnement.

Qui peut croire que dans 15 ans nous aurons construit 6 à 8 réacteurs d’un modèle encore jamais sorti de terre.

Qui peut croire que la trentaine de réacteurs français qui a atteint la durée de fonctionnement industriel de 40 ans fixée comme une limite haute au moment de la construction vont pouvoir tenir jusqu’à 39 à 50, 60 ans sans que le risque d’accident industriel majeur ne devienne inacceptable pour la société ?

Si utiliser la même technologie pour produire de l’énergie que pour faire des bombes atomiques était un choix politique discutable, avoir refusé de rouvrir ce choix pendant cinquante ans en mettant in fine la France dans la situation de choisir entre sécurité d’approvisionnement électrique et augmentation du risque d’accident nucléaire est une irresponsabilité politique partagée par les gouvernements de droite comme de gauche. Irresponsabilité qui semble se transmettre sans heurts d’une génération politique à l’autre.

Le « Contre »
Greg De Temmerman
Directeur du think tank Zenon Research, Chercheur associé à l’École nationale supérieure des mines de Paris
Se passer de nucléaire c’est rendre la transition encore plus difficile

Commençons tout d’abord par rappeler quelques faits : l’électricité représente environ 23 % de l’énergie finale en France (en moyenne 20 % dans le monde). Et 70 % de cette électricité est produite par les 56 réacteurs nucléaires encore en opération. 92 % de l’électricité en France est produite par des moyens de production émettant peu de gaz à effet de serre. La France est l’un des pays émettant le moins de CO2 pour la production d’électricité. Si on regarde les émissions françaises de CO2, l‘électricité y contribue pour 5 %, loin derrière les transports, l’agriculture et le résidentiel. L’effort à réaliser sur ces secteurs passe souvent au second plan car l’électricité occupe une grande partie des débats sur l’énergie.

Le programme nucléaire français lancé dans les années 1970 entendait répondre à la forte dépendance française aux hydrocarbures dans un contexte de crise pétrolière. 58 réacteurs sont mis en service entre 1978 et 2000. À cette époque, l’urgence climatique et la baisse des émissions de CO2 ne sont pas des arguments, mais l’intensité carbone de l’électricité (quantité de CO2 émis par kWh produit) est divisée par 5 sur cette période.

Pourquoi le nucléaire ? Cette forme d’énergie est extrêmement dense, il faut environ 9000 tonnes d’uranium par an pour l’ensemble de nos centrales. Pour comparaison, une centrale à charbon de puissance équivalente à un de nos réacteurs, nécessite 9000 tonnes de charbon… par jour. Le nucléaire nécessite également peu de foncier- typiquement 50-100 moins que l’éolien pour une production équivalente. Elle nécessite également moins de métaux que les renouvelables- et la demande en métaux (cuivre, cobalt, lithium) va fortement augmenter dans les années à venir, au point que la production aura beaucoup de mal à suivre. Surtout c’est une énergie pilotable dont la production est prévisible et peut s’adapter à la demande.

Dans le futur, la quantité d’énergie finale utilisée doit baisser d’environ 40 % d’ici 2050 mais la consommation d’électricité va augmenter fortement sur la même période- entre 30 et 60 % selon les choix faits notamment en termes de réindustrialisation et de sobriété.

Dans ces conditions, se passer du nucléaire existant rendra encore plus compliqué la décarbonation de l’économie française même si sa part dans le mix électrique va mécaniquement baisser car il sera difficile de remplacer toutes les centrales existantes dans les 30 années à venir.

Les études récentes montrent qu’un système électrique comprenant de nouveaux réacteurs et la prolongation de certains réacteurs existant, est moins coûteux qu’un système 100 % renouvelable. Il est cependant nécessaire d’engager rapidement la construction de ces nouveaux réacteurs, puisqu’ils n’entreront à priori pas en service avant 2035-37.

Et cette temporalité a une implication importante : nous aurons également besoin de renouvelables dans le futur, puisque dans les 10-15 prochaines années leur déploiement est la seule façon de pouvoir produire plus d’électricité. L’atteinte de la neutralité carbone est un défi énorme, et se passer d’une source d’énergie bas-carbone ne fait que diminuer les chances de le relever. Un fait qui est bien souvent oublié et rend les oppositions entre renouvelables et nucléaire déconnectées des réalités énergétiques.

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