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Faut-il taxer le kérosène des avions ?

Ce débat a initialement été publié sur The Rift, le site anglophone du Drenche, et il a été traduit en français par la Rédaction.

📋  Le contexte  📋

La Convention de Chicago relative à l’aviation civile internationale, signée en 1944 par 52 Etats, empêche la taxation du kérosène en transit, afin d’éviter une double taxation du fioul lors des atterrissages à l’étranger. La Convention a été révisée en 2006, et elle est toujours en vigueur aujourd’hui.

Dans le droit européen, la directive relative à la taxation des énergies fossiles s’est basée sur les principes définis par cette Convention, et elle confirme que le kérosène est exempt d’accise (un impôt indirect perçu sur la consommation). Un Etat membre peut décider individuellement s’il souhaite taxer le kérosène pour les vols internes, et les États membres peuvent décider, par le biais des accords bilatéraux, de taxer ou non le kérosène lors des vols au sein de l’Union européenne.

Sources : Commission européenne, Transport & Environment

Aujourd’hui, l’aviation est considérée comme le moyen de transport le plus néfaste pour le climat, car la combustion du kérosène rejette dans l’atmosphère une grande quantité de polluants, tels que le dioxyde de carbone (CO2), le protoxyde d’azote (NOx), ou l’anhydride sulfureux (SO2). En 2012, l’aviation représentait 13 % des émissions totales du CO2 pour l’ensemble du secteur de transport de l’Union européenne.

Lors d’un vol d’une heure avec 150 passagers, un avion rejette en moyenne 8 500 kg de CO2 pour 2 700 kg de kérosène consommé.

Source : European Aviation Environmental report 2016

Face à la prise de conscience du changement climatique, des voix s’élèvent pour dénoncer l’impact environnemental de l’aviation. Les écologistes appellent à réduire les voyages en avion autant que possible, certains proposent même d’interdir des vols court-distance réalisables en train. Ces réactions posent la question des mesures à prendre pour réduire l’impact des avions sur l’environnement.

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
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Le « Pour »
Timothée Galvaire et Anastasios Papachristou
Représentants de l'initiative citoyenne européenne « Mettre fin à l’exonération fiscale du carburant d’aviation en Europe »
Suivons l’exemple de l’Arabie saoudite, taxons le kérosène dans l’Union européenne !

L’aviation est responsable de 5% du changement climatique d’origine humaine. En Europe, les émissions de CO2 de l’aviation ont augmenté de 26% au cours des cinq dernières années et devraient continuer à augmenter dangereusement.

Malgré ces chiffres alarmants, le mode de transport dont l’impact climatique est le plus grand, continue de bénéficier d’exonérations fiscales qui lui confèrent un avantage concurrentiel sur les trains et nous incitent tous à prendre l’avion, même pour des distances relativement courtes.

Outre l’exonération de la TVA sur les vols internationaux, le kérosène n’est pas taxé dans l’Union européenne tandis que de nombreux autres pays, même l’Arabie saoudite, taxent le kérosène sur les vols intérieurs.

Une réponse européenne requise pour mettre fin aux privilèges de l’aviation

Malgré des décennies de négociations, aucun accord n’a été trouvé à l’échelle mondiale pour taxer l’aviation. La seule mesure approuvée (CORSIA) n’obligera les compagnies aériennes qu’à compenser certaines de leurs émissions supplémentaires. 

L’inclusion des émissions de l’aviation dans le système européen d’échange de quotas d’émission depuis 2012 est vivement critiquée car le secteur bénéficie d’allocations de quotas à titre gratuit, ce qui ne le pousse pas suffisamment à réduire ses émissions. De plus, seules ses émissions de CO2 y sont calculées. Réformer ce système ne sera donc pas suffisant pour réduire les émissions de l’aviation ni lui faire perdre son avantage concurrentiel face aux trains.

Et les gouvernements craignent que mettre fin à ces exemptions injustes à l’échelle nationale pèse sur la compétitivité des compagnies aériennes et aéroports nationaux.

Il est donc évident qu’une réponse européenne est requise. Et c’est pourquoi nous invitons la Commission européenne à proposer l’introduction d’une taxe sur le kérosène pour les vols dans l’UE via notre initiative citoyenne européenne.

Les nombreux bénéfices d’une taxation du kérosène

Taxer le kérosène poussera les compagnies aériennes à réduire leurs émissions et apportera les ressources nécessaires pour financer de meilleures infrastructures ferroviaires.

Un récent rapport de la Commission européenne a conclu que taxer le kérosène vendu en Europe réduirait les émissions de l’aviation de 11% et n’aurait aucune incidence nette sur l’emploi ou l’économie. Nous proposons que cette taxe soit plus élevée pour les vols courts et que l’exemption pour les îles soit maintenue.

Il est temps que l’UE taxe le kérosène et utilise les recettes fiscales pour proposer des alternatives moins chères et bien moins polluantes !

Le « Contre »
Montserrat Barriga
Directrice Générale, European Regions Airline Association (ERA)
La taxe du kérosène : une menace pour la connectivité régionale

Les lignes aériennes et les aéroports sont bien conscients qu’ils doivent agir d’avantage au sujet du climat, collectivement ; l’ERA s’est ainsi engagée de manière prioritaire aux côtés de ses membres. Freiner la demande en taxant l’aviation peut paraître comme un moyen prometteur pour certains. Néanmoins, la taxe soulève des questions importantes et requiert une analyse d’impact rigoureuse et une concertation. 

Les communautés régionales en Europe reposent sur la liaison aérienne pour leur développement

Il est nécessaire d’insister sur l’impact d’une taxe sur l’aviation sur les régions européennes. Il est évident que les communautés régionales en Europe dépendent des liaisons aériennes pour leur développement ; cela leur permet d’être connectées non seulement à leurs capitales nationales, mais aussi aux autres capitales européennes, à d’autres régions en Europe et de plus en plus, aux marchés extra-européens. 

Les petits aéroports régionaux en Europe ont accueilli 251 millions de passagers supplémentaires lors des 10 dernières années, et  ont augmenté leurs liaisons directes de 28,8% depuis 2014.  Il est impossible de nier que ces chiffres attestent le fait que la liaison aérienne est indispensable pour développer le tourisme, attirer les investissements étrangers et créer des emplois locaux dans les régions d’Europe. En tant que telle, l’aviation joue un rôle essentiel en assurant l’égalité sociale et territoriale. 

Par conséquent, une taxe sur l’aviation implique des risques : l’économie de la liaison aérienne régionale est fragile et soumise à une dynamique volatile et changeante du marché. En effet, plusieurs petites compagnies aériennes avec des activités importantes dans les aéroports régionaux ont fait faillite lors des deux dernières années, notamment à cause de la perte de lignes régionales. 

ERA est légitimement préoccupée par la taxation des avions, qui nuirait de manière disproportionnée à la liaison aérienne régionale. En effet, la dépendance entre le prix et la demande est bien plus élevée pour les lignes aériennes régionales. De plus, ces lignes sont généralement moins rentables que les couloirs aériens de plus gros volume, ce qui augmente considérablement le risque de nouvelles fermeture des petites lignes. 

Cela signifie qu’une taxe aviation soulève des graves problèmes d’inégalité sociale et territoriale – ces mêmes thèmes qui sont en train d’animer les débats publics et européens en ce moment. Il est donc légitime de se demander si une taxe sur l’aviation serait compatible avec le coeur de la politique de cohésion et les objectifs de l’UE. 

Une taxe aviation soulève des graves problèmes d’inégalité sociale et territoriale

Au-delà de ces aspects spécifiques, mais importants, d’égalité sociale et territoriale, nous croyons qu’il est peu probable que les taxes sur l’aviation se concentrent sur l’enjeu fondamental et crucial qui est la décarbonisation de l’aviation. Etant donné que les revenus connexes ne sont pas affectés à cet objectif, on peut difficilement voir comment cette approche contribuerait efficacement et significativement aux objectifs de l’Accord de Paris.

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