héritage

Faut-il tuer l’héritage ?

📋  Le contexte  📋

Dans le sens courant, l’héritage renvoie à tout ce qui est transmis, après le décès d’une personne, par voie de succession à la famille ou à toute autre personne pouvant légalement y prétendre (les héritiers). Les bénéficiaires peuvent aussi être des personnes morales (institutions, entreprises, associations). Aujourd’hui, ce terme recouvre non seulement le patrimoine immobilier, mais également les biens mobiliers et immatériels, tels que la propriété intellectuelle. Dans de nombreux pays, la transmission de ce patrimoine est taxée par l’État. Sur les 35 pays de l’OCDE, vingt taxent l’héritage. La taxation dépend du degré de filiation entre le donneur et le bénéficiaire : elle augmente avec le degré d’éloignement de la filiation. 

Le droit d’héritage s’inscrit dans une pensée libérale, qui admet que chaque individu disposant de sa propriété comme il l’entend, doit pouvoir conserver la liberté de transmettre son patrimoine à qui lui plaît. Cette liberté d’utiliser à sa guise sa propriété constituerait aussi un moteur pour les individus, afin qu’ils soient encouragés à créer de la valeur.

La notion d’héritage, telle qu’on la connaît aujourd’hui, a été le fruit de récents bouleversements. En effet, le droit à l’héritage est resté intact de 1804, date de l’entrée du Code civil de Napoléon qui fonde le droit français, jusqu’aux années 1960. Durant cette longue période, les femmes étaient particulièrement vulnérables puisqu’elles arrivaient derrière les enfants et les parents du conjoint dans la distribution de l’héritage du défunt. 

Désormais, en France, lorsque le défunt a fait un testament, une part de son héritage est tout de même réservée à ses descendants, tandis qu’il peut attribuer la part restante librement. S’il n’y a pas de testament, c’est la loi qui désigne les héritiers, classés par ordre de priorité (on parle de “dévolution légale”) : les enfants et leurs descendants sont les premiers, puis les parents, etc. Pour l’époux survivant, il hérite dans tous les cas, mais sa part de succession varie en fonction de sa situation (le régime matrimonial des époux, la présence d’autres héritiers). Ce sont notamment les lois du 3 décembre 2001 et du 23 juin 2006 qui régissent le droit à la succession. 

Il est presque communément accepté qu’à la mort des parents, ces derniers laissent à leurs enfants leurs biens. D’une certaine manière, les parents continuent de remplir leurs “obligations” en s’occupant de leurs enfants, même après leur mort. Cependant, quelques voix s’élèvent contre cette coutume, qui participerait à la reproduction sociale et à la perpétuation des inégalités. 

En effet, selon eux, hériter n’est nullement fondé sur les valeurs de mérite promues par la République, et serait facteur d’injustices. Dans une étude publiée en décembre 2021 par le Conseil d’analyse économique, il apparaît que l’héritage compte pour plus de 60% dans le patrimoine total des Français, contre 35% en 1970. Cela signifie que l’héritage est devenu un élément déterminant dans la constitution du patrimoine, renforçant ainsi les inégalités de richesses fondées sur la naissance. En France, la moitié de la population hérite de moins de 70 000€ tandis que 0,1% perçoit à peu près 13 millions d’euros (soit 180 fois plus). 

Pour les détracteurs de l’héritage, la fin de ce dernier constituerait un basculement décisif pour une meilleure égalité des chances entre les citoyens et une avancée vers une véritable méritocratie. Au contraire, pour ses défenseurs, l’héritage est ce qu’il reste du patrimoine accumulé tout au long d’une vie par une personne ; il apparaît donc normal et juste que celle-ci puisse en faire l’usage qu’elle en désire.

Et vous qu’en pensez-vous ? On en débat ! 

🕵  Le débat des experts  🕵

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Faut-il tuer l'héritage ?
Le « Pour »
Henri Sterdyniak
Animateur des Economistes Attérés
Encore un effort pour être républicain, supprimons l’héritage

L’héritage est contraire au principe d’égalité qui doit guider notre société. Les différences de revenus et de statuts ne doivent provenir que de différences de mérite et d’effort. Les personnes issues des classes dirigeantes bénéficient déjà de meilleures conditions de vie et d’éducation, de meilleurs réseaux pour s’insérer dans la vie professionnelle. Rien ne justifie qu’ils reçoivent, en outre des sommes importantes par donation et héritage. La situation d’une famille qui doit payer chaque mois 2000 ou 3000 euros pour se loger ou rembourser un crédit immobilier n’a rien à voir avec celle d’une famille de mêmes salaires qui bénéfice d’un logement payé par leur parent (et qui ne paie pas d’impôt sur son loyer implicite, le loyer qu’il économise en possédant leur logement). 

L’héritage contribue fortement aux inégalités entre les générations et à l’intérieur de chaque génération

De même, un étudiant qui doit travailler pour payer ses études a beaucoup moins de chance de réussite que celui qui est entièrement financé par sa famille. L’allongement de la durée de la vie fait que l’âge moyen du bénéficiaire d’un héritage est aujourd’hui de plus de 50 ans, soit l’âge où les niveaux de vie sont les plus importants, après la période difficile de début de carrière, d’achat du logement, d’élevage des enfants. Par contre, les familles les plus riches peuvent aider leurs enfants tout au long de leur vie par des donations importants pour l’achat d’un logement ou, même, le lancement d’une entreprise. L’héritage contribue donc fortement aux inégalités entre les générations et à l’intérieur de chaque génération. Sa mise en cause, et celle des donations importantes, ouvrirait de nouvelles perspectives pour une société plus égalitaire. 

La rente diminuerait au profit des salaires. La transmission familiale des entreprises peut aboutit à mettre aux commandes des héritiers incompétents (voir le cas de Lagardère). Les héritiers dilapident souvent l’œuvre de leur parent, vendent l’entreprise des fonds étrangers. Dès que l’entreprise atteint une certaine taille, il serait préférable que sa propriété, après le décès du chef d’entreprise, revienne à l’État qui en confierait la gestion aux salariés, contrôlés par un conseil où seraient représentés les cadres dirigeants, les salariés, les pouvoirs publics, les collectivités locales et, selon les cas, les fournisseurs et les clients. Les entreprises pourraient ainsi être gérées dans l’intérêt commun, plutôt que dans celui des seuls actionnaires. 

La fin de l’héritage permettrait d’offrir à chacun le droit à un patrimoine de 100 000 euros

La fin de la transmission des biens immobiliers permettrait une forte baisse du prix des logements et des loyers. L’État pourrait louer les logements qu’il possèderait par des baux de long terme, à des prix modérés, de sorte que les familles devraient plus devoir consacrer une partie importante de leurs revenus à se loger. 

La fin de l’héritage familial permettrait d’offrir à chacun le droit à un patrimoine de 100 000 euros. Celui-ci serait libéré sur projet, comme dans une famille. Il permettrait donc de financer la première installation familiale, puis soit de financer des études supérieures, soit de lancer une activité (petite entreprise, start up), soit de s’offrir une année sabbatique. Chacun bénéficierait, en somme, aux facilités que n’ont aujourd’hui que les enfants des classes supérieures.

Le « Contre »
Jean-Philippe Feldman
Professeur agrégé des facultés de droit, ancien Professeur des Universités et maître de conférence à SciencesPo, Avocat à la Cour de Paris, vice-président de l’Association pour la liberté économique et le progrès social (A.L.E.P.S) et contributeur à l’IREF
Un patrimoine appartient à une personne qui doit être libre d’en faire ce qu’elle souhaite, sans interférence des hommes de l’État

Un tir groupé s’est abattu sur l’héritage depuis quelques années. À vrai dire, l’hallali contre ceux qui osent hériter de quelque argent, et a fortiori de beaucoup d’argent, est habituel en période électorale, particulièrement à gauche et à la gauche de la gauche. À l’unisson, celles-ci ont voué aux gémonies le caractère insuffisamment progressif des droits de succession (auxquels on peut mêler les droits de donation). Les mêmes formules incantatoires ont été brandies : égalité des chances, égalité réelle, lutte contre les inégalités et autre justice sociale. 

Les symboles ont la vie dure

On pourrait de prime abord s’étonner d’une focalisation sur un impôt qui, en définitive, ne compte que pour une petite partie des recettes de l’État. Mais il est vrai que l’ampleur des déficits oblige les hommes politiques à beaucoup d’inventivité…. On pourrait également s’en étonner, d’une part car la France s’inscrit au firmament des pays les plus taxateurs en général et dans le domaine des successions en particulier, d’autre part car nombre de nos voisins ont supprimé ou abaissé drastiquement l’impôt sur la mort ces dernières années. Mais les symboles ont la vie dure. 

Démontons la thèse de nos égalitaristes patentés. Leur point de vue tourne le plus souvent autour de l’argumentation suivante : une personne reçoit un héritage par hasard, donc sans mérite aucun ; par surcroît, l’héritage accroît les inégalités et il contribue à la « reproduction culturelle » ; et ce, alors même que c’est grâce à la « société » que nous vivons, plus encore que nous prospérons, si bien qu’il est injuste, pis immoral, que certains en profitent pour s’enrichir au détriment d’autrui. 

Si une personne reçoit un héritage, c’est parce que celui qui lui a transmis a travaillé ou qu’il a conservé un patrimoine

Ces arguments sont aisés à réfuter. Tout d’abord, du côté de celui qui reçoit, il n’y a pas de « hasard de naissance ». Si une personne reçoit un héritage, c’est parce que celui qui le lui a transmis a travaillé ou qu’il a conservé un patrimoine. Les enfants reçoivent le fruit de l’initiative individuelle, de la prudence et de l’ingéniosité de leur famille. Ensuite, nos égalitaristes se gardent bien de parler de ceux qui donnent ou transmettent. Or, un patrimoine appartient à une personne qui doit être libre d’en faire ce qu’elle souhaite, sans interférence des hommes de l’État. Lorsque ceux-ci entendent corriger les inégalités de naissance en taxant l’héritage, de même que lorsqu’ils entendent entraver les donations, ils portent atteinte au droit de propriété. Lorsqu’ils entendent redistribuer les richesses, ils violent les droits de l’homme. 

Ajoutons que les partisans de l’impôt sur les successions oublient deux autres faits. D’abord, que le patrimoine transmis n’arrive pas immaculé entre les mains de celui qui le reçoit : il a déjà été taxé et retaxé, à l’achat ou à la transmission et à la possession. Notre pays est d’ailleurs l’un de ceux qui imposent le plus la propriété en Europe. Ensuite, nos égalitaristes font preuve d’un matérialisme exacerbé, eux qui se drapent pourtant dans les grands sentiments : ils oublient que transmettre un patrimoine, c’est transmettre des valeurs, une tradition. Tout particulièrement, recevoir la maison ou l’entreprise familiale, ce n’est pas seulement obtenir l’équivalent d’une somme d’argent, c’est tisser un lien entre les générations. En substance, l’impôt sur les successions et les donations est violateur du droit de propriété, injuste et d’une profonde immoralité.

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