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Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
L'Homme avant tout
Julien Letailleur
Héros de roman, candidat à la Présidentielle 2017http://www.julienletailleur.org/
Des gisements considérables d’intelligence et d’enthousiasme existent chez chacun.
Le monde tel que nous le percevons aujourd’hui est déjà celui d’hier : il est mort.
Nous ne le voyons pas, car nous portons encore des lunettes à filtre sépia, dont le principal avantage est de nous rassurer. Nous voulons comprendre, et appliquons de manière logique une grille de lecture dont le seul défaut est de se fonder sur des critères d’analyses dépassés.
La révolution technologique n’est pas en cours, elle est déjà terminée, seuls ses effets sont parfois encore latents
Trois tendances lourdes individuelles, organisationnelles et sociétales doivent être selon nous comprises si nous souhaitons bâtir un avenir désirable pour nos enfants :
L’homme crée les conditions de son oisiveté future. C’est une bonne ou une mauvaise nouvelle selon ce que nous en ferons. En tout cas, peu d’humains seront nécessaires à la fabrication du monde tel que nous l’entendons.
L’entreprise privée (horizontalisée, ouverte) gagne la guerre contre les Etats (verticalisés, fermés), contre la plupart des tentatives de régulation à l’échelle nationale ou mondiale.
La croissance économique tend vers zéro. Le PIB ne peut plus servir de mesure du développement.
Personne ne peut aujourd’hui prétendre détenir la clé des bases politiques de la société que nous sommes en train d’accoucher.
Au regard de ces tendances, il est pourtant envisageable de tracer un chemin possible, que nous invitons tous ceux qui le souhaitent à emprunter avec nous.
Nous avons automatisé depuis un siècle les tâches de conception et de fabrication du monde, et cette automatisation est exponentielle. Conséquence : la plupart des métiers pourront demain être effectués plus efficacement par des machines, y compris ceux qui nous semblent aujourd’hui réservés à l’intelligence humaine (médecine, journalisme, enseignement,…)
Cependant, l’homme porte en lui des ressources singulières qu’il est désormais urgent de valoriser pour lui permettre de trouver sa place dans le monde à venir.
Il existe chez chacun d’entre nous un gisement considérable d’inventivité aujourd’hui inexploité, car nous automatisons le monde en omettant de nous appuyer sur deux principes fondamentaux :
- L’intelligence humaine est bien supérieure à l’usage que chacun en fait au quotidien
- L’efficacité de chacun est directement proportionnelle au goût qu’il éprouve pour ce qu’il fait, au sens qu’il donne à ses actions.
Faire le pari de l’intelligence, c’est considérer que si le monde est complexe, cette complexité peut et doit être appropriée par tous.
Pour y parvenir, deux éléments nous semblent clé :
D’abord, accepter de laisser s’épanouir les vocations en rétablissant les conditions du jeu, sans enjeux.
Un consensus scientifique s’est établi sur l’âge auquel nous atteignons au cours de notre vie notre pic de créativité : cinq ans.
C’est donc à cet âge que nous sommes le plus à même de résoudre la principale difficulté de l’exercice de l’intelligence : la dichotomie existante entre efficacité et créativité.
Certaines expériences comme celle des « Savanturiers » ont permis en faisant jouer des enfants de résoudre plusieurs problématiques scientifiques irrésolues.
Rétablir un environnement propice au jeu, c’est donner à chacun la possibilité de retrouver cet état, et donc favoriser l’innovation de tous au service de la collectivité
- Permettre à chacun de s’abstraire de la logique consistant à redouter le regard d’autrui, d’agir pour le simple plaisir d’agir, sans aucune autre attente que celle du plaisir immédiat.
- Donner à tous l’occasion de ne plus mettre de masque, d’être soi dans toutes les circonstances de la vie, y compris professionnelle.
- Mettre chacun en condition de prendre des risques, générateurs d’innovation, puisque demain ne compte pas.
C’est en parallèle faire l’effort de rendre intelligible ce monde pour chacun. C’est la tâche que doivent se réapproprier tous ceux qui prétendent éduquer, commenter ou agir sur le monde.
L’individu (citoyen, salarié, entrepreneur, fonctionnaire,…) ainsi remis en capacité de créativité et d’action, se pose ensuite la question de la diffusion de ces nouveaux savoirs.
Plusieurs éléments associés à l’évolution des conditions technologiques peuvent aider à résoudre cette question, pour autant qu’ils soient correctement compris et utilisés.
Le monde devient brutalement transparent. Une des conséquences positives est la faible place laissée à la possibilité du mensonge sur nos actions passées. L’imposture devient mécaniquement irréaliste sur la durée.
Par ailleurs, il n’a jamais été aussi aisé de diffuser efficacement et largement son expérience auprès de nos pairs. La possibilité est de plus offerte à tous de pouvoir immédiatement sanctionner ou valider la qualité des savoirs transmis, ainsi que de s’approprier ceux jugés utiles au développement de leurs propres projets.
Nous pensons dans ces circonstances que les logiques d’acquisition de savoirs et de diffusion de la connaissance des « compagnons » méritent d’être replacés au cœur de l’organisation de la société
Deux principes à respecter :
- La légitimité s’acquiert exclusivement par les actions réalisées, et jamais par la communication. Il n’y a pas de biais possible.
- Le savoir une fois acquis, sa transmission est un devoir, la conservation de la propriété intellectuelle sous toute forme que ce soit est jugée contreproductive.
Il ne reste plus qu’à agir. Ensemble.
Attention à ne pas sombrer dans la démagogie
Un "politique" anonyme
Un "politique" anonymeTout d’abord, un mot sur le choix de l’anonymat. Pourquoi ne pas montrer son vrai visage, peut-on légitimement se demander ?
Quelques éléments d’explications : la consultation, et plus largement l’aspect collaboratif d’une démarche, sont dans l’air du temps. A l’heure où un député propose un projet de loi promettant de généraliser les consultations citoyennes (Patrice Martin-Lalande pour ne pas le nommer) pour tout projet de loi, l’ensemble des députés de l’hémicycle n’ont que ce mot à la bouche : « consultation ».
De Nuit Debout à Marion Maréchal-Le Pen, en passant par le gouvernement, la consultation citoyenne fait consensus. Alors, j’aurais beau écrire un article de plusieurs milliers de signes, argumenté, détaillé, etc., on ne retiendra qu’une idée tronquée qui se résumera à « je suis contre la consultation« .
Loin de moi cette idée ; la consultation a du bon, plusieurs exemples l’ont montré.
Ce sont ici ses limites qui m’intéressent. Attention à ne pas la généraliser, sans limite et sans contre-pouvoir. Elle serait dangereuse.
Par cette idée, j’entends évoquer les limites de la démocratie directe, que tout le monde connaît, mais que beaucoup se refusent à expliquer.
Tout d’abord, le « participatif » est lent. Que celui qui ne s’est jamais embourbé dans un débat mal cadré me jette la première pierre : rechercher le consensus sur tout prend du temps (ce qui n’est pas un mal en soi), dans des proportions telles que s’accorder sur la formulation d’une phrase prend souvent une demie journée.
Cette lenteur est totalement incompatible avec des réformes d’une certaine ampleur.
Ensuite, et surtout, l’opinion publique est émotive. En cela, elle peut se tromper. Et elle se trompe.
“Tôt ou tard, les hommes qui pensent et qui écrivent gouvernent l’opinion ; et l’opinion, comme vous le savez, gouverne le monde”, écrivait D’Alembert, posant la question de l’indépendance de l’opinion, et de la facilité à la manipuler. Facilité d’autant plus grande, quand on connaît le faible nombre de personne physiques qui détiennent les médias en France. De fait, l’opinion publique est facilement manipulable ; et elle le sera d’autant plus que son pouvoir sera grand.
Julien Green, écrivain américain, écrivait plus prosaïquement : « L’opinion publique, c’est la sottise en action« .
Et de fait, si l’ensemble des citoyens est un trésor d’intelligence inépuisable lorsqu’il est canalisé sur des sujets constructifs, il peut s’avérer le pire des tyrans lorsqu’il est orienté à des fins peu louables.
Imaginez s’il y avait eu une consultation sur la peine de mort ou la torture après les attentats du 13 novembre (on aurait alors rajouté la mention « pour les terroristes ») : une immense majorité de citoyens aurait réhabilité l’un, l’autre, voire les deux.
Un ensemble d’exemples historiques confirment ce phénomène émotif fort : de très nombreux dictateurs sont arrivés au pouvoir par des moyens parfaitement démocratiques, et on ne compte plus le nombre de mesures discriminatoires, racistes, antisémites, colonialistes, etc. ayant été votées démocratiquement.
A l’inverse, une part non négligeable des avancées majeures en termes de libertés individuelles ont été acquises contre la majorité de l’opinion. Le droit de vote des femmes, l’abolition de la peine de mort, et bien d’autres mesures ont été votées contre l’avis de la majorité pour le bien de la société.
Cela nous prouve que la consultation citoyenne est une excellente chose, à condition qu’elle soit canalisée sur une certaine typologie de sujets, encadrée, synthétisée, et inscrite dans une vision et une démarche cohérente.
Faire croire aux citoyens qu’ils seront consultés sur 100% des projets ou propositions de lois, voire des décrets et règlements, relève de la pure démagogie. Il n’est ni cohérent, ni légitime, ni constructif, de consulter l’ensemble des citoyens français sur des normes de composition du ciment de construction, le niveau de rentabilité à attendre des investissements de la caisse des dépôts, ou le budget alloué aux différentes instances gouvernementales.
Non pas que les Français n’auraient pas un avis sur la question. En France, on a un avis sur tout !
Tout simplement, cela alourdirait inutilement les démarches, rendrait l’élaboration des lois encore plus lente et complexe qu’elle n’est déjà, et apporterait très peu de choses.
Les exemples de la Suisse et de la Californie, où les votations citoyennes sont courantes, sont des exemples criants : la plupart des initiatives visent à alourdir l’administration de l’Etat et restreindre les libertés. L’alcool a d’ailleurs été interdit dans plusieurs Etats des Etats-Unis par ce mécanisme.
Alors pourquoi ce mécanisme plait-il tellement ? Parce que nous sommes tous convaincus que ce que nous pensons en tant qu’individu relève du « bon sens« , et que, par conséquent, la majorité de la population doit fatalement penser comme nous… à l’exception d’une minorité, qui sont forcément « des cons« . Par extension, nous sommes tous convaincus qu’une société où l’on consulterait les citoyens sur tout serait une société idéale : la nôtre.
Sauf que tout le monde ne pense pas comme nous ! Descartes notait que « le bon sens est la chose la mieux partagée car chacun pense en être si bien pourvu, que même ceux qui sont les plus difficiles à contenter n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont », mais que « la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses ».
Je terminerai en citant John Adams, second président des Etats-Unis, qui disait : « L’idée que le peuple est le meilleur gardien de sa liberté n’est pas vraie. Il est le pire envisageable« . Il avait raison !
La démocratie est de loin le meilleur des systèmes de gouvernement au monde. Il y a de la place pour beaucoup plus de consultation, sur bien des sujets.
Mais attention, de grâce, à ne pas sombrer dans une démagogie populiste qui ne produirait que faux espoirs et désillusions.
Si, malgré son état de crise, la démocratie a fonctionné pendant si longtemps, c’est qu’elle a su elle-même fixer des garde-fous à l’émotion, tout en laissant le pouvoir fondamental aux citoyens. Ne cassons pas ce fragile équilibre.